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Nuits du Sud 2015 : Soleil dedans, Soleil dehors !

Olivier Marro et Patrick Manez en ont pris plein la vue et les oreilles le 24 juillet au Festival Nuits du Sud avec les deux chanteurs talentueux & solaires Arthur H et Tiken Jah Fakoly !!
Olivier revient sur cette soirée de feu et partage avec vous l’interview qu’il a réalisée de l’artiste Arthur H avant son entrée en scène, accompagnée des photos prises sur le vif par le Photographe Patrick Manez !

Le 24 juillet se produisaient aux Nuits du sud, Arthur H et Tiken Jah Fakoly. Le choc entre deux mondes, le Nord et le sud ? Pas vraiment, car entre les deux artistes bien des ponts existent.

Ils sont de la même génération (deux ans les séparent), chantent en français et leurs compositions qui portent un regard aiguë, lucide sur le monde tout comme leur forte personnalité ont conquis un large public.
Enfin tous deux avec plus de 20 ans de carrière ont été récompensés par les Victoires de la Musique. A trois reprises pour Arthur H. En 2003 pour Tiken Jah Fakoly avec l’album Françafrique enregistré dans les studios mythiques de TUFF Goong à Kingston, en Jamaïque.

L’ivoirien Tiken Jah Fakoly, de son vrai nom Doumbia Moussa Fakoly, pratique un reggae de résistance, militant pour l’union des peuples africains, dénonçant la colonisation, la mondialisation avec son opaque « Babylone », la corruption des chefs d’états africains, le pillage organisé des richesses.

Photo Patrick Manez

Des propos qui l’obligèrent à devoir s’exiler en 2003 au Mali, suite à des menaces de mort.
En 2007 il fut interdit de séjour au Sénégal pour une durée de deux ans.
En Juin dernier il était refoulé à son arrivée à l’aéroport de Kinshasa, où il devait donner un concert.

Fort heureusement Tiken Jah Fakoly arriva à bon port sur la scène des Nuits du Sud avec son combo de 10 musiciens.

Ce fils de forgeron à l’impressionnant gabarit et à l’aura d’un sorcier vaudou a lâché la bride à un reggae dub & roots nourri de chora électrique et dopé aux cuivres.

Une prestation solaire sous la lune soutenue par la marée humaine qui avait envahi la Place du Grand jardin !

En première partie Arthur H a surpris ses fans en donnant la part belle à son dernier album « Soleil Dedans ». !

Photo Patrick Manez

Une nouvelle aventure après 25 ans de création dont il a bien voulu nous dévoiler la genèse avant de monter sur scène. Interview

« Soleil dedans » Votre nouvel album a été réalisé à Montréal. Aviez-vous besoin de nouveaux espaces vierges ?

Arthur H nous reçoit avant son entrée en scène sur le plateau des Nuits du sud - Photo Patrick Manez

Arthur H : Effectivement ce choix participe à l’esprit de cet album, je l’ai composé aux Iles de la Madeleine, un lieu sauvage au milieu de nulle part dans le golfe du Saint-Laurent au Canada. Je suis aussi allé travailler dans une cabane de pécheur à Big Sur, en dessous de San Francisco. J’avais envie de respirer, de grands espaces, d’éprouver la sensation de ne pas connaitre de limites. Peut être une réaction au marasme ambiant.

L’album commence par des titres évoquant justement des choses très dures sur nos vies, puis se clos sur le thème de l’eau, la mer comme un retour aux sources, une quête de renaissance ?

Arthur H : C’est la même eau qui coule ici depuis des millions d’année, j’ai voulu parler de cette continuité de la vie malgré toutes les vicissitudes qui nous pèsent, de cette histoire qui se répète mais se régénère à chaque fois.
Tous mes projets musicaux naissent comme un récit. Le premier jour de l’enregistrement j’ai mis toutes les chansons dans l’ordre et j’ai raconté aux musiciens québécois l’histoire de ce disque un peu comme le script d’un film. Soleil dedans débute par une descente aux enfers jusqu’à « la femme qui pleure ». Puis après une lente remontée la vie qui gagne, reprend le dessus …
Cet album semble moins expérimental, plus apaisé du moins dans sa forme.

Etait-ce une envie de revenir à un format plus classique ?

Arthur H : Arriver à faire des chansons épurées, belles et efficaces, c’est pour moi le summum de l’art.
Sur scène j’ai envie de communiquer de façon très directe. Mais ne nous y trompons pas, si harmoniquement ces chansons paraissent plus dépouillées, il y a un vrai travail en amont pour que cela reste original et complexe. Mais il est vrai que depuis peu je suis en quête de plus de sobriété dans mes compositions.

Vous semblez revenir à des tempos plus relax, à une sonorité plus seventies ?

