Le célèbre monologue de La Contrebasse de Süskind aurait pu être écrit pour lui mais Jean-Christophe Bournine n’est pas musicien d’orchestre. Il est seul en scène et compose. C’est bien là que réside toute la magie !
Des boucles de basses qui se chevauchent, des percussions pulsant du fond de l’organisme, des harmonies démultipliées à l’archet qui déchirent l’air de traits acérés ou soyeux. Orientale, tribale, noisy, classique, cyclique, la musique de Merakhazaan vient d’une contrée lointaine, chimérique. Mais son auteur, lui, est bien là, s’activant dans le halo de lumière sur sa machine à démonter le temps. Et ce soir-là, en guest de Carla Bley, l’homme en noir (étaient-ils plusieurs ?), mit knock-out dans les cordes la salle Grappelli !
Du skateboard à la contrebasse
Se jouer des obstacles, des codes, expérimenter tous les terrains, surfer sur la crête, sur un fil tendu comme le funambule, le jeune homme, avant la musique, fit sa première expérience de l’air en skate. « Un univers où l’on brassait tous les styles : gothique, punk, grunge, pop, Nirvana, Beastie Boys et Sonic Youth » Il a 16 ans quand il joue dans un combo expérimental de la basse électrique. Sa rencontre avec l’ancêtre, deux ans plus tard. Du lourd ! « Jouer de la contrebasse, me semblait hors de portée comme le conservatoire ! » Pourtant après en avoir acheté une avec ses économies, le voilà au pied du mur : « J’ai pris des cours à Carros. J’étais le seul élève. Un élève sans grandes ambitions qui voulait juste apprendre la technique ». Finalement il s’aventure du côté du conservatoire de Nice. Celui qui rêve déjà de transformer sa contrebasse en générateur de sons y rencontrera un professeur qui lui donnera le goût du solfège et du classique. Il fait ses trois cycles mais surtout il perçoit l’étendue qu’offrent ces cinq cordes qui ont déjà suscité bien des vocations. « La contrebasse, qui se joue en classique à l’archet, s’est émancipée avec le rock et le jazz sur le mode pizzicato (cordes pincées). Le premier à avoir fait des traits mélodiques fut Berlioz. Dans les années 50, la technique s’est développée avec le jazz puis avec les compositeurs contemporains. Les cordes en boyaux ont été remplacées par du métal. Les jazzmen l’ont rendue plus véloce. On a découvert qu’on pouvait en tapant dessus créer des rythmes, et des sons bizarres en jouant les cordes après le chevalet ou en y insérant des objets comme John Cage préparait ses pianos »
Sur tous les fronts sonores
Fort de sa nouvelle expertise, Jean-Christophe monte en 2000 « Marteau Ventouse ». Si le nom évoque un délire à la Jean-Pierre Jeunet, le trio s’inspire plutôt des expériences de John Zorn. Notre contrebassiste amplifié aux côtés d’une fille au piano électrique et d’un batteur qui envoie des samples, va poser au cœur de ce zapping musical un premier jalon. « Les pédales Delay sont apparues. J’ai adopté le système pour faire des solos en improvisant. C’est avec l’auto-sampling en temps réel que j’ai envisagé la possibilité d’une formule solo ». Au lieu de s’enfermer en studio, il se rode en live dès 2002 improvisant dans l’atelier du marionnettiste Serge Dotti ou au Bar des Oiseaux. 2005 marque sa naissance : « J’ai pu enregistrer en live à sa salle Juliette Gréco à Carros. Là j’ai validé mon projet et trouvé ce pseudo qui évoque un pharaon ou un guerrier mongol ». Après avoir enregistré ce premier LP, il décroche en 2007 le CAD (Conseil artistique au développement), un soutien de la région et de la DRAC. Un an plus tard, une carte blanche aux Nuits carrées où il invite Marine Thibault, flûtiste de Wax Tailor, Hervé Koubi et Dj Click. « Ce tremplin fait le buzz » comme quatre prestations successives à « 06 en scène » dont trois ciné concerts (Nosferatu, Un chien Andalou, Metropolis). Sur cette lancée on le voit en lever de rideau de Bumcello, Magma, Young Gods, Magik Malik, Secret Chiefs, Nosfell, Brigitte Fontaine. Toujours avec un retour positif quel que soit le public. « A la MJC Picaud, une ado m’accoste pour me dire qu’elle avait aimé le côté noisy. Son père me parle Terry Riley, une dame de mon côté classique. J’ai même joué la peur au ventre dans un village de chasseurs, mais ils sont restés scotchés ! Ma musique ne laisse jamais indifférent, chacun y trouve son compte ». Est-ce l’éclectisme de ce musicien qui a digéré bien des influences (classique, baroque, musique contemporaine, indienne, tzigane, indus, jazz, soul motown) ? Mais d’autres portes s’ouvrent… « Très vite, les chorégraphes se sont tournés vers ma musique hypnotique avec un temps qui s’étire, intéressant pour la danse ». Après son one shot avec Hervé Koubi, Éric Oberdorff, l’invite à composer pour la Cie Humaine Butterfly Soul puis Juana au programme du TNN en novembre dernier. Les metteurs en scène s’y mettent. Premières expériences avec Voix publique et le collectif 8 pour une création de Paulo Correia au TNN, l’Ile des Esclaves. Il crée plus récemment pour la Cie Cellule T4 sur un texte de Pinter (Le Nouvel Ordre Mondial) présenté en 2013 à la Semeuse et qui se produira en 2014 au Théâtre Anthéa. « C’est là que l’on m’a utilisé aussi comme comédien ». Une transversalité qui conduit le musicien à faire aussi des performances sonores et corporelles avec Daniel Pina ou Lisie Philip (Cie Antipode).
Aujourd’hui Merakhaazan se partage entre tous ces champs, faisant parfois des incursions dans les arts plastiques : pour la Nuit des Musées près de Belfort, le vernissage d’Anthony Mirial à la galerie Maud Barral, avec le photographe Franck Olivas. « C’est une musique qui s’y prête. Pour le spectacle vivant c’est une évidence ! Le ciné-concert me permet lui d’aborder des formes séquentielles, sans début ni fin. Les musiques de films procèdent de cette façon. J’aimerais en signer une ! »
Deux albums à son actif, dont en 2012 un récital électronique (Imago Record), Merakhaazan n’est pas un pilier de studios. « Je fais des disques pour trouver des dates. Ma musique est à entendre en live car il faut voir le processus de fabrication sur scène et parce que je ne fais jamais deux fois la même chose ! »