- Daniel Benoin est metteur en scène, auteur, comédien et depuis le 1er janvier 2002 directeur du Théâtre de Nice. Il est à l’origine de la création de la Convention Théâtrale Européenne et du Centre Européen de la Jeune Mise en Scène, vice-Président de l’ACID (Agence pour la Création et l’Innovation dans la Décentralisation dramatique). Il a fondé l’Ecole Nationale d’Acteur de la Comédie de Saint-Etienne et plus récemment le Forum du Théâtre Européen.
- Un parcours aussi brillant qu’atypique pour celui qui est venu tardivement au théâtre. Quand il quitte la direction de la Comédie à Saint-Etienne, sa soif de découvrir le Sud de l’Europe le fait d’abord hésiter entre la Cité phocéenne et la Baie des Anges. En optant contre toute attente pour le TNN il crée la surprise. Une décision qui repose selon lui sur un constat très simple : « le potentiel de développement à Nice était énorme, celui de Marseille quasi nul, et l’avenir m’a donné raison, la Criée est en régression et le TNN est devenu depuis 2004 le premier théâtre de France ».
Interview
- Vous êtes depuis 6 ans à la tête du TNN. Avez-vous atteint les objectifs que vous vous étiez fixés ?
– Nous sommes passés de 2700 abonnés à 12 000, de 110 représentations à 350, de 16 spectacles à 70 et enfin de 1 à 7 créations par an. Cette révolution quantitative et qualitative participent au rayonnement du TNN à Paris ou ailleurs. De plus en venant ici je voulais combattre l’ostracisme dont est victime Nice, une ville étonnante qui mérite que l’on ait pour elle des ambitions internationales !
- Théâtre, cinéma, télévision, écriture, comment expliquez-vous votre parcours ?
– En fait je n’ai jamais suivi aucun cours artistiques, sauf en musique classique, où j’étais nullissime, et la peinture que j’ai abandonnée à 16 ans. Je suis arrivé au théâtre en désespoir de cause. N’ayant pas eu de formation spécifique, je me suis ouvert rapidement à tout, étant très visuel et onirique cela a influencé mon approche du théâtre qui repose sur l’interpénétration des formes artistiques.
– Les nouvelles technologies n’ont-elles pas creusé l’écart avec le monde du théâtre ?
– J’étais résolument contre la présence d’images vidéo ou d’un micro sur scène. Aujourd’hui, l’envahissement est tel que l’on doit s’en servir si l’on veut rendre compte du monde. Pendant vingt ans, je trouvais que le théâtre ne devait générer que des images frontales, désormais c’est un rapport plus subtil entre le spectateur et l’acteur qui m’intéresse. Tout ça a commencé avec mon adaptation du film Festen…
– A ce propos vous avez adapté à la scène de nombreux films. D’où vient cette envie ?
– Je trouve que le cinéma qui est un art du réel suscite des sujets ou des prises de positions plus engagés qu’au théâtre. Que le 7ème Art m’inspire aujourd’hui ce n’est qu’un juste retour des choses, car pendant longtemps il s’est inspiré lui même du théâtre que ce soit avec Carné, Guitry ou Renoir. Depuis la nouvelle vague le phénomène s’est inversé. Le déclic est venu lorsque l’on m’a proposé d’adapter Autant en emporte le vent au théâtre Marigny avec Alain Decaux qui a travaillé sur les spectacles de Robert Hossein. L’adaptation ne m’a pas emballé mais en relisant le roman j’ai accepté et repris mot à mot les dialogues du film. Ce ne fut pas un succès international mais cela a fonctionné.
– Comment passe-t-on de l’un à l’autre tout en respectant l’intégrité de l’œuvre ?
– Il n’y a pas de recettes. Faces était au départ une pièce écrite par Cassavetes mais elle était moins intéressante que le film dont je suis parti pour faire mon adaptation. Dans ce même esprit je vais confier à des réalisateurs le soin de monter à Nice leur première pièce, Christophe Baratier réalisateur des Choristes ouvre le ban cette saison, c’est un ami de longue date, je joue un rôle dans son prochain film Faubourg 36.
