Il est universellement connu, mais il faut l’approcher de près pour sentir l’humanité, la simplicité, la vérité de cet homme. Grâce à Marie-France Bouhours, le TPI (Théâtre de la Photographie et de l’Image) nous offre une approche originale et passionnante de son œuvre.
Les 236 documents présentés : photos, dessins, collages nous montrent un travail créatif à l’œuvre, dévoilant le rapport entre le dessin et l’image incarnée.
Ce passage du graphisme au modèle vivant est d’ailleurs particulièrement intéressant. On y voit que le corps ne se laisse pas facilement transformer. Il n’est pas la simple adaptation d’une représentation en deux dimensions. Il résiste et nécessite une réappropriation qui fait que certains de ses dessins-collages sont assez éloignés de la photographie finale.
Dans l’excellent film qui retrace son parcours, nous assistons au making off de ses publicités mondialement connues. On est impatient de voir celles qui nous ont marquées comme dans un concert, d’entendre nos mélodies préférées, une même jubilation.
Après le film, nous étions nombreux à écouter le lutin-dandy en chaussures et chaussettes blanches, pantalon large de jogging “feu de plancher”, veste étriquée au revers de col rouge.
Avec une sincérité peu commune, il donne les clefs de son œuvre : une mère danseuse, un père élégant, une Afrique rêvée et surtout des crayons de couleur, véritables prolongements de ses doigts.
Un souvenir d’enfance aussi : par l’entrebâillement d’une porte, il a vu danser Jean Babilée, un danseur hors normes, tout en énergie, selon lui, “le plus grand athlète de tous les temps”. Une image éblouissante qui va conditionner sa vie, le décider à devenir danseur, à vouloir faire "Jean Babilée" comme métier.
Il apprend la danse de toutes ses forces, mais il n’a pas le bon corps (jambes trop courtes, déjà l’obsession des proportions) et finit par se rendre compte qu’il n’a pas le “feu sacré”. Un de ses professeurs lui explique un jour qu’il n’ira pas très loin dans la danse, mais qu’en revanche, tous les petits dessins qu’il croque sans arrêt, ont beaucoup plus d’avenir...
Jean-Paul comprend vite. Puisqu’il ne va pas danser, il fera danser ses crayons.
Près de chez lui, le Musée des Arts Coloniaux avec son bas relief extérieur d’Alfred Janniot et la grande fresque de Ducos de la Haille, impressionnent l’enfant qui passe tous les jours devant.
Les africaines aux corps souples, la luxuriance de leurs vêtements colorés, leur port de tête, le fascinent. Ce ne sont pas l’Afrique ou l’Extrême Orient réels qu’on retrouve dans ses créations futures, mais l’image de pays fantasmés, nés de ses voyages imaginaires dans ces contrées exotiques : mandarins, princesses africaines, geishas, Indiens d’Amérique... Pour lui, la beauté est exubérante ou n’est pas.
Le jeune Goude est travailleur, imaginatif. Il est vite reconnu : Marie-Claire, Dim, le Printemps (il a juste 24 ans), sa carrière décolle à toute allure.
Mais dessiner ne lui suffit pas, il a besoin que ses dessins s’incarnent. Au delà de ses croquis, c’est le corps humain, surtout celui des femmes qu’il veut comme matériau.
A partir de là, elles vont être les actrices de ses délires.
Toujours en mouvement, danse oblige, il dynamise leurs corps, transforme leurs silhouettes en les allongeant toujours plus, en les chaussant de talons démesurés, devenus à la mode bien après.
Sa compagne Radiah va être son premier modèle, il la sculpte, la cisèle, l’allonge pour en faire une princesse africaine. Il devient son "goudemalion".
Les USA viennent à lui, on lui donne la direction artistique d’Esquire.
Vont suivre dix années de créations dont le somptueux et inoubliable travail avec Grace Jones.
Il s’avère très rapidement un fabricant d’icônes très demandé, son premier livre "Jungle Fever" en regorge.
Revenu en France, la photo, la vidéo, la performance viennent en appui de son travail qui se développe dans tous les sens.
Le monde de la publicité, qu’il n’a pas vraiment choisi, le sollicite. Il s’y engage d’autant plus volontiers qu’on lui donne les moyens de ses excès.
Le tournage d’Egoïste, par exemple. En voyant ce film publicitaire, on ne pouvait douter de sa préparation extraordinaire. Le making off présenté dans le film est encore plus impressionnant : l’immeuble est un gigantesque décor derrière lequel se cachent les échafaudages requis pour chaque fenêtre. On assiste aux répétitions de ces femmes sublimes qui doivent faire les mêmes gestes, pousser le même cri, bouche grande ouverte, dans une chorégraphie parfaite. Le mot hurlé : "égoïste" n’est sûrement pas pour rien dans le succès mondial de ce clip qui a nécessité des dizaines de techniciens, d’actrices.... Un plateau quasiment hollywoodien.
De voir Jean-Paul Goude si calme aux commandes de cette énorme machine dit quelque chose de son énergie, de sa tranquille opiniâtreté, et de son empathie pour tous ceux qui travaillent avec lui.
Autres pubs remarquables, celle de Vanessa en oiseau de paradis, se balançant dans une énorme cage sous le regard gourmand d’un gros chat (Chanel), celle de la belle dont le rugissement fait fuir le lion (Perrier), et, bien entendu, celles des Galeries Lafayette qui lui offrent l’opportunité de créer chaque nouvelle année une image de l’air du temps.
Pour les siècles futurs, nul doute qu’elles serviront à décoder année par année, ce que fut notre époque.
Le Bicentenaire de la Révolution française est sans doute le challenge le plus énorme confié à un créateur : plus de 6000 participants, des représentations par pays, des tableaux vivants, plusieurs millions de téléspectateurs... Un projet démesuré qu’il va mener à bien. Avec humour et poésie, il crée un nouveau style de conte de fées joyeux, hybride, égalitaire, d’une grande mixité ethnique (il fait défiler ceux qui ne défilent jamais), jouant avec les codes, les clichés, tout en les subvertissant.
Petit prince hyperactif, créateur d’icônes intemporelles, Jean-Paul Goude est ouvert à toutes les aventures. On attend la suite.
Alors Goude bye...