« Ici, tous les jours, nous découvrons des documents et apprenons des choses sur l’histoire de Nice et sa région. Notre but est de transmettre ce patrimoine aux autres. » Geneviève Chesneau est Conservatrice en chef de la bibliothèque du Chevalier Cessole.
« Cela va nous prendre dix ans pour inventorier ne serait-ce que les livres !, s’amuse-t-elle. Et les livres, ce n’est pas l‘essentiel. L’essentiel, c’est le reste. » Le reste, ce sont les documents écrits de tout type et les photographies, soit, au total, plus de 100 000 pièces. Cette bibliothèque a été conçue spécialement pour la collection de Cessole, sur mesure pour ses ouvrages. Dans son acte de donation, il avait en effet intimé l’ordre que cette bibliothèque se trouve au Musée Massena, au départ un musée d’histoire régionale. Cette bibliothèque a en fait été constituée sur trois générations des Spitalieri de Cessole, vieille famille niçoise, apparentée aux Ripert de Montclar, aux Villeneuve-Vence et aux Sévigné. Avec Hilarion (1776-1845), Président du Sénat de Nice, ont primé les livres de droit et d’archéologie puis, avec Henry, ami du bibliographe Jacques-Charles Brunet et véritable créateur de la bibliothèque familiale, les éditions rares et bibliophiliques et, enfin, avec Victor (1859-1941), le régionalisme et la montagne. Son conseil d’administration est toujours présidé par un descendant de la famille, Bruno de Cessole. Inaugurée le 15 avril 1937, cette bibliothèque constitue le plus bel ensemble historique et décoratif des Alpes-Maritimes réservé au livre.
Parmi les ouvrages bibliophiliques, relevons : sept incunables, des Gryphe, des Estienne, des Aldes, des Elzévirs, des Cramoisy, des Léonard, de nombreux classiques français et italiens des XVIIe et XVIIIe siècles, comme l’Astrée, le Mercure françois et la plupart des éditions des lettres de la Marquise de Sévigné. Certains de ces ouvrages portent des reliures signées Canape, Chambolle-Duru, Garidel, toutes marquées du fer créé par le relieur génois Bruzzo. La série d’atlas compte les éditions anciennes de Abraham Ortelius 1571, Mercator 1595, Breughel 1588, Tassin 1631...
Préserver le particularisme de la région
Grâce aux acquisitions du Marquis Ripert de Montclar, Procureur général au Parlement de Provence et de Hilarion de Cessole, d’importants ouvrages du XVIIIe siècle de droit et d’histoire de la Provence, comme ceux de Louvet, Bouche, Artefeuil, Gaufridi ou Papon sont présents dans la collection.
D’abord reflet du passé intellectuel d’une famille, la bibliothèque de Cessole est aujourd’hui avant tout une bibliothèque d’histoire locale. Comme dans toutes les collections niçoises, elle préserve ce qui fait le particularisme de la région et notamment sa langue. La plupart des œuvres dialectales sont conservées : pièces poétiques et littéraires, mais aussi libelles, journaux politiques et satiriques. Cependant, l’aire géographique concernée par les acquisitions du donateur s’étend de la Provence à la Savoie, au Piémont et à la Ligurie.
L’un des mérites majeurs de Victor de Cessole fut de collecter tous les documents imprimés dans la région : ouvrages littéraires et scientifiques, livres à gravures, mais aussi placards, tracts, actes administratifs, notices techniques, documents privés, brochures commerciales, programmes, menus... Il a notamment réuni un ensemble unique de guides et récits de voyages, une collection importante d’images pieuses de saints locaux, plusieurs manuscrits majeurs, comme La Nemaïda (1823) du poète niçois Joseph-Rosalinde Rancher, les Chroniques de l’abbé Joseph Bonifacy qui s’avèrent le meilleur témoignage de la vie niçoise du début du XIXe siècle, un Liber coquino, livret de recettes du XVe siècle ou encore la Noble science du blason de Jean-Baptiste d’Audiffred (vers 1750), le « coup de cœur » de Geneviève Chesneau, dans lequel les blasons du comté et de la province ont été collectés puis peints à la plume. « Le Chevalier de Cessole a fait œuvre de conservation, nous devons faire œuvre de protection, estime-t-elle. Certains ouvrages sont des exemplaires uniques et n’ont pas de prix. La bibliothèque de Cessole entend rester fidèle à la conception humaniste qui fut celle de cette famille liée au pays niçois, mais aussi soucieuse de ses rapports avec les provinces voisines, et qui s’est attachée à collecter tous les documents possibles pour témoigner de la vie et de la mémoire d’une région. » Pour ce faire, la rénovation de la bibliothèque a permis de l’équiper d’une réserve avec un système de conditionnement d’air assurant une température comprise entre 18 °C et 20 °C pour un taux d’hygrométrie entre 50 °C et 55 °C. La chambre froide, où sont conservés les daguerréotypes et les plaques de verre, assure quant à elle 15 °C pour 40 % d’humidité. Deux personnes s’occupent en permanence de conditionner les pièces dans un papier non-acide.
