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CREATION : L’île des esclaves, Marivaux - Théâtre National de Nice - du 6 janvier 2011 au 29 janvier 2011

Un espace entièrement composé d’éléments géométriques…
Une île déroutante à la fois dangereuse et poétique…
Une contrebasse, instrument classique, utilisée avec une sensibilité résolument moderne…
Des personnages plongés dans un univers virtuel…

Et le théâtre de Marivaux, regard sans indulgence sur la société
de son époque et sur l’homme en général, une réflexion universelle sur une paix sociale toujours au cœur des débats.

Intentions du metteur en scène

C’est toute la violence de l’âme humaine qui s’exprime sous la subtilité chatoyante du texte.
Cette île matrice, c’est le symbole du dépouillement d’où pourrait naître une vie nouvelle.
L’abstraction de ce lieu clos ouvre le champ des possibles pour construire un univers scénique qui fait référence
dans notre imaginaire collectif. Un lieu de bouleversements, d’inversements, de cris, de sensualité, de mouvements,
de musique, de fantasmes et de peurs ludiques. Un lieu de jeu, universel et fantastique, qui nous révèle à
nous-mêmes.

En abordant ce texte, je me pose la question du contexte et de son lien avec notre environnement contemporain.
De nos jours quelles sont les nouvelles utopies ? Comment l’Homme rêve–t-il de nouveaux mondes, de nouvelles
règles sociales, de nouvelles expérimentations sur l’âme humaine ? Il s’agit ici de proposer une lecture qui parlerait
à l’esprit du XXIème siècle sans tomber dans le ‘’jeunisme’’. Les nouvelles utopies s’expérimentent aujourd’hui de
plus en plus dans la virtualité : on dessine en algorithmes, on écrit en codes et séquences chiffrées… c’est dans
cet univers que s’ancre mon île. Une île de passage, une île en mouvement issue d’un langage informatique.
Un lieu qui ‘’n’est pas’’ mais que l’on perçoit, qui est à l’image de celui qui regarde, qui rêve ou cauchemarde.
Mon île est une expérience, un jeu virtuel ; Cléanthis, Euphrosine, Iphicrate et Arlequin, en sont les cobayes.
Mon île est la matrice d’un programme où tout est en devenir, où l’humain est l’élément aléatoire d’une séquence
mathématique, prédéfinie.

Au travers de cet étrange miroir du monde, Marivaux nous convie à un cours d’humanité tragi-comique dans une
réflexion universelle sur une paix sociale toujours au coeur des débats. Pouvons-nous prétendre aujourd’hui nous
être amendés face aux préjugés sociaux, aux aliénations, exclusions et discriminations sociales, face à
l’aveuglement de la vanité et la perversion du coeur ? Dans L’Ile des Esclaves, le propos n’est pas la question de
l’égalité des classes et jamais ne seront remises en cause les inégalités sociales autrement que sur le plan de la
morale. Aujourd’hui, après toutes les réformes sociales post-Marivaux, pouvons-nous réellement affirmer que nous
naissons et vivons tous libres et égaux ? Pouvons-nous au moins parler de l’avènement d’une pacification des
rapports de classes ? Le recul et le bilan actuels sur ces deux réflexions sont plus que teintés de pessimisme.
L’utopie marivaudienne reste d’une brûlante actualité face à une situation sociale précaire. D’une manière
souterraine, privilèges, mépris, tyrannie, aveuglement ne composent-ils pas notre quotidien ? Dans cet état de
fait, le projet utopique de L’Ile des Esclaves est une exploration du possible à travers l’Humanité et son évolution.
Elle agit en prenant racine dans la situation réelle comme un révélateur de conséquences dont il ne tiendrait qu’à
nous de tirer avantage aujourd’hui encore.
 Paulo Correia