Arthur H : Ce n’était pas prémédité, c’est venu de l’état d’esprit de mes partenaires. Frank Lafontaine fait partie de ces musiciens qui ont la trentaine et sont fans de vieux synthés analogiques. J’adore ça moi aussi. Cela amène une couleur tout comme la rythmique de Patrick Watson, qui a un coté psychédélique très soft.
J’avais envie d’un son ample. Pour avoir ce rendu il ne faut pas taper fort. Il faut juste faire résonner les instruments. Et donc mécaniquement on est arrivés à ce son des années 70.

Sur certains titres vous abordez les dérives de la société actuelle : surveillance, surconsommation, Burn-out etc.. Vous sentez vous porteur d’un message ?

Arthur H : Le message chez moi passe d’abord par la musique qui communique une forme de joie pure assez enfantine, une énergie vitale, jubilatoire comme un éternel printemps qui éclos.

C’est un rituel dionysiaque. Après dans cette fraicheur d’énergie on peut tout passer à la moulinette, y compris les sujets de société. La caissière du super c’est ça ! J’avais envie de parler de ces femmes pour qui je peux avoir une certaine tendresse et qui sont en quelque sorte des esclaves contemporaines. Leur boulot est pénible, elles sont en plus contrôlées par caméras. Cette chanson parle de vie sous surveillance un peu comme la notre, mais la manière reste légère, ludique, poétique. On peut même danser dessus.

La grande surface c’est aussi une microsociété ?

Arthur H : Oui et j’avais surtout envie de parler d’un hypermarché de façon poétique. C’est parfois ce que je ressens, ce sont des lieux hors normes, hallucinants, excentriques. On ne le voit pas toujours comme ça, c’est la force de l’habitude. L’habitude tue le regard, mais la poésie se loge partout. C’est aussi un lieu de passage, de rencontres, où les gens en rupture sociale viennent parfois juste pour parler se sentir moins seuls. Les Hyper marchés, derniers refuges du lien social, c’est assez déprimant quand même ? (Rires)

Avec 25 ans de recul comment voyez-vous votre premier album ?

Arthur H : Votre question tombe à pic, car je suis en train de préparer une intégrale. J’ai le nez dedans. C’est assez abstrait le temps qui passe mais je trouve ma voix horrible sur cet album. En revanche il a gardé le charme de sa spontanéité, de son originalité et puis il évoque mon amitié avec une bande d’amis musiciens. Son autre qualité c’est qu’il a voyagé dans le monde, a accompagné des vies très différentes. Partout on m’a parlé, de « cool jazz » ou de « Maroushka », en Australie chez les aborigènes, dans un camps de boat people au Vietnam. C’est incroyable les rencontres abracadabrantes que j’ai pu faire grâce à ce premier album.

Vos débuts furent aussi marqués par le style cabaret. Quelle est la part de cette théâtralité aujourd’hui ?

Arthur H : Elle est intacte mais moins visible surtout dans les festivals où tout est basé sur l’énergie. Au début je voulais emmener les gens dans une sorte de cabaret futuriste, les convier à un spectacle loufoque où ils perdaient pieds.
Faute de budget j’ai un peu laissé tomber. J’y reviens aujourd’hui avec des créations autour de la lumière comme ce soir à Vence. Des happenings liés à la musique qui créent une faille dans le continuum espace-temps, pour que les gens oublient la scène, se laisse porter par des vibrations poétiques qui nous dépassent.

Photo Patrick Manez

Vous venez de signer chez Actes Sud un livre : Le Cauchemar merveilleux. Espèce de petits contes. La littérature c’est quelque chose sur lequel vous travaillez depuis longtemps en dehors de vos chansons ?

Arthur H : En tant que musicien je suis très attaché au son des mots, à leur musicalité. J’ai été très heureux de publier ces textes qui m’ont extrait du format de la chanson. La chanson, c’est très rigoureux, contraignant techniquement. On y est esclave de la mélodie, du souffle, de la hauteur des sons, ouverts ou fermés. La littérature permet d’être plus libre formellement. Après en France, la poésie c’est quelque chose de très sérieux, une exploration du langage ardu. Moi ce n’est pas cela ! C’est drôle, narratif, léger je me permets d’aller dans tous les sens, de prendre beaucoup de liberté avec cet héritage.

Photo Patrick Manez

Peut on évoquer le surréalisme à propos de votre écriture ?

Arthur H : Un petit coté dadaïste Punk, pourquoi pas (rires) mais dans la tradition d’une certaine chanson française ! La caissière du super a un coté Nino Ferrer ou Dutronien. Leur impertinence, leur folie douce m’ont certainement inspiré. Si on ne peut plus être insolent aujourd’hui, on étouffe !

Vous avez lu ces textes en scène avec Nicolas Repac en mai à Lyon. Avez-vous prévu de refaire d’autres lectures en musique de ce type ?