– Y a-t-il des œuvres cinématographiques qui vous séduisent particulièrement ?
- J’ai revu récemment Lost Hightway de David Lynch, on ne peut pas faire plus cinématographique, mais cela ne m’a pas empêché de penser que cela ferait une belle pièce. Je voulais m’attaquer à une œuvre de Kaurismäki il y a quelques années mais mon travail n’était pas abouti. Reservoir Dogs eût été plus facile mais ce qui m’intéresse dans cet exercice, c’est aussi le challenge…
– La mise en scène cinématographique, ça vous tente ?
– J’ai déjà fait un film, j’adore ça mais le problème c’est que ça m’a pris deux ans et qu’il vaut mieux faire çela à 28 ans qu’après 55 ans. Mais il n’est pas exclu que je m’y remette, j’ai un scénario sous le coude. En fait je rêve depuis toujours de mener de front théâtre et cinéma, mais pour cela il faudra certainement attendre que je ne sois plus directeur de théâtre !
– Quel est la différence entre le théâtre et le cinéma ?
– Le cinéma est un art du réel, le théâtre celui de la transposition. Alors que le cinéma est moderne et multiple le théâtre est lui unique, archaïque et éphémère, c’est pourquoi il est vital de trouver des formes de modernité pour ne pas être enfermé par ces contraintes.
– Comment attirer la nouvelle génération vers le théâtre ?
– Pour la nouvelle génération le théâtre, c’est quasiment de l’exotisme. Moi qui n’aime pas les publics univoques, j’ai accepté de créer des séances l’après midi pour les lycéens. Et ça marche sur dix élèves ont en convainc un, mais trente ans plus tard il revient ! C’est un antidote au tsunami d’images dont les premières victimes sont les plus jeunes. J’ai compris qu’il y avait urgence quand mon fils de 4 ans qui est un fan de PlayStation, m’a demandé un jour que nous étions en voiture en troisième position dans une file, à quel niveau du jeu j’en étais ?…
– Aujourd’hui vous lancez le Forum du Théâtre Européen, vous hébergez Le Festival d’Art russe depuis huit éditions, collaborez avec L’Opéra, Le Printemps des Arts, le Festival Manca, accueillez même des concerts de rock, vous semblez vouloir repousser les murs du théâtre ?
– Un Centre Dramatique National tel que celui de Nice est un formidable outil de culture. Il faut fédérer de toutes parts. Nous accueillons ainsi une quarantaine de spectacles qui vont du plus populaire comme celui avec Fabrice Luchini au plus pointu tel Kliniken ou Marie Stuart. Et puis il a des spectacles non théâtraux. Je mets moi-même en scène de l’opéra et des chanteurs de rock depuis longtemps.
– Le rock dans un Théâtre National ce n’est quand même pas banal ?
– C’est ma génération, d’ailleurs, rock-star ça m’aurait bien tenté aussi ! C’est ce que je me suis dit en montant Cache ta joie , un spectacle sur le rock que j’avais commandé à Jean-Patrick Manchette. Cette saison j’ai la chance de monter Rock’n roll d’après Tom Stoppard qui raconte la chute du communisme en Europe de 1968 à 1990 et en parallèle l’évolution de cette musique sur la même période. On la jouera trente fois dans la salle puis ensuite au Théâtre du Rond-Point à Paris. Cette pièce fait partie de nos sept créations actuelles avec L’Iliade, Macbeth et les 3 pièces inspirées par des auteurs niçois, un nouveau concept inauguré cette saison. C’est ce type de production 100% made in Nice, qui valorise le TNN au-delà de son territoire.
– L’avenir du TNN ?
– Faire de Nice une plateforme du théâtre en Europe. Dans ce sens nous avons décidé avec la ville de créer le Forum du Théâtre Européen. Il y aura des intervenants prestigieux comme Umberto Eco, la venue de nombreux critiques internationaux. Je pense que d’ici quatre ou cinq ans on aura réussi ce pari. Alors peut-être qu’à ce moment là, je pourrais faire mon film (rires) !