Au-delà des conventions du jeu théâtral et de la morale clairement affichées, L’Ile des Esclaves produit toute une
mécanique de pulsions et de tensions non résolues, révélatrices d’une époque au bord de l’explosion.
Entre fable philosophique nourrie des principes littéraires de l’utopie et la farce à l’italienne héritée de la commedia
dell’arte et du théâtre de la Foire, Marivaux imagine une expérience en forme de cure thérapeutique sur une île
de Nulle Part (ou Topia), où deux couples de maîtres et d’esclaves échangent leur condition le temps d’un très
rapide cours d’humanité. Alors que Le Jeu de l’amour et du hasard donne à voir l’inversion selon le principe ludique
du travestissement — pour se mettre mutuellement à l’épreuve, les maîtres se font passer pour leurs valets et
vice versa — L’Ile des Esclaves la réalise selon le principe du rituel antique des Saturnales romaines (les valets
commandent aux maîtres pour un temps déterminé).
La comédie philosophique donne à voir par le jeu de l’illusion théâtrale une forme de réalisation de la république
virtuelle selon Platon ; en appliquant le principe du rire à la représentation de ses enjeux, elle en dénonce les
limites : dans cette ferme que les dieux nous ont confiée, peut-on vivre en communauté une forme de communisme
total ? plus de dominants ni de dominés, plus de maîtres.
Or, il ne faudrait pas se méprendre : la cité idéale de Socrate n’est pas démocratique, mais proprement
aristocratique (le pouvoir aux aristos, les meilleurs) ; les maîtres y sont à la fois sauveurs et secourables, tandis
que le peuple est nourricier.
L’expérience utopique du jeu à tour renversé (le vice versa maîtres/valets) ne peut mener à un tout renverser !
Une fois la cure terminée, tout le monde retrouve sa condition initiale pour rentrer sagement à Athènes.
Comme beaucoup d’intellectuels contemporains, Marivaux mêle expérimentation sociale et conviction chrétienne.
Il a jeté un regard sans indulgence sur la société de son siècle et sur l’homme en général ; cependant, grâce à la
force de ce credo de la Raison qu’il partage avec les Lumières, il n’a cessé de croire au devoir de bonté pour rendre
le monde supportable et à la légèreté de l’humour pour le représenter.
Pouvoir être impunément superbe, parce qu’on est d’une grande naissance ; sentir pourtant qu’il n’y a point là
matière à orgueil, et se rendre modeste, non pour l’honneur de l’être, mais par sagesse ; cela est beau.
Etre né sans noblesse, acquiescer de bonne grâce aux droits qu’on a donnés au noble, sans envier son état, ni
rougir du sien propre ; cela est plus beau que d’être noble, c’est une raison au-dessus de la noblesse.
L’Ile des Esclaves, Scène X
Voilà précisément la leçon que maîtres et serviteurs apprendront à suivre sur L’Ile des Esclaves.
  Annie Collognat-Barrès

Il y a assurément de l’excès ici et là, dans l’image d’un Marivaux métaphysicien comme dans celle d’un Marivaux
révolutionnaire. Toutefois aucune de ces deux images n’est complètement trompeuse. A elles deux, elles nous
permettront peut-être d’évoquer la figure complexe de Marivaux, de cet écrivain qu’on peut qualifier de
métaphysicien social. Certes, Marivaux ne conclut jamais. Il n’appelle pas au renversement de l’ordre social ; il
s’en tient au jeu. Mais nous montrer comme un jeu une société qui se prétend immuable, c’est déjà la mettre en
question. Le théâtre de Marivaux n’est rien d’autre qu’un pressant appel à notre lucidité.
 Bernard Dort, Marivaux
ou la société en question

