Ce 62e « Jazz à Juan » a superbement commencé par une soirée réunissant sur scène deux immenses chanteuses. D’abord Samara Joy, venue pour la première fois dans la Pinède et quelle merveille ! Cette chanteuse possède une voix envoûtante qui a enthousiasmé le public osant la comparer à Sarah Vaughan et à Ella Fitzgerald ! C’est une grande et sa voix va régner sur le jazz... À sa suite, Dee Dee Bridgewater dont la voix paraissait un peu fatiguée, une voix qui se contorsionne au bord du cri, qui s’amuse, provoque, berce, offre généreusement... et le public est toujours aussi subjugué par la personnalité de la grande « jazz woman » dont l’enfance a baigné dans la musique de Memphis, Tennessee.
Le lendemain (le 11), tandis que toutes les nuances de gris s’installaient dans le ciel et sur la mer, l’ambiance était sweet pour la guitare de Matthis Pascaud et la voix suave légèrement éraillée du crooner anglais Hugh Coltman. Ensuite, le même soir, Joe Bonamassa met le feu avec sa guitare électrique : son groupe fait vibrer la pinède et enthousiasme le public avec un programme que semble connaître fort bien tous ses admirateurs. Et ils sont nombreux !
Avec talent, De Luxe marie énergie et lyrisme, mais, malgré une belle présence, sa chanteuse Liliboy ne nous a pas enthousiasmés. Ensuite, chacun est éberlué, dès son arrivée sur scène, par Jacob Collier, un phénomène incroyable faisant des bonds tout en chantant et en interpellant le public. Pianiste et chanteur, il mène tout de front avec un dynamisme débordant qui célèbre la vie.
La soirée du 13 juillet restera inoubliable : Lizz Wright est réellement une grande chanteuse ! Tout son corps vibre quand elle dit son amour et qu’elle clame avec beaucoup d’émotion « Je ne suis jamais fatiguée de t’aimer... » À sa suite, le pianiste (et compositeur) Ludovico Einaudi nous a sidéré au-delà de l’immense réputation qui l’a précédé. L’ambiance dans la pinède était incroyable : noir total avec un seul éclairage sur le soliste italien et son piano.
Silence absolu avec uniquement les notes issues d’un jeu virtuose d’une grande fluidité et qui montaient dans un flux d’émotions jusqu’au sommet des gradins : la magie était absolue, totale, parfaite, grandiose...
Le 15 juillet était vraiment dédié aux véritables amateurs d’un Jazz authentique ! Le trio Brad Mehldau, déjà venu deux fois à Juan, réunissait Larry Grenadier à la contrebasse et Jeff Ballard à la batterie autour du piano bien jazzy de Brad Mehldau, tandis que les cris des mouettes se mêlaient à la musique aux influences variées. Ensuite, le Branford Marsalis Quartet – également venu deux fois à Juan – réunissait, autour du célèbre saxophoniste (et aussi clarinette), Joey Calderazzo au piano, Eric Revis à la basse, et Justin Faulkner à la batterie, pour un jazz pur et dur comme on l’aime : un vrai de vrai, bien authentique !
Le soir du 16, d’emblée Thomas Dutronc annonce que c’est un trio, mais qu’ils sont quatre. Donc ils sont fiers d’être le seul trio au monde à être quatre (3 guitares et une contrebasse) ! Thomas Dutronc chante et joue de la guitare : du jazz et des chansons de son père (douces et jazzy) et d’autres telle « Petite fleur » (mis en paroles par Henri Salvador !) et il plaisante allègrement, fait des jeux de mots avec un ton nonchalant et décontracté, avant d’entraîner le public à danser. Evidemment, à sa suite, le groupe Sixun, avec un sens rythmique impressionnant, est plus bruyant, même s’ils sont « six musiciens qui ne font qu’un » !
Le 18, dans la pinède pleine à craquer, le public semblait déjà conquis par les deux guitaristes d’une énergie foudroyante, quoique très différents ! Tout en sourires, Cory Wong enflamme un public en joie avec un jeu virtuose et dynamique qui entraîne son groupe ! Quant à Nile Rodgers and Chic, à l’avant-garde de la musique contemporaine, il surgit avec sa guitare et tout le public, en joie totale, se met aussitôt à danser frénétiquement des premiers rangs jusqu’en haut des gradins.
Une soirée féminine avec trois grandes dames africaines de la chanson : Imany ensorcelle les spectateurs de sa voix grave qui mêle puissance et gravité, tout en ajoutant une véritable chorégraphie avec les huit violoncelles qui l’accompagnent. Pleine d’un indiscutable talent, la célèbre Angelique Kidjo ajoute au jazz américain des sons traditionnels africains de son enfance au Bénin. Puis, dans une tenue incroyable, arrive sur scène Fatoumata Diawara : un collier de girafe pour allonger son cou, une immense coiffure invraisemblable, des vêtements étranges et un merveilleux sourire ! Elle joue aussi de la guitare, tandis que quatre musiciens accompagnent son chant envoûtant.
Et le lendemain, encore des voix féminines parmi les plus illustres !
La chanteuse coréenne Youn Sun Nah règne sur le jazz vocal en utilisant sa voix dans des registres totalement différents où elle tente les choses les plus folles en permettant à sa musicalité d’oser toutes les nuances imaginables ! Ensuite, après quelques chants et danses d’Afrique, arrive sur la scène Melody Gardot , en tailleur-pantalon blanc et lunettes noires. Applaudissements du public qui retrouve toujours avec le même ravissement les inflexions caressantes de cette voix qui ruisselle doucement. Devant un public subjugué, s’élève sa voix ensorcelante, passant du soupir aux éclats, avec toujours une totale exigence artistique et un talent fou !
Deux traditionnelles soirées de concerts offerts par la ville d’Antibes-Juan-les-Pins : avant l’instant magique d’un feu d’artifice qui se reflète sur la mer, le 14 juillet a permis de découvrir un pianiste extraordinaire venu d’Israël : Guy Mintus joue avec une étonnante célérité et chante en même temps (en anglais et en israélien) accompagné par Oren Hardy à la basse et Yonatan Rosen à la batterie. Il a largement conquis le public par son talent et son allure décontractée, avant l’entrée en scène de Sophie Alour déjà venue l’an dernier dans la pinède improviser avec son saxophone et toujours la même audace.
Tradition oblige ! Pour clore le Festival, une soirée Gospel par l’American Gospel Jr ! Ils sont une vingtaine sur scène pour convaincre de la présence de Dieu avec une énergie foudroyante entre chants et danses.
Le cru de cette 62e année était vraiment exceptionnel. Chaque soirée a laissé un souvenir mémorable à un public toujours plus touffu, ce qui prouve que le plus ancien festival de Jazz d’Europe a toujours un étonnant dynamisme avec de nombreux artistes jamais venus à Juan. C’est sûrement grâce au renouvellement des 3 récents programmateurs, Reno Di Matteo, Jean-Noël Ginibre et Pascal Pilorget qui proposent de nouveaux choix parmi les anciens. Bravo !
Caroline Boudet-Lefort