D’une petite heure, « Les règles du savoir-vivre dans la société moderne » - pièce écrite par Jean-Luc Lagarce en 1994 - est d’une très subtile ironie acide.
Elle tourne au comique avec l’incomparable interprétation de Catherine Hiegel qui ajoute encore de l’ironie à l’ironie du texte. L’immense actrice a vraiment trouvé le ton juste pour chaque phrase et il serait facile de penser que la pièce a été écrite spécifiquement pour elle et le public rit franchement !
Comme pour une conférence, elle est assise devant une table dont elle s’écarte parfois évitant ainsi la monotonie que pourrait avoir ce texte tout en répétitions. Il s’agit donc de l’adaptation par Jean-Luc Lagarce d’une authentique énumération des règles du savoir-vivre dans la société de l’époque qu’aurait écrit la Baronne Staffe. La société moderne ? Certes, ces règles datent, quoiqu’une certaine catégorie sociale doit bien s’accrocher encore à certaines de ces valeurs sociales et les conserver comme des habitudes incontournables.
Sans avoir l’air d’y toucher, mais avec un délectable naturel ironique, Catherine Hiegel énonce ces « règles du savoir-vivre », ces principes de la vie dans une « bonne société » : la naissance, le baptême, les fiançailles, le mariage, les noces d’argent et d’or, et le deuil... Le tout avec des préceptes très codifiés. Elle s’en moque, sans avoir l’air d’y toucher ! Sa façon d’accentuer certains mots plutôt que d’autres, de les mettre en valeur, de les souligner par ses intonations ou ses attitudes, est absolument géniale et confondante. Elle ravie le public qui en redemande ! C’est inénarrable et on ne peut que féliciter Marcial Di Fonzo Bo pour sa mise en scène toute en subtilités !
Après un entr’acte, arrive « Music Hall » où Catherine Hiegel, en robe moulante noire avec des paillettes scintillantes, est transformée en star de province entourée de deux « boys » plutôt minables, dans un Music Hall au rabais.
Ils sont parfaits tous trois dans ce registre entre plumes et tralala et se donnent la réplique dans un divertissement qui devrait être joyeux et nous semble cependant tristounet.... Bien sûr, aucun des trois interprètes n’est en cause, c’est le sujet de ce spectacle minable qui veut ça : il y a un côté pathétique à montrer cette sorte d’envers du décor. Avec de temps en temps, en fond sonore une chanson de Joséphine Baker « Ne me dit pas que tu m’adores... »
Le plateau reste nu, seulement un jeu de rideaux qui vont et viennent au gré des boys, et un tabouret sur lequel se hisse Catherine Hiegel, jambes croisées. Un tabouret important dans le texte lui-même où il est comparé à une chaise et défini comme un « objet de consommation courante ».
Ici aussi, l’actrice est au sommet de son art et, en interprète inspirée, elle module parfaitement le timbre, la cadence, la vibration et le rythme de sa voix ...
Et par un soupir, un haussement de sourcils, elle crée une complicité avec le public écroulé de rire...
Bravo, encore bravo !
Caroline Boudet-Lefort