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Anthéa - Fanny Ardant dans "Impossible" de Erri De Luca

Pas de mise en scène. Ils sont tous deux face à face autour d’un bureau pour lire le livre de Erri De Luca : lui Carlo Brandt sur un ordinateur où il est sensé, en tant que magistrat, consigner les paroles dites par Fanny Ardant, le présumé coupable. La prestigieuse comédienne tourne des feuillets pour lire le texte qu’elle énonce avec une telle intensité qu’il n’y a aucune monotonie d’une lecture uniforme.

« Impossible », l’un des récents livres d’Erri de Luca, est judicieux et passionnant

Enoncé ainsi, avec de telles intonations, il est encore davantage rehaussé par rapport à la lecture que chacun a pu en faire. Fanny Ardant sait parfaitement mettre en valeur l’argumentation de son personnage face à l’accusation qui en fait un coupable. Elle est sensée être un homme, mais qu’importe, puisque les réactions sont justes et appropriées.
C’est elle qui a désiré s’emparer de ce texte splendide et émouvant. Elle est donc à l’initiative de cette sobre mise en espace, sans nulle référence. Les personnages sont posés là, c’est tout !
Car, tout est dans les intonations, les silences, les regards échangés et les fortes ponctuations musicales du duduk d’Armand Amar.
L’histoire est simple. Suite à un accident de montagne où un homme est mort, l’accusé serait coupable de l’avoir poussé dans sa chute. Par ses recherches, le magistrat a découvert qu’il avait connu, il y a fort longtemps, cet homme qui aurait, à l’époque, dénoncé le groupe révolutionnaire dont tous deux – très liés d’amitié - faisaient partie. Cette trahison n’aurait jamais été digérée par le présumé coupable.
Aussi, pour le magistrat, il aurait machiavéliquement « organisé » cette marche en montagne où, tous deux étant solitaires, il aurait pu pousser son « ennemi » dans le vide. Une chute qui ne pardonne pas !
Pour le jeune magistrat, leur même marche, le même jour, à la même heure, sur ce même sentier d’une montagne très escarpée, est une coïncidence qui lui semble « impossible » !
Depuis une grande distance, le présumé coupable aurait vu la chute de ce marcheur qui le précédait de trop loin pour qu’il puisse le reconnaître, et il aurait donné l’alerte aux secours. « Prétexte ! », énonce le magistrat qui croit que ce comportement n’était que pour renforcer son « alibi ».

C’est un magistrat très retors et très adroit qu’interprète parfaitement Carlo Brandt. Mais le public n’a d’yeux que pour Fanny Ardant, et pour l’intensité de sa voix. On ressent combien ce livre a dû l’emballer : ses intonations sont toujours justes et semblent ressenties au plus profond de son corps qui vibre, comme si elle portait en elle ce personnage qu’elle aurait dans le sang. Montrant une franchise sans stratégie, elle recèle de la grandeur, ce qui semble parfois démonter le juge assis en face de lui (d’elle !).

Erri De Luca a imaginé cet échange entre un jeune juge et un vieil homme « de la génération la plus poursuivie en justice de l’histoire de l’Italie ». C’était une époque où l’engagement politique était très répandu dans ce pays. L’auteur lui-même, très engagé, a beaucoup milité, jusqu’en 1977, pour la Lotta Continua, mouvement d’extrême gauche révolutionnaire. Il ne renie rien de ce passé et a d’ailleurs pris « fait et cause » pour Cesare Battisti, preuve de fidélité.

Dans « Impossible », le magistrat dit finalement l’impossibilité de prouver la préméditation. Si c’est un crime, il est réussi ! Et pour lui, cet homme est coupable !

Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une : de g à d. Armand Amar (musicien) Fanny Ardant et Carlo Brandt. ©E.M

de Erri De Luca

avec Fanny Ardant, Carlo Brandt
Musique Armand Amar
Musicien (duduk) Levon Minassian
Production Les Visiteurs du Soir

Artiste(s)