On pouvait craindre un reportage-témoignage, fait par des journalistes à la recherche de l’émotion facile et surtout très pressés de ne pas subir l’oubli de l’épopée involontaire qu’ils décriraient. Mais c’est tout le contraire.
L’éditeur , pour commencer.
Publié dans la collection blanche de Gallimard, celle réservée aux œuvres littéraires, le récit d’Ingrid Betancourt semble défier toutes les attentes. De l’écriture, donc, une volonté d’élever le débat.
L’épaisseur de l’ouvrage, ensuite.
Non que près de sept ans de captivité et de tourments ne vaillent autant de pages. Mais n’est-ce pas trop en demander au lecteur que de s’intéresser si longuement à un récit qui ne peut être que désagréable et dont il connaît la fin ?
J’ai vu des amateurs de littérature faire la moue. J’ai vu des journalistes commentateurs s’extasier. J’ai vu Ingrid Betancourt, d’une fraîcheur inouïe, faire en une journée (pas plus) le tour de tous les plateaux TV et studios radio qui comptent. Et j’ai néanmoins voulu lire, en avoir le cœur net.
Le livre ne vous tombe pas des mains, loin de là. L’écriture est serrée, nerveuse, parfois maladroite. Mais elle respire la sincérité. L’usage de quelques clichés littéraires ci et là est attendrissant. Tant le propos est grave, dans son ineffable banalité. Ingrid Betancourt raconte sa vie dans la jungle, les rapports incertains qui se nouent avec des ravisseurs eux-mêmes victimes de l’incertitude, du danger incessant, de la dureté de la jungle. Les tentatives d’évasion, aussi désespérées qu’indispensables pour garder vivant l’espoir, l’énergie vitale, la force de vivre et de se battre. La détérioration de ses rapports avec Clara, son assistante, qui vit la même captivité, mais avec des attitudes différentes…
Je n’ai pas suivi les polémiques entourant l’enlèvement, la captivité, puis la libération. Il n’y est fait que vaguement allusion dans le livre. Mais ce récit se suffit à lui-même. C’est un roman d’aventure dont l’épice est son indubitable sincérité. Non qu’on ne puisse imaginer que tel fait ou tel détail soit oublié, occulté, enjolivé. Qu’importe ! Nous savons tous que nos souvenirs sont faits de faits et de ressenti. Et dans l’apparente absence de construction dramatique de ces souvenirs de geôle, ce qui revient sans cesse est l’étonnement devant la force qu’il faut pour survivre, garder son esprit en ordre, maintenir son corps en fonctionnement quand on est abruti par la fatigue et la faim, assailli par la vermine, humilié jour pour jour.
À chaque page on se dit : aurais-je été capable de survivre à cela, serais-je sorti de là vivant mais fou ? Et on va jusqu’au bout, et on ressent , après le dégoût, après le fatalisme, après l’admiration, une intense jubilation. Le récit est palpitant, Ingrid Betancourt n’est pas une romancière, mais ce qu’elle nous rapporte est plus qu’une tranche de vie. On reste songeur longtemps.. et on espère que personne n’aura le mauvais goût de tirer de ce récit un film de cinéma.
Car on ne voit pas comment même le grand écran pourrait rendre mieux ces sept ans dans la vie d’une femme que ce livre auquel on s’attache, on ne sait pourquoi, comme à un souvenir de quelqu’un qu’on a connu.