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ANTHEA - Les naufragés, de Patrick Declerck – mise en scène d’Emmanuel Meirieu

Totalement émouvant, ce spectacle ne peut laisser indifférent. Il prend aux tripes chaque spectateur qui vibre à tout instant face à François Cottrelle, excellent comédien qui trouve le ton juste, sans affects pour ne pas manipuler le spectateur pleinement bouleversé par les mots.

Déjà sur scène, un décor stupéfiant attend les spectateurs : à droite une immense épave rouillée de bateau, tandis qu’à gauche se dépose, dans un mouvement incessant, l’écume de vagues dont on entend le va-et-vient.

Au milieu, seul devant un micro, François Cottrelle énonce le livre que Patrick Declerck a écrit suite à l’expérience auprès de SDF qu’il a eu en consultation dans un Centre de Nanterre où sont regroupés tous les clochards et sans-abris de Paris. Dos aux spectateurs, il commence par pisser, faisant directement pénétrer chacun dans la crudité et l’authenticité de cet univers où la pudeur n’est pas de mise, avec une vision sans angélisme de la rue et de ses galères.

Pendant plus de quinze ans, Patrick Declerck, psychanalyste belge, a vécu parmi les fragiles de la société, ces démunis qui dorment dans la rue sur un bout de carton et qui refusent d’être accueillis dans un Centre.

Immergé au milieu d’eux, il en donne d’émouvants portraits en montrant leur désir de liberté à préférer picoler que songer à quelque réinsertion.

Quand on les voit dans la rue, à Paris, on cherche à s’écarter de leur odeur, mélange de crasse, de pisse et d’alcool. Elle nous poursuit comme une honte. Honte pour eux ou honte de l’incapacité à les aider ?
Patrick Declerck décrit bien cette ambivalence induite déjà par ces laissés-pour-compte, qu’il a aimé et haï tout à la fois, car ils sont près à tout pour un peu de pinard, plus important pour eux qu’une vie confortable. Anthropologue et explorateur, l’incursion de l’auteur dans cet univers l’a bouleversé et il nous transmet ses émotions en ébranlant les nôtres. On refuse les larmes, mais notre gorge est de plus en plus nouée à entendre les mots sur la rudesse de la vie de ces SDF.

Il s’intéresse surtout à parler de Raymond, mais, en parlant de lui, c’est de tous dont il parle. Il a constaté les tentatives de changement chez cet homme avec lequel un lien d’empathie s’était créé alors qu’il avait renoncé à la rue pour devenir serveur dans le Centre de Nanterre. Ce qui lui plaisait et lui suffisait. Aussi, quand il a été question de réinsertion, de profession, de cet argent qui fait courir chacun, il s’est affolé, n’a pas supporté, restant victime d’une société branchée sur la rentabilité loin de concerner tous ces SDF...

« Les Naufragés » est sobrement mis en scène par Emmanuel Meirieu qui avait déjà utilisé, pour « Mon traître » et pour « La fin de l’homme rouge », ce même dispositif d’un unique comédien scotché à un micro.

Ce statisme laisse aux mots toute leur valeur. D’autant que, cependant, ça bouge autour du comédien : ce sont les vagues qui s’échouent, une fumée blanche qui circule, quelques vidéos du portrait de Raymond qui se profile sur l’épave du bateau...

A la fin, Raymond (Stéphane Balmino) vient lui-même clamer une chanson, murmurée d’abord doucement avant de donner à sa voix toute son ampleur issue de son grand corps tatoué. Tel un gros chien fidèle, il se couche ensuite au sol auprès de François Cottrelle qui s’est assis au bord de la mer, comme détaché des douleurs et des joies de ce théâtre bouleversant.

Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une (détail) DR

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