« L’inventeur » de la montagne
On a coutume de dire que Victor de Cessole est également « l’inventeur » de la montagne niçoise. Président de la section locale du Club Alpin, il a lancé la mode du ski et escaladé tous les sommets. Témoins de ces activités restent 7 000 plaques de verre, une cinquantaine de plaquettes et un ensemble d’ouvrages de montagne, dont les bulletins des clubs alpins anglais, italiens et français depuis leurs créations. Une riche collection de cartes de Provence, de Savoie et de l’Italie du nord, ainsi que celle des plans de Nice, du XVIe au début du XXe siècle, vient compléter ce fonds si riche. Autant de documents précieux pour analyser aujourd’hui l’état des glaciers ou connaitre la configuration d’un alpage.
Le don prestigieux du chevalier a conduit d’autres érudits, ainsi que les différents conservateurs du musée à donner leur bibliothèque régionaliste et leurs archives au musée Masséna. Un deuxième fonds s’est ainsi formé et s’accroit régulièrement. Il comprend plus de 10 000 ouvrages régionalistes dont un exemplaire de la Côte d’Azur de Stephen Liégeard dédicacé à l’impératrice Eugénie et relié à ses armes. Originaire de Bourgogne, c’est lui qui a suscité cette appellation pour la Riviera française, en référence à la Côte d’Or. Par ailleurs, on trouve plusieurs ouvrages reliés aux armes de Napoléon 1er (don John Jaffé) et un cahier manuscrit du Journal que Marie Bashkirtseff a commencé à Nice en 1872.
De nombreuses archives familiales ont aussi été déposées, réparties en 193 fonds allant du Moyen Age à la période contemporaine, parmi lesquels le fonds Renaud de Falicon riche en chartes, le fonds « familles niçoises » aux nombreux autographes et armoiries, le fonds Canestrier relatif au folklore et à la vie religieuse, le fonds Belleudy concernant les peintres provençaux et la Première guerre mondiale, ceux du chroniqueur du Second Empire Ferdinand Bac, du peintre symboliste niçois Gustave-Adolphe Mossa, du naturaliste niçois Jean-Baptiste Barla. Ces fonds d’archives contiennent en outre de nombreux programmes de spectacles dont les corsos carnavalesques, partitions, tracts, affiches et placards. La presse, dont le comté était très riche, est très présente. La bibliothèque est par exemple le seul établissement à posséder la collection entière du Pantiero, un journal irrédentiste. On y trouve notamment des exemplaires de titres presse éphémère, édité pour un événement, comme par exemple lors de l’Exposition Internationale de 1883. Autant de trésors qui s’agrandissent en s’enrichissant des trouvailles que leur apportent chaque jour les Niçois…
Quelques chiffres…
La donation Cessole compte :
– 1 825 ouvrages généraux et bibliophiliques
– 1 795 livres sur la Provence, la Savoie et l’Italie du Nord
– 5 719 sur le comté de Nice et la Côte d’Azur
– 435 manuscrits
– 175 titres de journaux
– 4 mètres linéaires de pièces d’archives
– 1 400 cartes et plans dont 54 manuscrits
– environ 700 estampes
– 7 019 plaques de verre
Le fonds d’archives comporte :
– 150 titres de revues
– 500 plans et cartes
– 3 500 estampes
– 5 000 tirages photographiques
– 10 000 cartes postales
– 30 albums photographiques
– 1 286 plaques de verre du fonds Giletta
– plus de 100 dossiers documentaires thématiques régulièrement mis à jour