Greta Bruggeman et Sylvie Osman, deux des fondatrices d’Arketal se croisèrent en 1981 à Charleville-Mézières ; Drôle d’endroit pour une rencontre ?
Non, car la ville industrieuse est aussi la Mecque des marionnettistes explique Greta « Nous avons essuyé les plâtres de l’Institut International de la Marionnette, Arketal est d’ailleurs un sorte d’anagramme des noms nos professeurs » Un centre qui délivre une formation internationale car ce spectacle vivant fédère en France plus de 300 compagnies sous l’égide de l’association THEMAA
Le théâtre de marionnettes, à l’origine des figurines manipulées en temps réel par des marionnettistes prend racine bien avant le théâtre avec comédiens.
On retrouve ses traces en Amérique du Sud sur des bas-reliefs de 400 et 900 après J.-C. Les peuples primitifs s’inspiraient déjà de sculptures animales ou de totems parés de pouvoir magique pour représenter les moments forts de la vie tribale. Et chaque pays a connu son âge d’or, fait de rites et de héros. Guignol en France, les Pupi en Italie (grandes marionnettes siciliennes en bois), le Bunraku au Japon où elles sont le fer de lance dans l’enseignement des vies de Bouddha. Aujourd’hui la discipline a investi d’autres formes d’art, comme le théâtre ou la danse « Une de nos collègues Emilie Valantin du théâtre du Fust à monté cette année un spectacle à la comédie française, Philippe Genty tourne dans le monde entier. Il est passé par le In du Festival d’Avignon qui s’est ouvert l’an dernier par une relecture des Paravents de Genet pour marionnettes et acteurs. Cet été nous nous y produiront aussi avec Les Verticaux avant de rejoindre le festival de Charleville-Mézières »
Sans fils
L’interaction entre acteurs et marionnettes, la recherche graphique et littéraire, c’est le credo d’Arketal depuis son installation sur la Cote en 1984. En 1990, la ville de Cannes leur propose un atelier de travail puis en 1997, signe avec elle, une convention. En dix-neuf ans, Arketal a créé une vingtaine de spectacles, participé à de nombreux festivals (dont Made in Cannes) et tourné à travers la France et l’étranger (Allemagne, Suède, Suisse, Cameroun, Espagne, Tchad, Thaïlande...) Greta se souvient des premiers pas « Dès qu’on a posé les valises ici un de nos professeurs nous a invité à collaborer sur un projet d’échange entre l’Asie et l’Europe. On a eu la chance après l’école d’apprendre le métier avec lui à Stockholm pour les répétitions puis en Thaïlande où nous avons rencontré musiciens et danseurs »
Depuis les rôles sont repartis. Greta travaille à faire des figures nées sur dessins ou peintures, des « Matières à vivre » jouant avec les matériaux, incorporant organes vitaux au cœur du sujet « Comme nous évoluons en petite équipe nous n’utilisons pas les fils qui requièrent un manipulateur par personnage ». Les marionnettistes étant souvent visibles Arketal puise parfois au sein de l’ERAC* un vivier où Sylvie Osman intervient lors d’ateliers. Sylvie, c’est la comédienne de la Compagnie. En dirigeant la marionnette, prolongement de sa main, elle insuffle la vie au corps inerte qui devenant symbole incarné de notre condition joue à plein son rôle de passeur d’émotions. Mais la limite est parfois plus opaque « Ariane Mnouchkine a créé un spectacle où tous ses acteurs sont manipulés comme des marionnettes par d’autres acteurs. Parfois on ne sait plus qui est humain ou pas »
De la vie des marionnettes
Arketal monte ses spectacles en glanant l’inspiration au fil de ses rencontres « D’abord on choisit le texte puis un plasticien qui intervient sur le langage visuel en concevant personnages et décors ». Le premier spectacle fut « Les trois mousquetaires ».
D’autres adaptations de classiques suivirent comme Antigone ou Pygmalion mais Arketal fait plus souvent appel à des écrivains vivants. Fabienne Mounier pour « Les Verticaux » et le fidèle Jean Cagnard qui participa entre autre à « Bout de bois », une réinterprétation de Pinocchio « Nous collaborons aussi avec des auteurs de la chartreuse d’Avignon, un centre d’écriture pour le spectacle » Arketal investit également avec des plasticiens sa recherche sur la figure marionnette.
Depuis le début du 20 éme siècle celle ci est devenue un nouveau langage dans la quête des formes abstraites s’animant entre les mains de Paul Klee, Calder ou Fernand Léger. « Le Musée national Fernand Léger de Biot nous a commandé un spectacle inspiré par l’artiste qui en 1834 dessina ses propres marionnettes boxeuses ». Et les artistes contemporains jouent le jeu : Marius Rech, Théo Tobiasse, Rolf Ball, des illustrateurs tels Martin Jarrie et pour « Les Verticaux » Wozniak, peintre polonais et dessinateur au Canard enchaîné « En fait ils sont tous ravis de voir leurs personnages s’animer en 3D » Des expositions itinérantes (l’an prochain en Israël) dévoilent régulièrement ses créations exclusives. En 2005, « Toucher du bois » rassemblait à Cannes 40 pantins enfantés par des plasticiens dont Ben, Alocco, Moya, Jean Mas, Eusébi, Virginie Broquet ou Frédéric Lanovsky.
Alternant spectacles pour adultes et pour enfants, Arketal (trois permanents suppléés par une dizaine de collaborateurs) n’a de cesse de faire grandir la marionnette. Un art complet qui inspira Alfred Jarry pour son Ubu roi mais aussi Fellini et Bergman qui enfants, créèrent leur propre théâtre de chiffons. Ainsi pour que perdure la magie, la compagnie propose des ateliers d’initiation, de formation et d’échanges autour des techniques de construction de cette figure allégorique, le plus vieux compagnon de l’humain.