« Où allons-nous si vite ? », la thématique du Festival, divisait. Jean-Marc Levy Leblond s’interrogeait sur l’espace davantage que sur le temps, rappelant que l’univers est en expansion constante, une expansion qui s’accélère avec une perte de repère et de direction à l’image du mouvement brownien : ces petites particules qu’on peut mettre dans l’eau et qui sont ballottées au hasard. En revanche, il rappelait que la science a moins progressé depuis 1945, que par le passé. Than Nghiem parle de son expérience de grande manager de sociétés, l’équivalent de trader, jusqu’au moment où elle assiste sa mère les derniers mois de sa vie, foudroyée par un cancer. Elle relativise alors et abandonne tout pour fonder une association, l’Institut Angelus, dans le but de faire partager sur la toile, des projets pilotes en matière de développement durable.
Nicole Aubert, elle, recentre le sujet estimant que les pays développés ne sont pas justes. Avant, il y avait une destination d’ordre religieux comme but de la vie. Les systèmes, les idéologies laissent l’homme aujourd’hui dans un vide. La seule finalité semble être dans l’accélération, la quête d’intensité qui a remplacé la quête de salut. C’est tout le propos de son livre, très intéressant : « Le Culte de l’urgence. La Société malade du temps » chez Flammarion.
Tocqueville se désespérait déjà de ceux disposés à vivre comme s’ils ne devaient exister qu’un seul jour. Le Capitalisme autrefois était sous tendu par l’idée du sens de l’au-delà avec l’Ethique protestante de Max Weber. Les entrepreneurs savaient qu’il fallait réinvestir dans l’outil de production, ils pouvaient se sentir l’égal de Dieu. Signe de l’élection divine : ils avaient travaillé pour réussir. Les capitalistes réalisaient une œuvre : Steve Jobs, Bill Gates qui rend une partie de sa fortune aux déshérités, Bouygues. Le Capitalisme financier n’a pas de production. Ce sont les technologies contemporaines qui apportent des gains en des millionièmes de secondes. La technologie est pleinement au service de l’économie.
Urgence et instantanéité sont rapprochées de la notion de logique de marché et de profit immédiat avant de définir ce que Nicole Aubert nomme l’homme compressé en lien avec la place du salarié, puis elle mesure les conséquences de l’urgence, les pathologies qui en résultent. Elle évalue ensuite ce que l’homme est devenu après avoir passé en revue les dangers, les catastrophes qui peuvent survenir de par ces états d’urgence : un homme-instant en quête d’éternité et d’intensité de soi, pour toujours ne pas voir la mort quand le but, lui, n’est plus d’actualité. C’est le mythe de l’agité selon l’essayiste Philippe Tretiack, avide de découvertes et de nouvelles sensations dans le cadre d’une Société maniaco-dépressive. Tout se passe comme si on refusait la finitude du temps. Cette idée d’éternité peut parfois toucher notre présent. On parle d’instants merveilleux dont le philosophe Kierkegaard dit qu’ils sont la pénétration de l’éternité dans le temps, comme si l’éternité qu’on rejette souvent après le temps était en réalité en sommeil au fond du présent selon Etienne Klein. L’idée d’éternité est en mutation, elle, se retrouve aujourd’hui davantage dans le furtif que dans le définitif ou la constance, loin d’une éternité comme désincarnée du temps qu’elle a toujours été. Notre Société en réseau, basée sur les nouvelles technologies de l’information, a aboli l’idée de l’irréversibilité du temps puisque l’éphémère, l’immédiat, ce qui nous permet de franchir l’espace en une fraction de secondes, fait qu’on est dans un temps sans durée qui éternise le présent. Nicole Aubert en conclusion, nous invite à ne pas se laisser enfermer dans cette logique et à réintroduire l’épaisseur du temps de la maturation, de la réflexion et à ne pas réagir que sous le mode de l’impulsion.
Un ouvrage d’une haute tenue littéraire, philosophique , symbolique et poétique où l’on peut s’aventurer sans forcément suivre la chronologie tant l’éventail est grand des variations sur le même thème du stress, de l’urgence et du besoin de se sentir exister pleinement, quitte à s’étourdir dans des tâches sans véritable construction. De « Femmes dans l’urgence » à l’ « Homme insuffisant », l’analyse est poussée, les témoignages de cadres ou salariés décortiqués dans un souci de démonstration non exhaustive. Beaucoup reste à déplorer ; le manque de recul sur une action entreprise. On passe tout de suite à la suivante qui elle-même peut être annulée en cours de route, faute de budget accepté ou parce qu’un concurrent aura trouvé comment produire le même produit moins cher. Manque de mise en perspective face à une existence trop hachée, trop discontinue que la pression soit subie ou choisie, l’intensité s’oubliant aussi vite qu’elle est vécue. Conséquences sur les caractères : des hommes-machine anticipant tout le temps, micro-planning pour chaque tâche à accomplir, projection constante pour assurer le bon déroulement des différents moments.
Cependant un reproche à ce livre : les causes de cette aliénation qui sont peut-être la mondialisation, laquelle entraîne la peur du concurrent et l’ouverture à la spéculation, ne sont pas assez rappelées ou recherchées comme si cette course à la puissance par l’exploit face au monstre Temps était irréversible.