La sorcière a parcouru l’Histoire dans la fumée des bûchers : trop laide ou trop belle pour être honnête, trop diabolique ou trop angélique pour ne pas être suspecte. Dès 1340, le Sabbat apparaît dans les procès de l’Inquisition dit de sorcellerie et les bûchers iront en se multipliant. L’intolérance religieuse ne s’est guère souciée des souffrances vécues par les sorcières ou prétendues telles. En 1609, les femmes ont été particulièrement pourchassées et éliminées au pays Basque. La répression de la sorcellerie dans cette région venait s’ajouter à celle-ci dans tous les pays.
Des familles et des voisins se chamaillaient depuis des années pour diverses raisons très confuses, s’accusant mutuellement de sorcellerie, prétexte retenu par les « services spécialisés » dans la chasse aux sorcières, une routine habituelle dans toute l’Europe à l’époque. Suite à l’accentuation de plaintes de querelles de voisinage, sur l’ordre du roi Henri IV, les membres d’une commission arrivent à Bayonne avec, parmi eux, le conseiller Pierre de Lancre, chargé de « purger le Pays basque de tous les sorciers et sorcières sous l’emprise du Diable ». Il va faire régner la terreur dans la région du Labourg, en envoyant au bûcher plus de 600 victimes en quatre mois. Avec le but de mettre de l’ordre, une redoutable chasse aux sorcières était amorcée...
En s’appuyant sur les notes et comptes-rendus de ce juge sadique et cruel, Pierre de Lancre, Josane Charpentier a écrit un ouvrage très complet et très érudit sur cette période où les sorcières étaient accusées de pouvoirs maléfiques.
Certes, grâce à leur connaissance des herbes, elles étaient capables de rendre malade ou de guérir, mais on peut nier avec certitude, leur capacité à métamorphoser ou à communiquer avec les morts.
Les Basques étant des marins absents une grande partie de l’année, Lancre décrète que les femmes deviennent sorcières ou endiablées n’étant traitées en femmes qu’à moitié. Toujours dans cette région, des danses étaient très pratiquées et elles le sont encore, aussi peut-être étaient-ce des danses religieuses que Lancre poursuivait sous le nom de sabbat.
Nombre de vieilles superstitions et recettes de bonne femme où le Diable aurait trouvé sa place ont permis d’envoyer au bûcher bien des sorciers, quels que soient les doutes quant à la véracité des accusations. Se réunir entre femmes au cimetière était considéré comme un sabbat ce qui les menait tout droit au bûcher. Dire la « bonne aventure » implique l’accusation de sorcellerie... S’ajoute l’énumération de cas où le diable joue un rôle primordial, parfois transformé en crapaud ou en chat noir maléfique, ou bien il prenait la forme du bouc, animal fantasmatique, symbole de la Nature.
S’il semble un peu énumératif, comme il se doit dans tout texte qui se veut exhaustif, l’ouvrage a le mérite d’éviter le sensationnalisme de bazar en se référant aux citations de Lancre.
Il est soutenu par une multitude de précisions exigeantes qui permettent au lecteur de visualiser des scènes de sabbat ou de tortures pour arracher les déclarations (vraies ou fausses !) des suspects. Le soupçon suffisait pour accuser et « aucune méthode n’était trop vile pour obtenir des aveux ». Hommes, prêtres, enfants, mais surtout des femmes, furent brûlés après avoir souffert les tortures de la question dans le Pays de Labourd.
Sous la torture, tout et n’importe quoi peut être raconté, avoué, et les faits sont suffisamment édifiants par leur cruauté pour qu’il ne soit pas nécessaire d’ajouter quelques descriptions horrifiantes. Tous les motifs familiers qui illustrent l’univers de la sorcellerie sont présents : le sabbat, les crapauds, les vols nocturnes à cheval sur un balai ou un bouc, sortilèges et poudres maléfiques, messes noires, repas de coeurs d’enfants non baptisés, ...
Malgré les nombreuses références historiques et citations, la lecture de « La Sorcellerie au Pays Basque » est facile et agréable et le lecteur s’attache avec émotion à l’histoire cruelle de ces femmes, dont la naïveté pouvait les rendre trop vite suspectes, ce qui les fit mourir sur le bûcher. Comme une observatrice désabusée de ce spectacle, Josane Charpentier nous convie à une inépuisable énumération où les soi-disant sorcières sont torturées et brûlées.
Quand le récit se boucle, le lecteur sort effondré de ces tragédies et interloqué de cette période d’obscurantisme.
Avec une écriture documentaire, sans fioritures, l’auteure garde une juste distance : celle de cette époque lointaine, bien sûr à laquelle s’ajoute celle du réel. Elle s’en tient aux faits, aux jugements arbitraires, sans qu’il puisse être question de la parole des soi-disant sorcières, sans valoriser la perception de leurs vies intérieures, ni exprimer ce qu’elles pouvaient ressentir. En écrivant uniquement sur du matériel préexistant, elle réussit habilement à apporter de multiples éclairages et le livre se montre extrêmement convaincant.
Josane Charpentier a toujours été passionnée par l’Histoire et les Sciences Occultes ce qui légitime son intérêt pour les sorcières et le sort qui leur a été infligé en Europe au XVIIe siècle. On la sent complice de ces sorcières comme si elle-même, ayant vécu à cette époque, aurait risqué de finir brûlée parmi elles sur un bûcher. Cette empathie n’est pas la moindre qualité de cet ouvrage.
Caroline Boudet-Lefort
Josane Charpentier a également écrit « Le livre des prophéties » (Robert Morel, éditeur) et « La France des lieux et des demeures alchimiques » (également réédité récemment aux Editions Dervy) où est référencé le Cloître de Cimiez, à Nice.