« Go ! »
Ayant pas mal écrit dans les pages du magazine « Go ! », mes retrouvailles avec César et Jany Carré de Meurdrac m’ont donné envie d’en revisiter les exemplaires, et le ton joyeux, éclectique, sportif de la dizaine de numéros m’a réjouie, même les éditoriaux de César étaient alertes, des sortes de raccourcis de sa philosophie de l’éclectisme, de l’exploration… pour exemple, son Editorial du numéro 10 :
Ce numéro de 116 pages, à cheval sur deux mois, avril et mai, est principalement consacré à trois thèmes : Yves Montand Président du 40e Festival de Cinéma, Guido le peintre sculpteur de l’insolite et les Petites Antilles avec Cathy Berg et Hervé Perrin qui vous feront découvrir le fabuleux CARNAVAL de TRINIDAD.
Ce 40e Festival de Cinéma nous donne aussi l’occasion de publier quelques « bonnes feuilles » signées Alomée Planel, qui édite, chez Londreys, un livre relatant 40 années d’Histoire du Cinéma à Cannes.
Cette année fêtera encore les 40 ans de plusieurs festivals, Aix et Avignon en particulier, dont nous donnons un aperçu des programmes de l’été prochain, avec, ce moisci, en avant- première, Falstaff à AIX.
La pub, tant à l’honneur aujourd’hui, était déjà un art d’avant-garde. Avec les « Signes d’Email », nous vous montrons ce qu’elle représentait, quand, plus stable et pérenne, elle méritait qu’on la pige sur de l’émail plutôt que sur du papier.
Nous terminons par la bonne bouche avec des recettes de saumon frais, de Norvège, que deux chefs méditerranéens vous proposent en toute simplicité.
Le mois prochain, vous trouverez dans GO MAGAZINE un dossier tennis, la nouvelle télévision au travers du MIP TV pour sa 32e édition cannoise et, bien sûr, les reportages du Festival de Cinéma, le Grand Prix de Formule 1 de Monaco en images.
Côté tourisme, nous irons faire un tour au St-Tropez d’avant les vacances, où il sera question de mode, de sport et de farniente balnéaire.
Le temps des loisirs organisés est arrivé. (César Carré)
« La Question » de Gilles Ehrmann
Et alors j’ai ressorti de mes articles, par exemple celui sur l’immense photographe qu’était Gilles Ehrmann, sur son exposition à la Galerie Alexandre de la Salle intitulée « La Question »… et mon texte (signé Avida Ripolin) avait pour titre « Au point feu de la magnitude (unité de mesure de l’éclat des étoiles) » :
Devant la série de photos (dix-sept : sept et un huit, huit couché égaie l’infini) de Gilles Ehrmann, intitulée « La Question », il se fait un tel silence, on entre dans un tel domaine de nonlangage, qu’il faudrait laisser monter la vision à son point culminant et s’immerger là dans des champs magnétiques mêlés : celui du regardeur, du voyant et celui de la chose vue. Chose ? Champcreuset, plutôt « chantier mental ».
Le cœur sombre des choses, leurs ténèbres, leur ensoi obscur vient à être irradié par des lumières adjacentes : celle du soleil, celle de l’esprit humain. Quand monte la phosphorescence et que se mettent à briller les objets, ils sont radium pur et diamant. Quand le réel étincelle, qu’il est un petit bing bang euphorique, tout s’immobilise et une douceur nacrée envahit l’intérieur et l’extérieur, les fait communiquer comme des plis l’un de l’autre. Les parois de cet esprit se couvrent d’or, de cristal. Plus de miasmes, plus de scories. Tout s’affine. Tout se fond, même si les contraires s’affrontent en chimismes interactifs. C’est du cœur noir du feu que s’élèvent incandescence et vapeurs subtiles. Le grésillement est là pour rendre le silence plus aérien, la pierre refroidie plus figée. C’est de masses lourdes et opaques, de montagnes intenses que s’évaporent d’impalpables éthers. Le dur, le compact baignent dans un lac si aveuglant qu’il devient invisible. Trop de lumière éblouit, mais c’est l’œil du dedans qui s’éclaire et jouit.
L’immobile et l’agile se coulent dans le même signe, tout se montre, monte à sa propre surface nacrée, s’élève jusqu’à sa propre physionomie, affleure à sa propre fusis, sa nature, exprimée comme un jus de métal liquide à un moment privilégié. Tout l’or caché s’extrait et vient se fixer pour désigner mieux le précieux vêtement du constitué. Nouvel état et nouveau langage.
C’est l’intériorité du monde, alors que la photographie s’adresserait d’emblée à son extériorité. La chambre noire, noir ouvrage, de Gilles Ehrmann, déchiffre, prend ce qui appartient à l’extérieur pour le rendre assimilable, soluble pour l’esprit. Elle le traduit en une équation autre, dans des termes volatils. Gilles Ehrmann interroge cet extérieur, trouve une formule dans laquelle puissent s’intégrer l’organisme de celui qui capte et celui de ce qui est capté, grâce à de nouveaux éléments chimiques, des bains, et construit une image qui est un espace de transformation. Un champ opératoire. Si l’on oublie le savoir-mémoire, si l’on se remet complètement en jeu à chaque fois, on manipule l’extérieur, comme on manipule la manipulation qu’on lui laisse faire de vous. Il y a interaction dans toutes les directions. Plus rien n’est linéaire. L’image n’est plus un champ clos mais une rose des vents. C’est une image neuve qui a surgi de l’opaque, s’est détachée et brille comme une étoile. Elle irise les nuées sans bornes de la quiddité. (A.R.)
