C’est aussitôt l’affrontement sans merci entre les deux personnes face à face.
Deux demi-frères : Andrew, pianiste virtuose, et Philippe, artisan relieur. On peut y ajouter le père, absent mais tellement présent entre eux...
Maintenant mort, ce père, qualifié de « froid et cassant », aurait été un grand égoïste avec lequel ils auraient tous deux des comptes à régler. « L’un a crevé de son absence et l’autre de sa présence ». Et chacun d’eux, de façon différente, a eu une enfance fracassée.
En fait, leur père était un homme frustré, aigri d’avoir raté sa vie sans réussir à réaliser ses rêves, aussi en voulait-il à la terre entière en prenant son fils comme tête de Turc, en lui imposant le silence. Tandis qu’Andrew dit à Philippe : « Tu ne sais pas ce que c’est quand on est enfant, de sentir qu’on gêne l’existence de sa propre mère, et de grandir en ayant toujours l’impression de déranger, d’être de trop ».
Entre eux deux, non seulement ce père commun - trop envahissant pour l’un, totalement absent pour l’autre - mais la même femme aimée, Hélène : elle a quitté Philippe pour Andrew, lors de leur unique rencontre, il y a 13 ans, alors que Philippe venait d’apprendre de son père l’existence de ce frère. C’est Hélène qui est aujourd’hui l’agent de cette nouvelle rencontre.
Il y a beaucoup d’ironie dans les premières banalités échangées dans lesquelles Hélène est très présente. Le téléphone sonne parfois sans qu’ils répondent : aucun doute, c’est elle qui appelle...
Philippe aime encore cette femme, cela transparaît en filigrane dans des mots éparpillés ici et là. Il y a beaucoup d’hostilité entre eux, ces deux frères : demi-frères, faux frères... Chacun semble jaloux de l’autre avec les multiples secrets de famille transpirants dans une mémoire qui circule de génération en génération.
L’alcool est venu combler un vide pour l’un comme pour l’autre, mais à des moments différents de leur vie.
La révélation des secrets va soudain rapprocher les deux frères, animés par le même sang et l’amour porté à la même femme.
Et aussi, l’évocation d’Andrew sur l’infini concernant les 88 touches du piano, ce qui à fortement retenu l’intérêt de Philippe.
Dévoilé au gré de discussions et d’engueulades, le passé douloureux finit par dénouer un fil trop serré entre eux. Les non-dits, lâchés au compte-goutte, leur permet, au final, de s’accepter mutuellement. Avec le but de la quête des origines, ce combat fraternel fini par tisser un lien entre les frères de cette pièce coup de poing.
Philippe parti, Andrew décide d’ouvrir la valise laissée pour lui par ce père banni et que devait toujours lui remettre son frère. Il y trouve des lettre et une bande enregistrée. Alors que, écoeuré par la mascarade des prix qui lui sont attribués en tant que prestigieux interprète, il avait cessé de jouer du piano, après l’écoute de quelques mots du message enregistré par son père, il s’installe au clavier et entame un morceau de Chostakovitch.
Il est enfin relancé dans son identité par la reconnaissance de ce père qui parle à lui, son fils.
C’est un texte extrêmement émouvant qu’a écrit Isabelle Le Nouvel, un texte parfois violent, avec son accumulation de mensonges et de trahisons dans un drame intimiste et familial.
Très bien mis en scène par Jérémie Lippmann, les deux interprètes, Niels Arestrup et François Berléand, sont fabuleux, ce qui ne devrait étonner personne : ils étaient déjà fortement applaudis dès leur entrée en scène et, bien sûr, encore davantage à la fin du spectacle !
Caroline Boudet-Lefort