MUSIQUE
Opéra de Nice : Une soirée dans la peau de Billie Holiday
Dee Dee Bridgewater, nourrie très tôt au scat façon Ella Fitzgerald, a ainsi revisité les classiques de la Lady Day en un répertoire dédié aux plus belles heures du jazz New Yorkais. Retour sur un concert magistral.
À l’Opéra de Nice, où les virtuoses de la musique classique sévissent, Dee Dee Bridgewater n’a pas à rougir. Au contraire, même. Elle prouve encore une fois l’étendue de son talent en reprenant le répertoire taillé dans le vif de la Lady sings the Blues, Billie Holiday. Et bien qu’elle n’ait pas connu les affres de son aînée (notamment célèbre pour son addiction aux drogues et à l’alcool), elle a su incarner l’esprit, l’âme torturée de la Diva, feutrée, magnifique de noirceur. Quelqu’un a dit de Billie : « elle fait voir le ciel et l’enfer, l’ombre et la lumière de nos âmes ». Le 11 Mars dernier ce loisir nous a été accordé puisque voir ce ciel et cet enfer en écoutant des morceaux mythiques tels que Strange Fruit, hymne antiraciste (les étranges fruits étaient ces noirs pendus aux arbres…) fut de toute beauté.
Si l’artiste revisite Billie Holiday, c’est aussi parce qu’elle évoque sa propre enfance au sein d’une famille de musiciens accomplis. La mère est pianiste, et reprend volontiers les gammes d’Ella Fitzgerald (une influence primordiale dans l’œuvre de Dee Dee Bridgewater) tandis que le père, trompettiste, enseigne à de futures grandes figures du jazz. Une adolescence mouvementée lui donne goût au voyage : voilà la deuxième vocation qui emmènera la chanteuse très tôt sur les routes, grâce à un Big Band universitaire (Illinois). Et tous les chemins menant au succès, elle effectue aujourd’hui ses tournées dans le monde entier, avec toutefois une petite préférence pour la France. Après le Festival de jazz à Marciac, passage d’un soir à Nice, donc, pour y combler les fins amateurs de jazz. Une belle façon de redécouvrir Billie Holiday, son esprit, son univers. Du jazz, donc, et quelques notes essentielles de blues…
Parmi les moments forts de cette magnifique soirée, citons les solos déjantés du batteur qui nous emmène dans des délires de percussions endiablées. Dee Dee Bridgewater l’ayant rejoint, on la voit dansante, frappant des mains, chantant de son scat débridé. Un moment incroyable, où la musique se passe de tous commentaires. Pendant plus d’une heure trente, la chanteuse enchaîne les morceaux, des plus anciens –parfois injustement oubliés- à ceux qui firent la consécration de la chanteuse. Citons ainsi Strange Fruit et God Bless The Child, deux très grands morceaux dont le premier, poème écrit en 1937 par un étudiant noir, Abel Meropool, porte tous les fruits d’une composition géniale, aux accents tragiques : « Southern trees bear a strange fruit,
Blood on the leaves and blood at the root, Black body swinging in the Southern breeze
Strange fruit hanging from the poplar tree. »
Des trémolos dans la voix, des élancements soudains d’un chant parfaitement maîtrisé : Dee Dee Bridgewater avait tout juste ce soir-là. Un enchantement réuni autour de quatre musiciens excellents, accompagnant avec maestro le timbre puissant de cette amoureuse du jazz. Définitivement une grande chanteuse.