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Télévision de Lacan

Alain Amiel a assisté à la projection de "Télévision de Jacques Lacan" dans le cadre de "Psychanalyse et Cinéma" le 6 décembre à l’auditorium de MAMAC (En présence du réalisateur Benoît Jacquot).

Benoît Jacquot fait ses débuts au cinéma en 1965 en tant que stagiaire sur Angélique et le Roy de Bernard Borderie, puis comme réalisateur à l’Institut National de l’Audiovisuel.

Intéressé très tôt par la psychanalyse, dans ses premiers films : L’Assassin musicien (1975) et surtout Les Enfants du placard (1977), il fait intervenir l’inconscient. A propos des Enfants du Placard, un drame familial, il dit : "Je me suis référé à Lacan, à ce que j’ai fait sur Lacan, à l’admiration que l’on sait que je lui porte".
Cinéaste éclectique et expérimental, il réalisera des films dont les personnages principaux sont des héroïnes (jouées par Huppert, Adjani, Godrèche, Kimberlain, Ledoyen, etc.) en rupture avec leur passé, leur famille ou leur métier. Il retrouvera Freud dans Marie Bonaparte jouée par Deneuve. Il tournera aussi des mises en scène de théâtre, comme l’adaptation des Adieux à la Reine pour laquelle il reçoit trois Césars.

Jacques Lacan, Télévision © INA

Télévision

En 1974, il propose à J-A Miller de réaliser un documentaire sur Lacan. Intéressé par le projet, Miller appelle Lacan pour lui demander de recevoir le cinéaste. Le soir même, le rendez-vous a lieu et le projet accepté.
Le réalisateur nous apprend alors qu’un premier tournage a été réalisé : une conversation à trois, "à bâtons rompus, style café de commerce lacanien", nous dit Jacquot.
En tout, trois heures de conversation qui se sont avérées inutilisables pour une émission de télévision.

Il a fallu tout recommencer et les premières bandes - "acte manqué", dixit Jacquot, ont été perdues.

Après avoir envisagé différents scénarios, ils s’arrêtent sur celui d’un interview classique préparé par des questions écrites pour lesquelles Lacan rédigera à l’avance ses réponses.
On n’était plus dans la captation d’un entretien, mais dans une écriture cinématographique classique apte à transmettre quelque chose du re ?el au moyen de la fiction.

Les rôles impartis : Jacques-Alain Miller, sce ?nariste, Benoît Jacquot, metteur en sce ?ne et Lacan, la vedette, les plans ont été préparés et les cadrages minutés à l’avance, mais c’était sans compter les habitudes d’improvisation du docteur qui allait s’évader parfois de ses propres textes dans des envolées lyriques, troublant l’organisation prévue.

Jacques Lacan, Télévision © INA

Dans cet entretien, Lacan s’adresse au public de la télévision comme à celui de son séminaire, en "analysant", ou, comme il le dit aussi, "à la cantonade".

Le dessin de Masson

Derrière Lacan, le grand dessin d’André Masson (son beau-frère) placé sur le mur derrière le bureau a quelque chose d’inquiétant. Pendant qu’il parle, surtout dans les plans larges, on a l’impression que plusieurs paires d’yeux (père Dieu) nous regardent.

Jacques Lacan, Télévision © INA

Benoît Jacquot nous donne quelques autres détails du tournage : réalisé en trois ou quatre séances avec deux cadreurs, un perchman, un éclairagiste, plus Miller et Sylvia (qui venait entre deux prises recoiffer son mari).

ORTF

L’entretien une fois monté et finalisé, il a fallu se préoccuper de la diffusion. A l’époque, il n’y avait que trois chaînes, c’était encore l’ORTF (contrôlée par le pouvoir), et diffuser un entretien de Lacan ne les enthousiasmait pas. De plus, Lacan avait demandé qu’il passe à une heure de grande écoute sur la plus grande chaîne... Bien entendu, cela a été irrecevable.
J-A Miller et Jacquot ont alors l’idée d’organiser une soirée de projection du film dans une salle de cinéma où ils invitent la crème des intellectuels français (Foucault, Deleuze, Sollers, etc ), une salle comble destinée à impressionner les patrons de chaîne.
Pari réussi, un peu troublés, ceux-ci envisagent éventuellement de faire passer l’émission en deuxième ou troisième partie de soirée.
Cela ne satisfait pas Lacan qui décide alors de prendre les choses en mains. Il téléphone à quelques uns de ses analysants ou ex-analysants, des personnages puissants de l’Etat ou des partis, et obtient rapidement ces passages deux samedis soir de suite (les 9 et 16 mars) sur la première chaîne dans la série Un certain Regard.
L’émission va avoir un petit succès, la presse en fera part (un grand article dans Paris-Match, etc.)

Jacques Lacan, Télévision © INA

Un montage plus court de l’émission a été réalisé par la suite, d’après lequel aurait été tiré le livre publié par le Seuil (ce qui explique que le texte n’est pas tout à fait le même). Dans sa dédicace, Lacan écrit : « Pour Benoît Jacquot, à qui, parce qu’il a su me plaire, ce livre somme toute doit le jour. »

Lors de la discussion qui a lieu après la projection, Philipe Degeorges expliquera que cette interview est particulièrement intéressante à plusieurs titres : pour la valeur du témoignage bien sûr, pour la présence physique et la gestuelle de Lacan (ses respirations, ses envolées, ses assertions ponctuées de larges gestes) que beaucoup découvrent, mais surtout parce qu’il se situe à un moment important de la vie de Lacan, celui où il commence à remettre en question ses anciennes théories pour en bâtir de nouvelles.

Le film annonce le "dernier Lacan", encore plus iconoclaste que les précédents, qui "psychanalyse la théorie psychanalytique" en insistant sur la part irréductible de chaque inconscient et sur la singularité de chaque être.

Participants au débat  : Benoît Jacquot, réalisateur, Philippe de Georges et Pascale Bouda qui lisait le texte élaboré avec Armelle Gaydon, psychanalystes, membre de l’ECF. Animé par Lisa Huynh-Van, membre de l’ACF-Esterel-Côte d’Azur. Organisé par l’ACF-ECA, La Cause freudienne à Nice, la Section clinique de Nice et le cinéma l’Eclat, de la villa Arson représenté par Marianne Khalili Roméo.

On peut voir l’entretien complet :

Un film réalisé à l’Université de Louvain en 1972 qui contient un petit historique avec photos de Saint Anne, de son bureau, etc., présente des moments d’un Lacan plus intime (qui a l’air de se confier). A voir aussi à l’adresse suivante :
http://m.youtube.com/watch?v=31iQQTPY-kA

Lacan © Arnaud Rabier Nowart (streetartiste)

Photo de Une : Dessin d’André Masson © INA

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