Les deux auteurs photographes qui participèrent au projet collectif « France, territoire liquide » ne cherchent pas à emprisonner le monde dans leur chambre noire mais procèdent à la manière d’observateurs. Leurs œuvres sont exposées en France et à l’étranger et ont intégré d’importantes collections telles que ABN Amro, la Maison européenne de la photographie, l’Institut du Monde arabe, le Fonds Régional d’Art Contemporain / collection du FRAC PACA.
Chambre avec vues
Chacun des territoires explorés parFavret-Manez est abordé sous un angle saillant en fonction de marqueurs historiques, géographiques, sociologiques et topographiques. Berlin apparaît au travers des monuments de son histoire, Bruxelles par le biais d’une vision intimiste sur ses commerces de proximité, Birmingham via la mutation de son infrastructure industrielle. Ce modus operandi qui s’attache aux signes visibles de transformations dans le réel vaut aussi par une économie d’expressivité : « C’est le regard extérieur au "moi privé" qui nous intéresse, la confrontation directe avec un réel incompressible, un regard exempt de toute hiérarchie. »
Chaque série leur permet de renouveler leur façon de regarder.
Le couple a entamé depuis 2009 un projet au long cours qui les a déjà conduit à Berlin, Bruxelles, Bologne, Birmingham, et les emmènera en Grèce puis à Benidorm. Ces images s’inscrivent dans "Europe - le plan B", un travail mené sur les villes européennes dont le nom commence par la lettre B. « Une contrainte à la Perec qui inscrit dans notre démarche une part d’arbitraire qui va dans le sens de la neutralité à laquelle nous aspirons. »
Par neutralité il faut comprendre que les travaux de Favret-Manez sont à l’opposé de celui d’un reporter, de l’exotisme ou de toute notion d’évasion.
Ce qui est donné à voir dans leurs clichés c’est comment le paysage, l’architecture et l’humain coexistent, interagissent, sous l’influence de contraintes diverses et se combinent du global au local pour façonner un territoire.
Ainsi la beauté, la poésie se révèlent dans ces espaces mis en œuvre, au cœur des rouages de la fabrique du Monde. Seul l’instant capturé à la chambre grand format vaut constat. L’état des lieux s’impose une fois le paysage cadré et « la mise au point » effectuée. Les photos sont une manière d’épure, dégraissée de calibrages esthétisants, d’appropriation qui parasiteraient ce qui s’offre au premier regard.
Quand l’extraordinaire constitue l’ordinaire
C’est ce même enjeu qui les a conduit en 2015 dans une contrée aux confins du monde. « Hyperboréal » est le résultat de la résidence « Klaustrid Air Program à Skriduklaustur ».
Un séjour d’un mois en Islande avec un double défi : explorer un terrain où la nature prend le pas sur l’urbain, débusquer l’ordinaire là où l’on s’attend à ne trouver que l’extraordinaire !
« Hyperboréal » reprend quelques unes des problématiques de leur précédent ouvrage « Les arpenteurs » suite à une immersion sur le plateau de Calern, dans un site d’observation du cosmos, coupé du monde au nord de Nice, et réunissant une communauté de chercheurs du CNRS : « Cette fois nous nous sommes attachés à prendre le contrepied systématique des attentes que nous projetons sur ce pays pour montrer une réalité beaucoup plus prosaïque et finalement très proche de ce que nous connaissons sous nos latitudes. Nos photographies explorent la tension entre cette apparente banalité et le dépaysement propre à cet endroit. »
Traquer la banalité avec l’opiniâtreté d’un chasseur de trésor
La population de l’île s’élevant à 355 620 habitants est concentrée autour de Reykjavik, la capitale qui en accueille deux tiers. Sa densité de 3,4 hab./km2 est la plus faible d’Europe.
"Espaces de frange"
Cette investigation a conduit Anne et Patrick dans une région très isolée à l’extrême Est de l’Islande, sur une trajectoire allant du barrage de Karahnjukar, au nord du glacier Vatnajökull, jusqu’à Reydarfjördur où a été implantée la fonderie Fjardaal appartenant à la compagnie américaine Alcoa que « le barrage de l’aluminium » approvisionne en énergie hydroélectrique. Le pays des volcans grâce à la géothermie et l’hydroélectricité, développe un potentiel énergétique bien supérieur à ses besoins. Faute de l’exporter, l’Islande accueille les industries à haute consommation énergétique telles les usines d’aluminium qui s’y sont installées depuis 40 ans.
« Nos points extrêmes sont situés à 75 km l’un de l’autre, aux limites de l’espace habitable, des hauts plateaux aux fjords de l’Est. Cette série se compose de portraits, de vues urbaines et de paysages. Pour paraphraser Chris Marker, nous avons traqué la banalité avec l’opiniâtreté d’un chasseur de trésor, tout en confrontant cette banalité à ces espaces de frange, de frontière au-delà desquels il est humainement encore plus difficile de s’adapter. »
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