Les éditions du cercle de la librairie publient un livre bien moins rébarbatif que son titre ne le laisserait entendre sur ce sujet, collection de contributions de chercheurs sociologues et psycho-machins, bref, des savants.
On a toujours un peu de peine à séparer dans ce type d’ouvrage ce qui est opinion ou intuition de l’auteur et ce qui résulte de recherches indubitables et incontestables. D’autant que bien sûr la recherche, l’enquête nourrit forcément l’opinion. Mais gare quand c’est l’opinion qui, sous forme de préjugé ou de désir inconscient, pilote la recherche.

L’intérêt d’une étude collective est donc dans la diversité des points de vue de départ qu’on peut espérer. Sous la direction de Christophe Evans, plus d’une douzaine de lettrés formulent ici autant de discours passionnants sur une des grandes évolutions de notre décennie : l’irruption de la « lecture » sur écran dans l’univers jusque là borné de la lecture imprimée. Plus même, la pratique intensive et inévitable de l’hypertexte n’est pas seule encause dans le changement rapide de nos mœurs communicatives. Dominique Boullier par exemple pointe avec pertinence un autre phénomène récent : l’entrelaçage entre texte, hypertexte et vidéo. Une vidéo qui n’est plus simplement objet de consommation ( 2 milliards de videos sur YouTube) mais véritablement vecteur d’écriture nouvelle. Là où il y a quelques années encore un féru de nouvelles technologies aurait fièrement posté un billet ou un commentaire sur un blog, aujourd’hui, il envoie une vidéo (ou autovidéo) faite tout bêtement avec son téléphone portable et dont la semiotique n’a plus rien à voir avec ce que le camescope dérivait du cinéma amateur.
Bref, tout cela change beaucoup à notre manière de nous informer ( entre la source « légitime » représentant par le media institutionnel, quelque soit sa technologie et l’accumulation de tweets, vidéos et commentaires de blog, où et comment va-t-on chercher sinon la vérité du moins la vraisemblance, l’information sur laquelle s’appuyer avec quelque chance d’équilibre ?
Il y a bien sûr du conflit de génération sous tout cela, mais il ne s’agit plus d’opinion ou de posture : tout notre comportement cognitif change radicalement et c’est presque miracle que malgré une certaine désaffection, la parole imprimée maintienne une sorte de prestige supérieur.
Où tout cela nous mènera, cet ouvrage ne nous le dit pas. D’autres études nous prédisent la disparition rapide de la librairie au profit d’un nouveau type de commerce-service, où tous les medias cohabiteront dans un processus de valorisation mutuelle. Les questions ici valemnt mieux que les éventuelles réponses. Mais ce livre fournit aussi une bonne base documentaire (des chiffres) permettant de faire le point sur la lecture aujourd’hui. Et, bien sûr, un terreau stimulant pour une réflexion/analyse sur ce que nous faisons de nos deux yeux.
En attendant, 250 auteurs sont attendus et rencontreront 10 000 lecteurs au festival du livre à Nice ce week end et c’est également un signe... de persistance rétinienne ?