Il n’y a pas plus bel hommage rendu à cet exceptionnel chorégraphe que cette soirée en plein air au Théâtre de la Mer Jean Marais, à Golfe-Juan. Trois chorégraphies totalement différentes offrent un choix représentatif de l’oeuvre de Maurice Béjart et permettent de revoir - ou pour certains découvrir - le talent et l’imaginaire de cet artiste exceptionnel. Depuis sa mort, en 2007, un de ses principaux danseurs, Gil Roman, a repris la direction artistique des Béjart Ballets Lausanne et veille à prolonger l’élan du célèbre chorégraphe.
Dès 1954, Maurice Béjart avait créé son Ballet de Paris et monté sa célèbre Symphonie pour un homme seul qui révolutionna le monde de la danse. Donnant à cet art un exceptionnel pouvoir émotif, Béjart a associé le rythme de mouvements énergiques à la modulation de la musique. Ensuite, c’est aux cultures du monde entier qu’il s’initia, afin d’ajouter de l’universalité dans son œuvre. Pour cela, le danseur fit face à des préjugés oppressants et renversa des barrières contraignantes, avant d’être reconnu et adulé sur tout le globe, en poursuivant sa carrière de danseur et chorégraphe aux quatre coins du monde.
Grand ami de Barbara, Béjart adorait ses chansons au point de les mettre en danse, leur donnant ainsi une ampleur supplémentaire. Les mélodies de Dis, quand reviendras-tu ? ou de La Solitude se déroulent tandis que les danseurs donnent le rythme. Pour cette chorégraphie de près d’une heure toute en nostalgie, il ajouta des « tubes » de Brel, Ne me quitte pas ou La Valse à mille temps. Musique et voix de Barbara et Brel sont magnifiées d’intenses émotions par les mouvements étourdissants des danseurs.
Sur une musique traditionnelle de l’Inde, Bhakti propose une transcription dansée d’une partie du célèbre Ramayana, immense poème sur les dieux hindous qui sert de base dans toute la culture de cette partie du globe. Rama est une des incarnations du dieu Vishnou. Ses amours avec Sita ont inspiré Béjart pour une superbe chorégraphie qui évoque la méditation et la dévotion de cette divinité.
Le Boléro est resté une de ses pièces maîtresses, célébré par Lelouch qui en a choisi un extrait, dansé par Jorge Donn, dans son film Les uns et les autres. Boléro se révèle simple et fort, tel un rituel comme le voulait Béjart. De cette création, on pourrait ainsi dire qu’elle est vide de danse car il n’y a que des corps en transe. Toute la force et le pouvoir d’envoûtement viennent de là. Le thème imaginé par Ravel est unique, quoi qu’en deux parties et ne varie que par l’orchestration. Une seule phrase musicale s’enroule inlassablement sur elle-même en augmentant de volume et d’intensité, dévorant l’espace sonore. Les mouvements de la danse ne peuvent être que modérés, retenus et contraints par cette répétition, mais appuyés par le crescendo orchestral. La façon dont l’énergie se propage électriquement d’un corps à l’autre, la faculté de déstructurer, et, en même temps, de structurer son propre langage dans l’espace et dans le temps font que le public est lui-même électrisé, atomisé. L’alternance d’un danseur et d’une danseuse donne une couleur différente à la pièce, selon la force intérieure transmise par la personnalité du danseur(se) qui habite le rôle principal.
Jamais mieux que dans les ballets de Béjart, on aura vérifié combien la danse est le vecteur le plus authentique et le plus puissant de l’émotion : traduisant l’ineffable, le corps exprime ce que les mots ne sauraient exprimer.