L’intérêt de Marivaux pour les questions politiques et sociales, déjà sensible dans La Double Inconstance, Le Prince
travesti et La Fausse Suivante, s’affirme encore dans L’Ile des Esclaves, comédie en un acte. Cette comédie frappe
par l’audace avec laquelle y sont proclamées sur la scène des idées réservées jusque-là aux traités de morale et
aux prédications.
Le cadre choisi pour les présenter est celui de I’utopie. Maint romancier s’en était servi depuis Thomas More, et
parmi eux Marivaux dans son premier roman, Les Effets surprenants de la sympathie, les aventures d’un naufragé
dans une île dont il civilise les habitants. La société idéale qu’il réalise avec eux est toute semblable à celle dont
Fénelon traçait le portrait dans sa Bétique : on a pu faire des rapprochements précis entre la législation proposée
par l’un et par I’autre auteur, notamment dans le domaine du droit social (une sorte de communisme agraire) et
du droit familial. Ainsi, Marivaux a déjà pratiqué la robinsonnade utopique et morale dans le roman.
Une particularité de la pièce est qu’à un côté romanesque, normal pour ce sujet, s’ajoute une transposition
d’époque. L’action de L’Ile des Esclaves se passe dans une antiquité de convention mêlant quelques noms ou lieux
grecs, des détails de moeurs propres au XVIIIème siècle, enfin des personnages traditionnels du Théâtre Italien,
Arlequin, fidèle à son personnage, et Trivelin, qui s’écarte quelque peu du sien pour jouer un rôle à manteau.
Pas sans audace non plus, si l’on veut bien y songer. Il en fallait pour désigner sous le nom d’ ?esclaves ? les valets
et les servantes du temps. N’était-ce pas faire songer à leur statut, inférieur en réalité, sinon en droit, à celui des
hommes libres ?
Même appliqué aux problèmes domestiques, le mot d’ ?esclave ? restait lourd de menaces.
Considérant ?cette espèce de créatures dont les meilleures ont bien de la peine à nous pardonner leur servitude,
nos aises et nos défauts ; qui, même en nous servant bien, ne nous aiment ni ne nous haïssent, et avec qui nous
pouvons tout au plus nous réconcilier par nos bonnes façons ?, il procède à une véritable analyse de cette condition
d’ ?esclave ?.
Le premier point consiste à noter que l’esclave se sent victime d’une aliénation. Arlequin commence par se plaindre
d’avoir perdu son nom, et ceci est capital. La volonté de puissance du maître se fonde sur le sentiment qu’il a
d’être le plus fort - juridiquement ou socialement, peu importe. La réponse naturelle de l’esclave à ce traitement
est le ressentiment : le mot est prononcé dès la seconde scène. Mais l’esclavage marque aussi plus largement son
âme : la paresse, l’hypocrisie, l’indifférence, qui est pire encore, sont les conséquences de cette dépersonnalisation
recherchée et obtenue.
Mais la réforme des maîtres est la plus urgente, car elle conditionne celle des serviteurs. Dans un premier
stade, elle s’opère par une cure d’humiliation.
Comme les domestiques sont les mieux placés pour observer et les moins portés à l’indulgence pour juger, cette
peinture du théâtre du grand monde, vu des coulisses, est d’une ressemblance cruelle. Après la satire verbale
vient la caricature, plus efficace encore du point de vue pédagogique : les maîtres se regardent dans le miroir déformant
de leurs serviteurs qui tiennent leur place et tournent en ridicule leurs affectations.
De même que la pénitence suit la contrition, de même, après l’humiliation ainsi ménagée, un second stade de la
guérison des maîtres consiste dans l’épreuve de la souffrance morale.
Marivaux ne réclame ni un bouleversement des institutions, ni l’instauration d’une société sans classe ni, à plus
forte raison, l’établissement d’une dictature des humbles. Les formules relatives à son ?socialisme ? ou à son ?esprit
révolutionnaire ? ne sont pas exactes. Son point de vue est moral, et sa thèse plus proche de celle du Télémaque
que de celles du Contrat social.

Si Marivaux annonce Rousseau, c’est plutôt par l’importance qu’il attache à la sensibilité dans les relations
humaines que par une doctrine précise.
On notera que ces revendications limitées en faveur d’un traitement plus humain des domestiques sont fondées
en droit sur la croyance affirmée en l’égalité foncière des hommes. Comme Marivaux le disait dès le Télémaque
travesti avec une parfaite netteté, dans un passage relatif, précisément, aux rapports entre maîtres et serviteurs :
 ?Il n’y a qu’une peau chez les hommes : le portier d’un ministre et le ministre lui-même, quand ils sont tous deux
dans l’eau, se ressemblent comme des jumeaux.?
 In Notice, Marivaux, Théâtre complet, Edition de F. Deloffre

La scénographie

Un espace entièrement composé d’éléments géométriques démesurés tantôt imbriqués, tantôt désolidarisés,
tantôt en apesanteur. Nous sommes à l’intérieur de la Machine, à l’origine d’un monde virtuel dont les formes
émergentes donnent une surface complexe se transformant au gré de la vidéoprojection.
Le parti pris d’une esthétique steampunk permet d’assumer les rouages de la matrice comme axe dramaturgique.
L’île paradisiaque se montre avec l’envers du décor : les mécanismes apparents d’un monde ouvertement virtuel.
Les costumes sont imprégnés de cette ligne graphique et tout l’univers sert d’habillage à une expérience vidéo
ludique totale.
Ainsi le mur fond de scène avec ses formes cubiques écroulées ou envolées, joue avec l’image en créant tour à
tour effets de zoom, de perspective ou de trompe-l’oeil jusqu’à bouleverser les repères spatiaux du spectateur
pour voir émerger une île déroutante à la fois dangereuse et poétique.

