Rien chez lui n’est jamais figé, ni les gestes, ni les musiques, ni les prouesses, sans cesse de plus en plus inventives. Il glane dans ses rêves, ses obsessions, ses fantasmes...
« Room » est une chambre encombrée d’artistes, de meubles, de murs mobiles, de portes... Et c’est par l’une d’elles qu’apparaît James Thiérrée (applaudissements !) qui va se placer au centre d’un cadre où il prononce des mots incompréhensibles, tandis qu’autour de lui ça déménage. L’agitation est à son maximum autour d’une danseuse Sarah Manesse qui virevolte dans une rutilante robe grenat et de quatre musiciens qui répètent en jouant faux.
Le spectacle est totalement foutraque !
Où James Thiérrée veut-il entraîner les spectateurs dans cette chambre « des merveilles », paraît-il ? En fait, c’est un grand bazar avec une accumulation d’objets hétéroclites. Ou plutôt la chambre d’un étrange rêve dans lequel la communication entre tous les personnages semblerait impossible avec leurs corps aux gestes désarticulés et dans leur désordre de paroles saccadées. La cacophonie est totale ! « Bla-bla-bla », disent-ils pour signifier que les paroles sont du « n’importe quoi qui s’envole » !...
James Thiérrée a l’art de poser ses situations avec le décalage nécessaire de l’absurde pour susciter la surprise et l’étonnement chez les spectateurs dans des tableaux fugaces, d’une force visuelle décuplée par l’humour qui donne la part belle à la joie. Jetée au sol, une peau de banane sur laquelle on glisse, « c’est classique », dit-il ! Est-ce un hommage aux films de Charlot, son grand-père ?
La mise en scène assume pleinement le registre comique avec une habilité qu’on aurait tort de sous-estimer, comme si James Thiérrée endossait allègrement l’exercice sans s’écarter du cirque, de la musique, de la danse, du chant, et d’autres fantaisies jubilatoires. Les apparences se renversent à mesure que chacun assume ses désirs les plus enfouis dans cette chambre d’art, ou plutôt ce « cabinet de curiosités esthétiques » qui réunit sur scène des personnalités artistiques différentes. Fort justement, le plus gros succès est revenu à la chanteuse habillée de noir, Sarah Manesse dont la voix est magnifique.
Une équilibriste vêtue de paillettes dorées domine la scène, tandis qu’une autre rampe au sol. Chez James Thiérrée, les corps sont loin d’être des stéréotypes. C’est même l’enjeu de ses spectacles : construire un autre rapport à nos perceptions avec des saynètes divagantes sur l’art, le corps, la voix, les instruments... Comme enfermé dans un laboratoire, il est un homme-orchestre qui veille sur sa troupe tout en occupant tous les postes : création, interprétation, musique, costumes, lumières, ... Il est en même temps ici, là et ailleurs dans cette exploration complète de son univers imaginaire ! Et malgré sa tourbillonnante crinière blanchie par le temps-qui-passe, il virevolte encore dans les airs en pirouettant sur son trapèze !
De situations ordinaires en étrangetés répétées de façon variée, « Room » brille et brouille habilement l’intime et le publique pour confronter chaque personnage à ses aspirations exhibées en toute liberté : danse, musique, chant, équilibre, ... Mais, peut-être manque-t-il la dose de poésie ressentie dans ses précédents spectacles !
James Thiérrée a ses fans qui sont toujours prêts à ovationner sa prestation sur scène, il a donc été formidablement applaudi dans cette nouvelle coproduction d’Anthéa. Bravo ! Encore bravo !
Caroline Boudet-Lefort