Jean-François LLANOS d’abord :
Avec La carte et le territoire de Michel Houellebecq, nous tenons un réel chef-d’œuvre.
A travers la vie d’un peintre exceptionnel, au tempérament solitaire et sauvage, Michel Houellebecq nous expose sa conception de l’art, de la création artistique, de cette entité immanente qui transcende l’artiste et le réduit à être l’exécutant d’une force créatrice qui le dépasse et qu’il est loin de maîtriser. Le personnage principal est une sorte d’emblème, d’archétype, absorbé par sa création ; il est tour à tour peintre, photographe puis revient à la peinture comme si à chaque fois une partie de sa vie venait de s’accomplir et que s’ouvrait devant lui, comme une évidence, une nécessité, un nouveau chapitre. Cette conception de l’art dominant l’artiste qui relègue sa vie personnelle au second plan est d’une rigueur, d’une exigence et d’une élévation exemplaires. Et cela n’a rien à voir avec l’image de l’artiste maudit telle que la concevait le dix-neuvième siècle.
Deux personnages principaux se partagent l’espace du texte : l’artiste, Jed Martin et Michel Houellebecq, écrivain.
J’entends d’ici les détracteurs de ce dernier hurler à la prétention, à l’audace incroyable, au manque d’humilité et j’en passe ; c’est qu’ils n’auront pas vu, pauvres niais qui se fient aux apparences (Ah ! Platon, ta caverne n’est jamais loin...), que le Michel Houellebecq, personnage du roman de l’écrivain Michel Houellebecq n’est qu’une caricature (le personnage va d’ailleurs mourir d’une manière atroce) et que celui auquel s’identifie l’auteur, son porte-parole, son double, c’est l’artiste, le peintre, Jed Martin.
Nous tenons un chef-d’œuvre, vous dis-je. Avec tout ce que cela comporte de sérieux, d’ironie, de grandeur. L’écriture en est sobre, élégante, classique : pas d’effets de style, pas de vocabulaire précieux ni baroque ; plutôt une langue à la Flaubert ou à la Stendhal.
Et si Houellebecq obtenait le Goncourt ?
– Jean-François LLANOS
Quant à moi, que dire sinon qu’en entamant la lecture, une agréable surprise me saisit : le style est maîtrisé et fluide, apparemment dépouillé des anciennes outrances, l’appareil de reproduction semble disparaître des préoccupations premières de l’auteur assagi (encore que…) et on s’enfonce sans déplaisir dans la vie de cet artiste qui se voudrait raté mais à qui le monde, ironie de l’auteur, donne un triomphe. Jusqu’à l’apparition d’un personnage nouveau : Houellebecq lui-même. Ah mais s’il y a caricature ce n’est pas celle de Houellebecq (et on ne lui aurait pas prêté cette grandeur d’âme). Je suspecte que Houellebecq se décrit lui-même comme celui qu’il voudrait être. Quant à l’outrage, il revient au galop. Ce n’est plus pipi caca bite couille, ce sont les situations, et bien sûr, cette insupportable manie de s’appuyer sur des personnages à notoriété pour s’en gausser, genre blague de potache. C’est-à-dire sans aucune pertinence et au-delà de toute impertinence. Houellebecq reste Houellebecq. Où est la littérature quand un auteur ne sait plus se désigner que par la paraphrase archi-cliché de « l’auteur de… » en passant en revue l’intégralité de sa propre production littéraire (à la manière d’un stagiaire de PQR (presse quotidienne régionale) essayant de se souvenir des recommandations de son prof de sixième). L’opus se termine sans queue ni tête, comme si n’ayant pas réfléchi à une fin, l’éditeur se faisant pressant, la saison des prix approchant…
Dans le genre analyse ou peinture d’époque, on a fait mille fois mieux depuis longtemps. Reste un bon sujet de conversation pour dîners en ville, et quand on voit qui sont les personnages « visés », on imagine bien à qui s’adresse l’auteur. Sans doute cherche-t-il le financement d’un nouveau film. Mais ici, nous n’avons pas encore le début d’un scénario… Prendre en considération ce livre pour un prix, qui plus est pour le Goncourt, ne peut que déconsidérer celui-ci. Mais Houellebecq n’a pas besoin d’un prix pour qu’on parle de lui…
– Daniel Schwall