La composition musicale


Pour L’Ile des Esclaves, il s’agissait de coller à la dramaturgie. Illustrer un univers dont la façade paradisiaque
révèlera peu à peu ses rouages mécaniques. J’ai composé la musique selon un procédé que j’affectionne
particulièrement et qui consiste à partir de thèmes relativement classiques pour les amener vers une noirceur
quasi-suffocante. À l’image de la démarche du metteur en scène qui consiste à s’emparer d’un matériau du XVIIIème
siècle pour aller vers une lecture contemporaine. La contrebasse, instrument classique par excellence, est utilisée
ici avec une sensibilité résolument moderne. Une mélodie jouée à l’archet se verra distordue, salie par le jeu des
textures sonores — saturations, effets d’harmoniques, stridences, effets électroniques —, l’empilement de
cellules chromatiques, de rythmiques froides et mécaniques et d’effets bruitistes. La partition doit également
soutenir l’univers extrêmement graphique du metteur en scène. Les tempi suivent le mouvement des images
projetées, la musique répond à leur texture et, par son aspect épique, soutient la cruauté du propos, avec des
envolées émotionnelles.
 Merakhaazan

La création vidéo

La vidéo est partie intégrante du propos dramaturgique et donne vie à la composition scénographique.
Les personnages sont plongés dans un univers virtuel. Un monde constitué de nouveaux repères, d’inversement,
où l’apesanteur prend le pouvoir, où les éléments organiques et climatiques régissent l’évolution des protagonistes.
Les images accompagnent et rythment les différents tableaux de leur parcours chaotique jusqu’à leur
accomplissement.
Il s’agissait ici de créer des séquences d’animation mêlant onirisme et symbolisme. En travaillant à base d’images
3D et en y additionnant du compositing, le rendu final donne à chaque scène de la pièce son mouvement propre.
Les ciels omniprésents renforcent la trame dramatique et définissent l’état émotionnel du personnage. Celui-ci
projette sa propre vision mentale sur les supports scénographiques.
La démultiplication spatiale et directionnelle des écrans forme un kaléidoscope où l’image de départ étirée,
fractionnée, dispersée, vient perturber la vision classique d’une simple projection cinématographique. Chaque
image se trouve alors projetée sur une multitude de cubes symbolisant le pixel originel. Les cobayes sont plongés
dans une réalité augmentée où pour devenir maître de l’environnement il leur faut s’affranchir des idées préconçues
et modifier leur point de vue sur le monde dans lequel ils ont jusqu’alors évolué.
 Paulo Correia

Distribution

 Mise en scène et vidéo l Paulo Correia
 Musique l Merakhaazan
 Univers sonore l Clément Althaus
 Décor l Jean-Pierre Laporte
 Lumière l Alexandre Toscani
 Son l Gwen Gaudin
 Chef opérateur l Florent Guinle
 Costumes l Gaële Boghossian
 Assistant à la mise en scène l Félicien Chauveau

Avec
 Clément Althaus l Iphicrate
 Gaële Boghossian l Cléanthis
 Félicien Chauveau l Trivelin
 Ingrid Donnadieu l Euphrosine
 Jean-Christophe Bournine l Trivelin
 Fabrice Pierre l Arlequin
 Jacqueline Scalabrini l Trivelin

 Production l Théâtre National de Nice, CDN Nice Côte d’Azur
 Durée estimée l 1 h 20

Calendrier des représentations

 Jeudi 6 janvier l 20 h
 Vendredi 7 janvier l 21 h
 Samedi 8 janvier l 21 h
 Mardi 11 janvier l 14 h 30 **
 Mercredi 12 janvier l 21 h
 Jeudi 13 janvier l 20 h
 Vendredi 14 janvier l 14 h 30 **
 Samedi 15 janvier l 21 h
 Dimanche 16 janvier l 15 h 30
 Mardi 18 janvier l 20 h
 Mercredi 19 janvier l 21 h
 Jeudi 20 janvier l 20 h
 Vendredi 21 janvier l 14 h 30 **
 Samedi 22 janvier l 21 h *
 Dimanche 23 janvier l 15 h 30
 Mardi 25 janvier l 14 h 30 **
 Mercredi 26 janvier l 21 h
 Jeudi 27 janvier l 14 h 30 **
 Vendredi 28 janvier l 15 h ** l 21 h
 Samedi 29 janvier l 21 h

* Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation.
** Représentation scolaire

Théâtre National de Nice
Promenade des Arts 06300 Nice
Tél. 00 33 [0]4 93 13 90 90
Fax 00 33 [0]4 93 13 79 60
www.tnn.fr

Location
Tél. 04 93 13 90 90
du mardi au samedi inclus de 14 h à 19 h
sur place, par téléphone ou sur le site www.tnn.fr

Tarifs
Salle Michel Simon (salle à placement libre)
Plein tarif : 22 €
Tarif réduit* : 16 €
* (- 25 ans, étudiants, chômeurs)

Artiste(s)