A vrai dire l’histoire et l’Histoire que nous raconte Jean Guy Soumy est multiple. Autant elle dresse le réquisitoire de la bêtise infâme d’une hiérarchie religieuse venue au faîte de sa puissance temporelle au 17e siècle, celui de la Maintenon et du Roi-Soleil, et vraiment pas si loin de nous – autant elle pourrait, on l’imagine, aussi bien traiter de cette autre religion rigoriste, le calvinisme, tout juste « extirpé » de France par le bras armé et génocidaire du roi de France et pour laquelle le conteur ne cache pas sa sympathie en l’occurrence.
Le livre de Soumy réussit à nous émouvoir parce qu’il nous peint toutes les facettes de l’époque : les intrigues de la cour autour de la construction de Versailles, la guerre de religion, vue comme une guerre civile ou même une guerre de clans, sans grand rapport avec la moindre question philosophique, avec des personnages centraux attachants et loin des d’Artagnan triomphants ou des beaux seigneurs. C’est une France sombre qui se déroule sous nos yeux, au bord de la famine, et flirtant à tout moment avec l’infâme. Les soieries de cour ne sont évoquées que pour marquer l’incongru et tout cela annonce bien la Révolution à venir, la montre comme non seulement inévitable mais nécessaire.
Le congrès dont il est question ici est l’issue du procès religieux qui est fait à un bâtisseur du roi, insuffisamment bigot, marié pour le meilleur et pour le pire à une femme d’honneur, « nouvelle convertie », autant dire soupçonnée d’hérésie permanente. Et que leur reproche-t-on ? De ne pas avoir « consommé » le lien du mariage, de s’être unis dans l’état de présumée impuissance du mâle et de bafouer ainsi l’institution. Oui, l’Eglise ne pourchassait pas le sexe en ces jours-là, elle le rendait obligatoire et en voulait la preuve dans les conditions les plus sordides : un viol conjugal organisé pour l’édification d’une assemblée de prélats, eux-mêmes théoriquement interdits de plaisirs sensuels et quotidiennement parjurés. « Dresser, pénétrer, mouiller », voilà la tâche à laquelle doit s’adonner notre présumé coupable, sous les yeux de cette assemblée. L’amour peut-il survivre ?
Le style de Soumy a quelque chose d’attendrissant : il navigue entre la simplicité de la pensée pure et l’ornementation de la langue de l’époque. Mais surtout sa peinture des choses, toujours empreinte d’une infinie humanité, attentive à tous les travers communs comme aux petites grandeurs de l’existence – tout cela régale le lecteur simplement, sans traits d’humour graveleux, sans effet de manche. Il y a la grande littérature, celle qui se montre et fait des vagues… et il y a des livres qu’on lit par hasard et qui vous marquent d’autant plus que vous auriez très bien pu ne pas les voir. « Le Congrès « est de ceux-là : un livre qui ne marque pas l’histoire mais qui la raconte et dont la lecture s’avère après coup inoubliable : c’est de la même nature que « le Parfum » de Susskind ou que « Mangez-le… » de Teulé : l’histoire pas si lointaine, celle de nos pères et mères, vu par l’oeil du commun à la place de l’hagiographie des grands hommes. Oui c’est de cela que tout est fait : d’humanité, de bassesse, et le monde poursuit sa course folle quand nous nous arrêtons un moment pour le regarder en face… ou pour regarder en arrière….
Informations pratiques :
"Le Congrès "– Jean Guy Soumy , roman, 270 p, 19 €, Robert Laffont