Cosi fan tutti (comment font-ILS tous ?)
Mais j’avais oublié « Les trois Jeanne à l’Opéra », et le sous-titre : « Cosi fan tutti », pour parler des hommes !
Puisqu’on parle beaucoup des femmes en ce moment, c’est peut-être le moment de le relire :
Parlons d’abord du théâtre lui-même. Du lieu : l’Opéra de Nice. Avec ses ors, ses balcons, ses miroirs, son lustre de cristal et son grand rideau de scène, un vrai rideau rouge à drapés. Il en a entendu des cris de femmes, ce lieu. Les Elvire, les Léonora, les Traviata, les Comtesses., ces femmes malheureuses, trahies, amantes délaissées, amantes qui se sacrifiaient pour le bonheur de l’homme ! ces femmes dont l’auteur aimait à dire qu’elles sont infidèles de nature, et jalouses, et sottes, faibles, intrigantes, souvenez-vous : Cosi Fan Tutte. Il y a eu quelques exceptions, des femmes fortes, la Périchole, Penthésilée…mais qui finit par tomber amoureuse d’Achille… quant à Carmen, elle paie cher sa liberté sexuelle, elle meurt punie par Don José. Les Jeanne, elles, reprennent un peu l’histoire à Aristophane, à « L’assemblée des femmes ». Elles sont une assemblée, à elles trois, car elles font toutes les voix, des voix de beaucoup de femmes. En fait elles font bruisser la scène de multiples voix de femmes, c’est une vraie place publique. Rien ne leur échappe du vice de forme des relations de couple. Et cela ne veut pas dire qu’elles soient contre les hommes. Elles aussi, elles aiment l’amour avec l’homme, et les caresses de l’homme. Et c’est justement parce qu’elles ont, chevillés au cœur et au ventre, le désir et le besoin de cet amour des hommes qu’elles refusent de subir le chantage. Ce fameux chantage à la tendresse qui fait que l’on devient esclave pour obtenir son paradis. Et ainsi le paradis s’éloigne bien sûr. Le paradis, ce ne peut âtre que l’amour et la lucidité partagés. L’égalité. Elles ne sont pas dupes, les Jeanne. Et pourquoi voudriez-vous qu’elles le soient ? On est à la fin du XXe siècle. Elles sont cruelles ? Ne l’a-t-on pas été avec les femmes ? Ecoutez plutôt les anciens Egyptiens : « Il n’y a pas une entreprise qui réussisse si une femme s’en mêle ».
Cabale de Prague, XVIIe siècle : « Le Seigneur forma Lilith, la première femme, comme il avait formé Adam, à la différence qu’à la place de boue pure, il se servit de saleté et d’excrément ». On pourrait faire une bible sur papier soie de tous les mauvais jugements sur les femmes, de tous les crimes exercés sur elles. Moi je trouve qu’elles sont de plutôt bonne composition. Alors les Jeanne se défendent, elles ne sont pas cruelles. Qui les trouve cruelles ? Les femmes complices de l’ordre ancien, médiéval, et les hommes non-féministes. Les hommes féministes, j’en connais quelques-uns, ne les trouvent pas cruelles. Et pourquoi les trouve-t-on cruelles ? Parce qu’elles ont énormément, mais énormément de talent, et d’impact. Parce que, comme troupe de femmes seules, elles « occupent » les théâtres comme on occupe les usines, les instruments de travail.
Figurez-vous que l’Assemblée des femmes en question n’était jouée que par des hommes. Et Lady Macbeth aussi. Pendant plus de seize siècles, c’étaient uniquement les hommes qui étaient chargés de la représentation des figures, des mouvements, parce que le monde était leur territoire exclusif. Et ces personnages d’exception, Lady Macbeth, et Carmen, sont encore le fruit de l’imagination des hommes. Et où sont, au XXe siècle, les troupes de femmes comme il y a eu des troupes d’hommes, jouant tous les rôles ? Il y en a très peu. Je connais une troupe de femmes japonaises jouant le Butô, et les Jeanne. Et elles marchent sur une voie tout à fait naturelle : celle de ces scénaristes improvisateurs de génie qu’étaient les acteurs de la Commedia dell’arte (on reproche parfois aux Jeanne d’être des « bouffons cyniques et grossiers », c’est exactement ce qu’était Arlequin avant que Marivaux ne le civilise) qui faisaient une caricature de leurs contemporains, elles marchent sur la voie de ces immenses clowns de cirque capables de jouer toutes les voix du dialogue rien qu’en changeant de place et de chapeau, celle de ces napolitains, les « Peppe et Barra » tonitruants, acides, habiles, provocateurs, souples, qui ont tout compris « de la vie des marionnettes ». Celle des immenses clowns et marionnettes de ces deux génies, Ionesco et Beckett, qui ont tout compris de la solitude, du vide, et du vertige métaphysique. Les Jeanne avaient des choses personnelles à dire. « Excusez-nous, c’est personnel. Vous permettez… »
(A suivre)
Retrouvez les parties I,II,IV et V du chapitre 72 :
Chapitre 72 : César et Jany Carré (Part I)
Chapitre 72 : César et Jany Carré (Part II)
Chapitre 72 : César et Jany Carré (Part IV)
Chapitre 72 : César et Jany Carré (Part V)