« En employant les mêmes méthodes photographiques que celles utilisées jusque là, ça ne marchait pas bien, je n’aimais pas le résultat. Comment attaquer Nice ? »
Comme la photographie est une capture d’un moment à la fois intérieur et extérieur, il a dû intérioriser son nouveau cadre de vie pour mieux en ressentir l’humeur, en saisir son mystère, pénétrer dans l’intimité de la ville et de ses secrets.
Dans les atmosphères changeantes au fil des jours et des heures, Hatsuo retrouve son goût pour les couleurs et les ciels transparents.
Né dans le petit village de Aikawa, près de Tokyo, Hatsuo Adachihara a toujours dessiné et peint. Enfant plutôt solitaire, il réalisait des petites aquarelles, souvent inspirées par les automnes colorés de sa région. Son goût du détail l’amenait également à se rendre dans un garage près de chez lui pour dessiner et peindre des pièces mécaniques, des roues, des petits vis suspendus.
À l’université, il est attiré par les disciplines scientifiques mais aussi par la philosophie et l’art. Quand il était étudiant à Tokyo, à l’âge de 22 ans, une exposition de peintures de maîtres flamands du dix-neuvième siècle va le fasciner. La lumière irréelle émanant des toiles de Hobbema, de van Ruisdael ou de Cornelis Koekkoek (1803-1862), des peintres souvent cités par Van Gogh, l’éblouit.
Ses études l’éloignent ensuite de ses recherches artistiques. Il part aux USA (pendant dix ans) où il obtient son doctorat de mathématiques avant de se rendre en Ecosse, puis à Paris, où il travaille pour le CNRS (dans l’analyse numérique du laser et les mathématiques non linéaires).
De retour au Japon après douze ans d’absence, il ne s’y plaît plus. Démotivé, déprimé, il fait des photos pour sortir de chez lui. Il trouve le Japon « moche », et sent le besoin de quelque chose d’autre.
Prendre en photo des « choses belles » est devenu une mission, une manière d’appréhender le monde, de montrer ce qui le séduit et l’enchante.
La photographie apporte également beaucoup de choses à ses intérêts pour la philosophie, et même pour les mathématiques.
À l’époque, la lecture de John Berger fait écho à ses questionnements : « Je crois que le fait de jeter un pont entre l’esprit humain et la “nature” au sens large est un besoin très profond de l’homme. Et la peinture répond à ce besoin, parce qu’elle implique de regarder vraiment, de questionner avec les yeux ce que l’on a devant soi. (...) la peinture est très liée à la substantialité mystérieuse du monde, de la nature, de la vie. »
Pour Hatsuo, la photographie a le même enjeu : questionner le monde, repérer les liens, les sens qui s’y cachent et non pas de montrer des objets destinés à la vente. L’industrialisation des images née de la publicité désincarne et dépoétise le monde. Le virtuel fait naître un sentiment profond d’isolement et les milliards d’images qui nous assaillent manipulent les consciences.
Hatsuo est un photographe discret, modeste, il ne veut surtout pas manipuler les choses ou les gens.
Il s’insinue dans la ville, prend des photos de gens de dos, juste un personnage qui passe, ou deux (il aime photographier des couples), rarement plus. il est intrigué par leur regard : Que voient-ils ? Il a plaisir à photographier « des gens normaux faisant des choses normales dans un paysage fabuleux » : des amoureux admirant une côte, un port, vus mille fois, mais toujours à redécouvrir, la lumière qui pénètre dans les petites rues menant à la mer, les arches ensoleillées, la Prom’, le vieux ponton (détruit il y a quelques semaines NDLR), le Plongeoir de La Réserve, etc., tout ce qui l’attire et le rend heureux.
Un regard, on le sait, n’est pas neutre, il est filtré par la mémoire et dépend aussi de l’instant : « Quand je suis un peu déprimé, dit-il, je fais de plus belles photos ». Chaque regard vient de loin. Van Gogh disait : « on croit que j’imagine, c’est pas vrai, je me souviens ». L’image obtenue sera toujours toujours un compromis entre celle qui est dans la tête de l’auteur et la réalité, qui, elle, gardera toujours une part de mystère.
Depuis les hollandais, les peintures de toutes les époques l’inspirent pour la composition et le traitement de la lumière.
Elles ont aiguisé sa sensibilité et continuent à enrichir son regard.
« Quand la lumière est bonne et que j’ai choisi l’arrière-plan (rues, maisons, palmiers, etc.), j’attends simplement que des gens passent dans mon viseur. Ce sont les gens qui donnent le sens et la vie à l’image ». Cette fugacité l’intéresse. Elle exprime la relation momentanée et tendue de l’homme avec l’environnement particulier qu’il traverse. « Les bonnes photos font naître des émotions. J’aime quand on peut les pénétrer sans effort et ressentir leur harmonie tranquille ».
Comme Van Gogh, Hatsuo ne craint pas d’exagérer les couleurs.
Dans ses « photopeintures » de Nice, elles semblent se diffuser dans l’espace et font régner une impression d’irréalité, ou de réalité augmentée. Grâce à leur subtile exagération, ses paysages apparaissent plutôt comme des visions, tels des souvenirs qui dans la mémoire auraient pris des couleurs différentes, plus intenses.
Dans les photos d’Hatsuo, on retrouve aussi les verticales et horizontales des estampes japonaises, leurs perspectives profondes, et le côté paisible des choses.
« Je voudrais faire plus intime, plus simple, pas de grandes photos de montagnes, juste des petites photos d’arbres, de petits paysages. Montrer la beauté des petites choses, leur saveur, leur tranquillité, l’harmonie, leur poésie ».
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