Deux livres , aujourd’hui, que je rapproche pour vous, parce qu’ils sont issus de la même démarche. Deux auteurs, qui publient pour la première fois (en soi c’est censé être un exploit, mais le mythe du premier roman envoyé à des centaines d’éditeurs ne vaut pas ici)
Samuel Corto, un avocat devenu magistrat nous raconte ses années « parquet » dans « Parquet flottant ». Et François Marchand, ancien haut fonctionnaire, laisse vaguer son imagination sur des souvenirs de haute administration dans « l’Imposteur ». Des livres qui se veulent à la fois fiction et révélateur qui empruntent donc au déballage à scandale tout en se mettant sagement en sécurité derrière la licence du conteur.
Du point de vue littéraire, ces deux ouvrages ne se valent pas. Si François Marchand s’essaye à l’humour noir, on en reste à quelques balbutiements narratifs, sans trame, une petite fantaisie rapidement exécutée – le lecteur reste sur sa faim. Mais l’œuvre vaut par les questions qu’elle soulève. Bien sûr, du point de vue littéraire, vous et moi aurions pu écrire la même chose sans espérer un seul moment remuer les foules. Mais puisque la quatrième de couv’ nous certifie que l’auteur est ancien fonctionnaire, les turpitudes développées sans talent particulier soulèvent au moins une horrible question, un doute : et si tout cela, pour n’être sans doute pas vrai et pourtant si peu invraisemblable, si tout cela se nourrissait à l’aune d’un stock d’affaires réelles ? Des centaines de milliers de fonctionnaires doivent bien produire suffisamment d’anecdotes de corruption pour remplir un livre… Après tout, la France vient de dégringoler à la 23e place des pays les moins corrompus du monde.. juste avant l’Italie, c’est dire ! Bref, à défaut de talent littéraire, on sort de cette rapide lecture un peu sonné en se disant que si c’est si simple, si tant de pouvoir peut se réunir dans des mains anonymes et pas forcément délicates, il faut avoir bien de la foi dans l’esprit de service public pour encore croire qu’une démarche administrative quelconque puisse suivre la ligne droite de la procédure implacable.
Procédure implacable, c’est justement à quoi se heurte le héros de « Parquet flottant ». Absurdité des postures, petitesse des esprits qui jugent, mécaniques humaines du quotidien qui emportent avec elles la vie des simples gens, qui sont là, par les hasards de la vie, justiciables plus par accident que par destin. Samuel Corto a un réel talent d’écriture, il joue avec la langue avec assez de virtuosité pour nous faire nous retourner sur lui. Mais aussi et surtout, son livre est pétri de tant d’humanité et de réalisme du quotidien, que tout dans ce roman devient vrai, si tant est qu’il puisse y avoir toujours plusieurs vérités en dehors même des questions de point de vue. On parle souvent des êtres « broyés » par la machine judiciaire : le mérite de Corto est de nous dessiner ici de quoi, en vrai et en détail, est faite cette pseudo-machine. La fragilité des raisons d’une condamnation, les hasards heureux qui vous y font échapper parfois. Le trait est lourd mais fin et sensible, et on sort de là sérieusement ébranlé. Kafka n’est pas si loin.
Ces deux livres ne sont pas de grands romans. Mais ils s’attaquent à de grandes questions. Faire confiance à la Justice ? Croire en l’Administration ? Aucune voie ne nous est esquissée pour changer le monde. Mais d’avoir entrevu, comme par un entrebaillement de porte, combien l’institution est faite de petitesses… assurément cela nous donne des raisons de verser dans un sacré cynisme de comptoir. DS
François Marchand, l’Imposteur, 136p, le cherche midi, 13€
Samuel Corto, Parquet flottant, 190 p, Denoël, 16 €