De ce propos on pourrait donc déduire un certain sens de démagogie. Eh bien non, tout au contraire. Au lieu de nous ravir de jolis petits dessins et tableaux explicatifs et documentaires Orsenna nous emmène vraiment sur la route. Voyage fait de dépaysement, de surprises et d’anecdotes . Voyage de curiosité délicieuse. Voyage à la fois initiatique et confirmatif.
Le papier. Sujet à profondeur philosophique avérée. Avant lui il y avait… tablettes et surtout papyrus. Mais le voyage commence en Chine. Dans la bibliothèque murée dans une grotte de Dunhuang, où sommeillait pendant un millénaire une bibliothèque aussi précieuse qu’inattendue. Preuve que le papier est , contrairement à l’entendement commun, un support d’une extrême durabilité et qui ne craint finalement que l’humidité comme ennemi séculaire.
Et le voyage se poursuit… la fabrication bien sûr, les multiples usages, l’histoire, les enjeux politiques et culturels… saviez-vous que les journalistes a Fukushima, pour informer une population dénuée de tout media d’information, écrivaient leurs articles à la main au dos d’affiches décollées ou récupérées – retour étonnant au dazibao ? et moultes autres anecdotes émaillent ce qui est un vrai voyage, dans l’espace, dans le temps, dans l’esprit, dans le souvenir.
Oui, Orsenna, quand il apparaît à la télévision, aime faire le pédant, le puits de culture, celui qui nous fait tous nous sentir vaguement coupable de nos ignorances. Oui, à la lecture de cet ouvrage comme des autres on jalouse bien entendu un auteur à qui l’éditeur paie d’innombrables voyages futiles et inutiles dans l’idée de nourrir son ouvrage. Mais il nous reste entre les mains un petit bouquin, sans prétention apparente, que nous apprenons à aimer à chaque page, et chaque page nous incite à aller plus loin, à la rencontre d’une nouvelle découverte. Comme à la lecture d’un policier, mais sans le sang mauvais qui s’en dégagerait. Au contraire, une joie d’apprendre, un plaisir de lire, et de réfléchir sans y être obligé.
On en redemande et l’envie de retourner aux précédents tomes de ce petit précis de mondialisation est irréductible. Car ici point de polémique, point de politique mais le bonheur ineffable du savoir, de l’apprentissage, de l’émerveillement.
Que le papier vous intéresse ou non, peu importe finalement. Orsenna suit dans sa démarche quelques auteurs américains comme Daniel Borstyn ( « les Découvreurs ») pour qui le storytelling est un métier sans honte. Vendre son sujet, le rendre appétissant et désirable, voilà ce qui conviendrait à plus d’un de nos universitaires si savants et si ignorants de la communication à la fois. C’est ce que nous montre Orsenna : une leçon de choses interminable et renouvelée.
Faut-il en tirer une conclusion ? La mienne, celle du libraire, sera celle de Jean-Louis Ezine : « Voilà donc la preuve que l’électronique est au papier ce que l’ascenseur est à l’escalier : loin de le supplanter, il le rend indispensable… »