Si la notion de pénitence est déjà présente dans la Bible, c’est au XIIe siècle qu’apparaît le concept de « pénitence » comme « don de soi à l’autre » et non comme mortification.
Nées très probablement au Moyen Age, en partie liées au mouvement des Flagellants initié par le dominicain italien Ranieri, elles se réfèrent surtout à Saint François d’Assise et à Saint Bonaventure, principal organisateur de ces confréries.
Elles sont régies par des statuts et dirigées par un bureau hiérarchisé nommé la "banque" composé d’officiers aux rôles bien définis (prieur, recteur, marguiller, trésorier, massiers porte fanaux, lanterne ou bannière) dont le renouvellement a lieu par élection ou cooptation souvent pendant la semaine sainte.
Composées de laïcs religieux qui se réunissent en confréries autonomes ayant une existence juridique et civile, elles peuvent acquérir des biens et recevoir des legs.
Particulièrement liés aux ordres mendiants : Dominicains, Franciscains, Carmes, Augustins, elles se consacrent à des actions sociales (enterrement, assistance aux malades, aux indigents, mont-de-piété, accueil des pèlerins, etc.). Toutes actions qui doivent se faire dans la discrétion et l’anonymat, raison pour laquelle ils portent une cagoule et un habit particulier qui les couvre entièrement (appelé froc, sac ou Cappa à Nice et Camige à Saorge).
Les confréries se développèrent durant les périodes troublées par les épidémies et les guerres de la deuxième moitié du XIIIe siècle et du XIVe siècle.
Leur essor continua à s’affirmer aux siècles suivants jusqu’à leur suppression à la Révolution et malgré leur rétablissement sous l’Empire et la Restauration, elles ne retrouvèrent pas leur dynamisme passé. Le XIXe siècle et la guerre de 14 consacra leur déclin même si certaines confréries ont mieux résisté.
A Nice, aujourd’hui, il en subsiste encore quatre
– les Blancs sont installés à Nice dès 1306. Bien que la vocation hospitalière soient commune à toutes les confréries, celle-ci est particulièrement impliquée dans cette fonction puisque les pénitents Blancs ont assuré la gestion de l’hôpital public puis fondé en 1632 leur propre établissement route de Turin, actuelle rue de la République.
– les Noirs créés en 1306, plus spécialisés dans les enterrements et l’assistance aux condamnés à mort, avaient le privilège de gracier chaque année un condamné à mort ou aux travaux forcés.
– Les Bleus sont traditionnellement la troisième confrérie de Nice. Fondée dès 1431 pour préparer l’édification du couvent des Franciscains de l’Observance.
– les Rouges, fondés en 1807, résultant de la fusion de trois confréries beaucoup plus anciennes avaient à gérer de nombreuses œuvres caritatives.
Les pénitents d’aujourd’hui continuent à répondre à plusieurs nécessités : sociale, humanitaire, spirituelle, voire traditionnelle par l’organisation des fêtes religieuses et des processions.
La 70e grande maintenance qui vient d’avoir lieu à Nice a permis à Robert Matthey de compléter ses archives déjà riches.
C’est en allant écouter la fille d’une amie qui chantait dans une procession (le chemin de Croix des artistes du Vendredi Saint) qu’il découvre les Pénitents, un monde particulier assez hermétique, feutré, discret qu’il ne soupçonnait pas.
Ses rencontres le poussent à approfondir ses connaissances sur les confréries niçoises. Il rencontre Oreste Galliano, le prieur charismatique de la Chapelle du Saint Sépulcre (place Garibaldi) qui s’est longtemps battu pour préserver ce lieu historique et initier sa restauration.
Pendant des années, Matthey les suit dans leurs activités. Il s’intéresse à ces jeunes adultes dont la ferveur illumine le visage.
Il est aussi fasciné de voir la manière dont les pénitents se projettent dans l’histoire sainte, s’identifiant aux personnages entourant le Christ.
Pour exprimer ces atmosphères, Matthey manie le clair-obscur, les contrastes, réalise des photos de nuit. Il privilégie l’instant, "la photo qu’on ne pas faire deux fois", comme cette superbe photo du gisant éclairée à la bougie, faite en "quelques secondes de vie intense".
Ses photos en noir et blanc sont classiques, hors temps, des instantanés visant l’ intemporel.
Matthey a l’habitude de reportages au long cours, il aime travailler sur le long terme "pour aller au bout des choses, installer un climat, une confiance" comme dans ses reportages précédents sur les ouvriers de Spada (2009), une grande entreprise niçoise de BTP, qui lui ont raconté leur vie, ou son travail dans la durée sur les Gitans de l’Ariane. Son regard esthétique et sociologique fouille des réalités qui passent généralement inaperçues, en dehors des codes actuels du spectaculaire et de l’émotif.
Documentaire, narrative et plastique, son exploration ne se limite pas au champ du visible ou de l’art, elle est destinée à nous faire voir et ressentir un réel autre, inhabituel, inattendu.
Par des jeux de lumière et de contrastes, et des prise de vues fourmillant de détails en arrières plans, il nous restitue sur le papier la complexité de leurs pratiques.
Depuis 1996, il fait le tour des confréries, rencontre leurs administrations, des lieux plutôt fermés, et suit les processions emblématiques comme celles de Saint Sébastien, de Notre Dame du Très Haut et les fêtes de Marie.
Il a aussi rencontré les confréries italiennes aux rituels plus festifs. Leurs processions aux mises en scènes baroques miment la passion avec toujours une pointe d’humour, comme ces angiolettis habillés de blanc avec une couronne de fleurs sur la tête devant incarner le calvaire du Christ, en faisant semblant de se flageller.
En Corse, où les confréries sont très nombreuses, le Catenacciu du Vendredi Saint est à Sartène la plus ancienne et la plus courue des traditions religieuses.
Pour symboliser la montée du Christ au calvaire, "l’enchaîné" effectue un chemin de croix en pente à travers la ville pendant que retentissent des chants religieux. Comme le Christ, le pénitent doit chuter 3 fois, Vêtu d’une aube et d’une cagoule rouge (seul le curé connaît son identité), il porte sur ses épaules une lourde croix de 37 kilos et traîne une chaîne de 17 kilos à sa cheville.
Les pénitents sont toujours ancrés dans la culture niçoise. Gardiens de traditions ils reproduisent les mêmes rituels depuis des siècles
Le travail de Robert Matthey se poursuit, d’autres expositions ainsi qu’une vidéo sont prévues.
Un parcours pour la visites des chapelles de confréries existe, demander la brochure éditée par la Ville de Nice