Dans sa mise en scène, Ludovic Lagarde adopte le parti pris de ralentir la cadence, de laisser des silences, des blancs, des arrêts, des pauses, et ainsi ne fait qu’ajouter au « mystère » non élucidé.
Le décor, signé Antoine Vasseur, divise la scène en deux, sans frontière réelle : d’un côté l’appartement design de Stella et James, de l’autre celui encombré d’objets hétéroclites de Bill et Harry. Lorsque James mène son enquête pour savoir ce qui s’est passé exactement entre Stella et Bill lors de leur voyage professionnel, il aura bien du mal à pénétrer « l’antre » de ces deux hommes chez lesquels il lui faudra sonner plusieurs fois au téléphone et à la porte. Dans sa mise en scène, Ludovic Lagarde fait durer la situation à l’extrême en dirigeant les comédiens. Le suspense n’en est que plus délicieux. Un véritable régal !
Quelle importance de connaître la vérité ? Chacun garde sa vérité, sa propre vérité, qu’importe la réalité des faits si on trouve une variété de moments capturés où règnent du mystère et une profondeur insidieuse nécessaire au théâtre.
Une nouvelle traduction d’Olivier Cadiot et une récente distribution, où les comédiens font merveille, révèlent l’intensité et les abîmes de cette pièce mordante et ironique sur un soi-disant adultère dans le milieu de la mode.
Ecrite en 1961 par Harold Pinter (Prix Nobel de littérature en 2005), « La collection » est un astucieux mélange de comédie et de thriller sur les rapports ambigus du désir de quatre personnages.
Ce sont surtout les corps, les gestes, les regards qui parlent ! Cernée de mensonges et de fantasmes, la vérité semble impossible à dire.
Quelle pourrait être la vérité sur cette relation passagère entre Bill et Stella ? A-t-elle seulement eu lieu ? Est-elle un fantasme de l’un ? de l’autre ? des deux lors d’un regard échangé ? Est-ce pour autant une « histoire d’alcôve » ? une raison d’en faire un psychodrame ?
Chaque scène transforme la précédente en son contraire pour ajouter de l’opacité. Chaque individualité se dégage peu à peu dans le formidable quatuor d’acteurs dirigé par Ludovic Lagarde. La jalousie de James (Laurent Poitrenaux) qui harcèle Bill (Micha Lescot) qui l’esquive. Et c’est Harry (Mathieu Amalric) que James rencontre, tandis que Stella (Valérie Dashwood) reste plus opaque, tel un animal (une lionne ou encore enveloppée de chinchillas). Ainsi on ne saura jamais ce qui s’est réellement passé au cours de ce séminaire sur la haute couture.
Les mots ne servent à rien sinon à calfeutrer quelques brèches dans des relations qui tanguent tant et plus. Dans une tirade où il se montre pervers à souhait, Harry exprime son mépris pour les « gens de la zone » d’où il a tiré Bill, en supposant cependant son talent. Sans quitter le quotidien, l’absurdité est à son comble avec des phrases inutiles et ridicules : on se croirait parfois chez Beckett ou Ionesco pour la « banalité » des dialogues. Des silences oppressants sèment quelques malaises chez le spectateur. Obsédé par sa jalousie, James court après une vérité dont les autres n’ont que faire. Pour eux c’est déjà une réalité sans intérêt dont on fait pourtant un mystère. Doit-on toujours tout expliquer ?
Sans doute ces deux couples s’aiment-ils, mais ils se bouffent et salopent leurs vies les uns les autres entre désir et rejet permanent. Sans chercher à se comprendre, ils attendent de l’autre une vérité, la vérité, qui n’est jamais possible à transmettre et leurs envies exprimées se limitent à des olives ou à une tringle d’escalier à mieux fixer. Si l’un est pervers, l’autre sera cruel, s’il est ambigu l’autre sera lascif, mais les rôles sont interchangeables et le spectateur reste pantois. A chacun d’interpréter leurs rapports à sa manière...
Bref ! Tout est parfait et passionnant dans cette courte pièce : le texte, la mise en scène, le décor, et par-dessus tout la remarquable interprétation !
Caroline Boudet-Lefort