Arthur H : Comme je suis mégalomaniaque, je travaille sur un énorme projet. Nous sommes en train de construire avec Léonore Mercier, réalisatrice, designer sonore, un dôme mobile couvert d’enceintes.

Le public sera entouré par les poèmes que je vais lire et qui seront traités avec un logiciel qui permet de mixer dans l’espace. Il ne s’agit pas de musique comme avec mes chansons mais plutôt d’un climat sonore très surprenant, d’une qualité à mille lieux du MP3.

Il faut voir ce spectacle comme une expérience de submersion avec les mots.
Je vais faire une version plus édulcorée pour les enfants. J’aimerais les amener à une écoute réelle, soutenue qui est le contraire du zapping. Cette installation sera produite à la Fondation Hermès, au 104, à l’opéra de Lille, à Montréal. C’est une manière de mettre la poésie en mouvement, de la rendre sensuelle, accessible, ludique.

A vous entendre on se dit que vous avez des exigences qui tiennent plus d’un artiste plasticien que d’un chanteur ?

Arthur H : C’est vrai que je suis obsessionnel, pointilleux et perfectionniste, mais je n’oublie pas que la musique est un art spontané, pas que cérébral. Il y a un curseur à placer entre ce qui est très produit, très pensé et entre ce qui doit rester perméable au chaos, à l’improvisation, à l’énergie rock !


Vous avez souvent joué dans le Sud-Est, même donné un concert de soutien à Grasse pour l’Académie Supérieure des Beaux-Arts Anca Sonia. Quel est votre rapport avec la Côte d’azur ?

Arthur H : Mes deux filles et leur mère vivent à Grasse. Évidement si j’avais des moyens je rachèterais une grande villa ici comme celle de Picasso, pour y vivre. C’est mon fantasme une belle demeure comme dans les années 1920, mais j’arrive un peu tard (Rires)


Les nuits du Sud sont le temple des musiques sans frontières. Vous même de Negresse blanche à L’or noir via Mystic rumba vous abordez à chaque fois une tonalité, une couleur différente. Les musiques du monde sont elles pour vous une inspiration importante ?

Arthur H : Avec le temps j’ai intégré ces influences tout en suivant ma propre voie. Mais cette ouverture n’est pas le fruit d’un calcul, j’ai toujours eu en moi plusieurs identités. Il y a des moments où je peux me sentir Japonais, Juif ou Noir. Ce n’est pas une vision de l’esprit, je le ressens physiquement.
Je peux aussi me sentir homme ou femme. Chanter « une femme qui pleure » c’est faire revivre à travers moi ma mère, ma grand-mère. Toutes ces femmes que j’ai aimées. Au delà des codes sociaux qui nous formatent, d’autres énergies nous traversent. Nous sommes beaucoup plus vastes qu’on ne le pense. Bien sûr nous en avons progressivement pris conscience mais dans le futur je pense qu’on aura complètement intégré cette dimension. Inviter le meilleur de chaque culture en nous, c’est en tous cas ce que je nous souhaite !

Pensez-vous que la culture Rom ou Tsigane sera un jour intégrée ?

Arthur H : Je ne les connais pas beaucoup mais il y a dans ces cultures des choses absolument magnifiques dans l’éducation des enfants, le lien à la musique, une forme de liberté par rapport aux biens matériels. Je ne parle de la condition tragique économique des Roms en revanche c’est un patrimoine qui appartient à l’humanité, et qui a créé cette musique sublime qui est le blues européen. C’est sûr que si on avait un autre regard sur les Roms on aurait plus de choses à apprendre.

Il y a eu la vague Higelin, Gainsbourg, Manset, puis la génération Thiefaine, Bashung, Murat. Pensez vous vous inscrire quelque part dans cette filiation ?

Arthur H : Je reviens d’un festival en Suisse où j’ai vu Sting et Ben Harper. J’ai pris conscience de tout ce qui avait pu les nourrir. Sting bien qu’anglais quand il chante est parfois très black américain dans ses phrasés. Il en a fait quelque chose de très personnel. Et moi qu’est ce que j’ai ? Ma famille spirituelle c’est Gainsbourg, Baschung et Jacques Higelin. Tout un héritage que j’explore à ma manière dans un répertoire de chansons rock un peu folles, un peu mélancoliques et sensuelles. La différence c’est que Sting ou Harper ont toute l’Amérique derrière eux. Leur langage est universel, tout le monde a les codes sur la planète. C’est ce qui peut rendre cette musique puissante ou parfois ennuyeuse. La chanson française est plus fragile, en dessous en terme d’énergie mais quelque part il y a aussi une possibilité d’originalité que n’ont pas les anglo-saxons. Notre langue est très belle elle peut apporter quelque chose de neuf, de différent au… monde.

Soyons généreux ! Et puis elle reste un rempart contre un rouleau compresseur qui pourrait uniformiser la planète.

Photo de Une : Arthur H © Leonore Mercier - 2014

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