« Picasso-Méditerranée » est une manifestation culturelle internationale qui se tient du printemps 2017 au printemps 2019. Plus de soixante institutions ont imaginé ensemble une programmation autour de l’oeuvre « obstinément méditerranéenne »* de Pablo Picasso. À l’initiative du Musée national Picasso-Paris, ce parcours dans la création de l’artiste et dans les lieux qui l’ont inspiré offre une expérience culturelle inédite, souhaitant resserrer les liens entre toutes les rives. (*Jean Leymarie)
Le Musée de la Photographie André Villers participe à cette manifestation avec une exposition consacrée à la collaboration du jeune photographe et du monstre sacré de la peinture du XXème siècle.
Diurnes est considéré comme étant le point d’orgue d’un compagnonnage artistique associant un artiste mondialement reconnu et un jeune photographe. Pablo Picasso et André Villers se rencontrent à Vallauris
en 1953. Le projet aboutit au terme de huit années d’une fructueuse collaboration. Picasso, monstre sacré de la peinture et modèle idéal pour un photographe, s’invite dans le laboratoire de son ami. Un petit
faune, personnage mythologique, représenté sous la forme d’un papier découpé a été rejoint par d’autres personnages pour composer un monde espiègle qui n’a pas manqué d’inspirer Jacques Prévert apportant
la dernière pierre de cet édifice.
Les 5000 clichés conservés dans ses divers ateliers l’attestent, l’histoire de Picasso et de la photographie s’est écrite tout au long de son existence artistique.
Comme le souligne Anne Baldassari, à partir de 1901, alors en pleine « période bleue », il se confronte au médium. Aux côtés de simples prises de vue d’ateliers, des portraits et autoportraits, se trouvent des épreuves beaucoup plus singulières, notamment des photographies issues de surimpression de négatifs. Avant même de faire sienne la représentation de la morphologie humaine avec le cubisme et la déformation qui en découle, il s’attaque au processus même de représentation.
La photographie s’imposa ponctuellement à Pablo Picasso. S’il l’utilise régulièrement comme base pour élaborer certains de ces portraits ou pour garder trace des étapes intermédiaires de certaines de ses créations, c’est la rencontre et le travail avec une tierce personne, un photographe donc, qui l’entraîna sur le chemin d’expérimentations plus spécifiques. Dans les années trente, avec Dora Maar, il combine les techniques de la gravure et du développement photographique. Au cours de la même période, en compagnie de Brassaï il incise des plaques photosensibles. Plus tard avec Gjon Milli, il s’initiera au dessin dans l’espace à l ‘aide d’un crayon lumineux dont la trace sera couchée sur le papier grâce au concours du photographe.
Ainsi, lorsque Pablo Picasso rencontre André Villers, il est déjà enrichi d’expériences menées avec la photographie, prêt à en découdre. Portraitiste de génie, il était également un modèle hors pair. Comme le décrit si bien Robert Doisneau, il lui était très facile de passer l’autre côté de l’objectif, de passer du statut d’observateur attentif à celui de l’objet du regard d’autrui. Nul besoin d’être dirigé, il savait instinctivement comme se placer face au photographe.
André Villers et Pablo Picasso ont décidé d’enrichir le registre du portrait ou de la photographie d’atelier par l’expérimentation.
Ce petit faune, photographié sous toutes ses formes, reproduit et décontextualisé, ou encore objet de photogrammes a servi de base à la série Diurnes. L’action photosensible sur le papier transcende les qualités intrinsèques de celui-ci jusqu’à le transfigurer.
A l’alternance de pleins et de vides de ces figurines traitées comme des sculptures planes, répond l’interaction entre l’ombre et de la lumière qui caractérise la photographie.
Dans son ouvrage Photobiographie paru en 1986, André Villers se remémore cette période de collaboration vécue avec Pablo Picasso :
« En 1954, Pablo m’a dit : « il faudra que nous fassions quelque chose tous les deux. Je découperai des petits personnages et tu feras des photos. Avec le soleil, tu donneras de l’importance aux ombres, il faudra que
tu fasses des milliers de clichés « (…) Un jour il m’a découpé un petit faune et m’a dit : « Amuse toi avec ça
« . J’ai fait de nombreuses photos de ce faune en surexposition, avec des paysages, des visages, des arbres, etc… Picasso était très intéressé : « Si je fais un trou, ça va faire du noir ?, tu permets que je découpe dans
tes images ? (…) Dans l’atelier où se trouvait la salle à manger il y en avait partout, en très grand nombre, des photos étalées, découpées. Picasso m’a dit : « Tu crois que ça va aller ? Tu vois ici, j’ai ajouté un papier plié pour obtenir un gris, si tu veux l’enlever, comme je l’ai fixé avec une épingle, ce sera plus facile. A toi de maintenant de travailler ! Il y avait tous ces découpages, collés sur un papier à lettre 21x29 quatre petites formes : une tête ronde, un oiseau, un personnage et un taureau, le tout devenant un visage.
Avec ce visage, j’ai fait des tas de tirages, toujours dans un format 30x40. J’ai ajouté autour des raisins, des pâtes alimentaires de toute formes : nouilles, raviolis, coquillettes, vermicelles, du persil, du sel, du sucre,
des herbes etc… Picasso, comme je l’avais prévu et lui avais suggéré, a coupé ces photos et en a fait des têtes et autres animaux, personnages…Par contact, j’ai reproduit des formes, mais le résultat n’était pas celui que
nous voulions. Il aurait fallu reproduire ces photos telles quelles, avec un fond. Picasso pensait que mon rôle de photographe n’était plus assez important de cette façon. (…)
En octobre 1959, j’ai du faire un autre séjour au sana, pour une rechute. A ma sortie j’ai pu travailler avec Picasso. J’ai utilisé le même procédé, c’est à dire que j’ai fait le choix dans mes anciens négatifs et, à l’agrandissement, après exposition de mon sujet sur le papier sensible, je posais un certain temps la découpe de Picasso qui constituait un cache. Ceci me permettait d’introduire dans les têtes, des vêtements, des herbes, de la peau, etc…
Tout de suite, Picasso m’a dit : « il faut qu’on en fasse un livre » Le lendemain, Berggruen, l’éditeur, arrivait de Paris. Jacques Prévert a écrit un texte à la vue des images choisies, en disant : « On va l’appeler Diurnes.
On en a marre des nocturnes ! ». L’ouvrage a été édité en 1962. Il est de format 30 x 40. Il comporte 30 photos, découpages de Picasso avec mes interprétations photographiques.
A propos de Diurnes, Pablo criait : « Ce n’est pas moi qui ai fait ça, c’est Villers ! ».