Composé par Verdi entre Rigoletto et La Traviata et créé à Rome en 1853, « Il Trovatore » (Le Trouvère) se caractérise par un livret particulièrement compliqué qui commence par ce qui serait un flash-back au cinéma.
Vingt ans auparavant, une gitane, accusée d’avoir jeté un sort à l’ancien Comte, a été brûlée vive. Pour la venger, Azucena, la fille de la bohémienne, enlève alors un des fils du Comte pour le lancer sur le bûcher de sa mère. Aujourd’hui (à l’heure de l’écriture de cet opéra), son fils, Manrico, est épris de Leonora qui l’aime en retour, mais elle est aussi convoitée par le Comte de Luna. Ce dernier a perdu son frère quand il était enfant, lors de la vengeance d’Azucena. Mais, prise de folie, celle-ci avait, en fait, tué son propre bébé....
Imbroglios familiaux, soupçons de sorcellerie, jalousies dévastatrices et autres délires vengeurs : la redoutable partition de Verdi, aussi cohérente que somptueuse, suffit à rendre limpide ce stupéfiant argument, mais elle demande des chanteurs devant répondre à des critères d’excellence. Pour enflammer tant de noirceurs, il faut « les meilleurs chanteurs du monde », résumait Toscanini. C’est un festival de cadences folles, de trilles assassines, de coloratures hallucinantes, pour ces malédictions gitanes, ces bâtards enlevés et sauvés, ces jalousies et rivalités entre vrais et faux frères, ces passions impossibles, ces tragédies du sang pur, ces imprécations de délire avec bûchers pour sorcières.
Cette oeuvre est à la fois du grand délire de bel canto et une nouvelle manière chez Verdi de projeter sa voix dans des dynamiques amples, parfois d’une férocité inusitée, mordante dans les attaques.
Pour interpréter parmi les plus beaux airs du répertoire, des chanteurs d’exception ont été requis pour cette nouvelle production de l’Opéra de Monte-Carlo.
Avec sa magnifique voix de soprano et son jeu en accord avec le personnage de Leonora, Maria Agresta prouve son talent avec éclat, suivie par Nicola Alaimo, très applaudi dans le rôle du ténébreux Comte de Luna. Le trouvère mélancolique est superbement interprété par le ténor Francesco Meli. Enfin, celle qui vole la vedette de la distribution est l’ensorcelante et rancunière Azucena. La mezzo-soprano Marina Prudenskaja habite, avec aisance et justesse dramatique, ce terrible personnage. Cette débauche vocale constamment portée par une orchestration flamboyante sauve l’extravagant argument et impose « Il Trovatore » à la fois comme la caricature de l’opéra, mais aussi, par sa richesse, comme une des oeuvres les plus populaires du répertoire.
Le metteur en scène, Francisco Negrin, pense qu’il s’agit surtout d’une histoire de fantômes.
C’est l’aspect qui apparaît le plus dans sa scénographie. Dans un décor d’une austérité radicale, le plateau reste toujours très sombre, seulement illuminé par le feu qui brûle en permanence, parfois avec une simple flamme, mais bien souvent par une véritable fournaise qui crépite. Tandis qu’un enfant traverse la scène en portant une faux, les visages des choristes sont éclairés d’une lumière rouge fantomatique. On se croirait dans un enfer où sont jetés les personnages pour leurs actes de folie, leurs vengeances, leurs regrets ou leurs désirs inassouvis.
La vengeance est le moteur de cet opéra et le passé reste obsédant : il freine le présent avec son besoin d’amour. Azucena, hantée par sa mère et son fils brûlés vifs, est envahie de culpabilité. Elle n’aura de cesse de venger sa mère, ce qui sera fait. On admire cette femme au moins autant qu’on la craint. Son air final est saisissant dans sa violence.
Avec une musique d’une exceptionnelle beauté, Verdi écrivit pour « Il Trovatore » quelques-unes de ses plus belles pages et, à juste titre, les plus célèbres.
La puissance du chant traduit tous les élans, sublime tous les désirs et magnifie toutes les souffrances. On applaudit à tout rompre !
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Caroline Boudet-Lefort