HHhH : « Himmlers Hirn heisst Heydrich » (le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich). Le titre est volontairement cryptique, et c’est ici déjà que commence la singularité de ce livre. Ce n’est PAS un thriller. Un premier roman, certes, mais, derrière une apparente discontinuité de courts chapitres qui entremêlent, effectivement comme si on était déjà dans le scénario du film qui sera tiré du livre, déjà une grande maîtrise du récit. Les personnages, l’action, les décors : nous sommes dans le réel… mais aussi dans ce que l’écriture a de plus évanescent, le combat du romancier avec lui-même, avec le sujet. La vérité historique devient une sorte d’obsession névrotique, et c’est bien cette mise en scène de l’auteur en dialogue avec son sujet qui fait l’originalité du propos.
Vu ainsi on pense immanquablement à Littell et ses « Bienveillantes ». Qu’on se rassure, ce livre-ci reste dans des proportions tout-à fait digestes. Mais le rapprochement est intéressant. L’horreur nazie et son incompréhensible réussite sont au centre des deux livres. Littell créait un personnage fictif d’une incroyable crédibilité : plus vrai que réel, en somme. C’était la descente aux enfers, collective et personnelle en même temps. Chez Binet ce serait plutôt de rédemption qu’il est question. Il se met en scène comme récitant, personnage réel donc, mais réel jusqu’où ? Le secret du romancier est de ne pas laisser apparaître la couture entre son vécu et son invention.
Le style est à la fois complexe et ramassé. Binet raconte, use de la langue, la laisse résonner. En même temps la structuration en chapitres ultra-courts facilite une lecture rapide.., trop rapide si on n’y prend garde. Et là où Littell développe toute sa morgue, le ton de Binet est modeste, empreint d’humour discret.
Le prix Goncourt pour l’un, le Goncourt du premier roman pour l’autre. Les distinctions sont méritées, l’une autant que l’autre… et d’avoir lu, aimé ou haï l’un, ne dispense pas de la lecture de l’autre.