Dans les années 30, Robert Byron écrivait : "L’énergie et la bonne humeur me reviennent, en grande partie grâce à Anna Karénine". Hospitalisé à Mechhed, célèbre lieu de pèlerinage, dans ce qui s’appelait encore la Perse avant 1935, Byron nous apprend que ce n’est pas forcément le livre le plus drôle du monde qui nous redonnera le moral. Pour paraphraser Montesquieu, il n’y a pas "de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé".
Robert a le même patronyme qu’un autre sujet anglais, le poète Lord Georges Gordon Byron, et fait partie de cette espèce passionnante des écrivains voyageurs : le Président de Brosses (1709-1779), nos quasi contemporains Ella Maillart, Alexandra David-Neel, Bruce Chatwin ou Nicolas Bouvier.
Du président de Brosses qui nous laissa de délicieuses lettres d’Italie, Byron a la gaieté. Il a "un fichu caractère" mais est "incroyablement drôle". Ses qualités transparaissent dans La Route d’Oxiane, référence en matière de littérature de voyage, qui nous amusera aussi. Ce texte est le récit de son expédition à partir de Venise. Il parcourt la Grèce, la Palestine, la Syrie, l’Irak, l’Iran. Il se rend chez les Afghans, ces "amoureux des roses" et atteint la majestueuse Peshawar, terme de son voyage. Dans certains de ces pays on circulait alors plus librement. Comment visiter autrement qu’avec des croquis ces monuments et ces paysages dont les textures et des couleurs - les bleus sur le chamois du désert, le rose fané et le mauve - sont fidèlement traduites.
Robert Byron cible les rieurs en pointant le pittoresque de la nature humaine, en racontant ses démêlés administratifs qui sont des sketchs avant l’heure. Pour pénétrer dans les mosquées, il devait se déguiser, plutôt mal, en se dessinant des moustaches au charbon de bois. Comme il était blond aux yeux bleus, cela l’amusait beaucoup, et encore davantage de le raconter. Certaines de ses phrases prennent l’aspect de pâtisseries orientales.
À la recherche du charme persan, il s’en montre déçu : les vestons occidentaux imposés par le Shah sont "un affront à la dignité humaine". À voir dans les rues de Téhéran des hommes habillés comme de petits fonctionnaires londoniens, "on ne parvient pas à imaginer que cette nuée de bâtards miteux appartienne à la race des hommes qui ont charmé tant de voyageurs, par leurs manières, leurs jardins, leurs talents d’écuyer et leur amour de la littérature".
Sa vie fut brève : il disparut en mer quand son bateau fut torpillé au nord de l’écosse en 1941.
En Topolino au bout du monde...
C’est cette Route d’Oxiane qui a précipité Bruce Chatwin sur les chemins du monde et sur ceux de la littérature. Il signe la préface de ce "sommet du genre". Sur les conseils de l’Irlandaise Eileen Gray, designer et architecte de la Villa 1027 de Roquebrune-Cap-Martin, autre figure bien connue de la Côte d’Azur, il part en Patagonie et sera reconnu comme l’un des plus grands auteurs de la littérature de voyage. Il terminera sa vie à Nice en 1989 et sera l’un des premiers morts du sida.
Nicolas Bouvier est un autre déclencheur de vocation. On ne lit pas L’Usage du Monde sans être saisi de l’envie d’aller ailleurs à la rencontre de l’inconnu. Avec lui on voyage par procuration. Son besoin de s’émerveiller se résume à cet aphorisme "partir et vivre ou rester et mourir", même s’il faut traverser "des paysages qui vous en veulent". Il part de Genève, "à petite allure" dans une modeste Fiat Topolino, sillonne Orient et Extrême-Orient. Il adore le Japon où passe une année en 1955. Journaliste, écrivain, photographe et iconographe : ses archives personnelles sont constituées de 30 000 documents, et son œuvre est considérée comme chef d’œuvre de la littérature de voyage. Envoûtant !
Bonnes lectures et... bonne route !