Présentation de l’exposition par Hélène Jourdan-Gassin
Après un arrêt des mes activités pendant un an, j’ai le plaisir de vous présenter aujourd’hui, et pour la première fois en ce qui me concerne, le travail de Marcel Bataillard.
Pourtant je connais l’homme et l’artiste de longue date, que ce soit comme performeur avec ses inséparables Insupportables (un surnom donné par Ben, je crois, au groupe qu’il forme avec trois compères), ou pour ses textes (toujours excellents), ses vidéos, ses peintures…
A leur sujet, je ne peux que vous renvoyer à la biographie de l’artiste dans laquelle il explique sa démarche comme artiste autoproclamé « peintre aveugle » et les activités
créatrices qui en découlent de 1993 à 2010 (notamment dans une collaboration avec la Compagnie Pietragalla en 2011, 2012, pour La nuit des poètes, un spectacle alliant poésie, musique, chorégraphie et jeux calligraphiques live d’après des textes d’Aragon…).
Or, et c’était peut-être là que le bât blessait pour moi, j’avais besoin, je l’avoue, que le peintre soit voyant pour me séduire et même si la démarche de Bataillard méritait largement qu’on s’y attarde, je ne me sentais pas assez solide pour lui servir de bâton (blanc, cela va de soi), donc de galeriste…
Il en va tout autrement avec le travail récent que m’a présenté Marcel Bataillard, dont la personnalité protéiforme m’a toujours passionnée. Il me suffisait d’attendre que sa nature à facettes s’ouvre sur un univers qui me convienne. C’est le cas aujourd’hui…
C’est sous l’appellation Version originale sous-titrée, réunissant deux des récentes recherches de l’artiste, elles-mêmes titrées : Au passage pour la première et pour la seconde, Je suis une légende, que nous avons donc choisi, Marcel et moi, de monter cette exposition.
Dans les deux cas il s’agit de photographies de format modeste. Elles sont annotées d’un lieu et d’une heure pour Au passage, et pour Je suis une légende, d’un texte, le plus souvent oeuvre de l’artiste qui, selon ses dires, s’autorise tous les registres : parodique, comique, burlesque, politique, poétique…
Un texte présente chaque série, mais loin d’imposer une grille de lecture, il est là pour accompagner, comme le bâton du pèlerin aide le voyageur à cheminer dans des terres inconnues."
En clôture de l’exposition, Marcel Bataillard propose un concert d’I Burtuoni, formation musicale à géométrie variable qu’il a créée en 2005.
Marcel Bataillard (et ses éventuels invités) se propose d’explorer et de revisiter le patrimoine musical corse en présentant des « chants traditionnels d’avant-garde ».
Rendez-vous vendredi 22 mai 2015 à 20h
Au passage
Carnet de voyage des déplacements de Marcel Bataillard, la série Au passage consiste en un relevé photographique de fenêtres et de portes aveugles ou aveuglées croisées ici et là depuis 2004, tant en France qu’à l’étranger.
Chaque photo fait face à l’inscription du lieu et de l’heure de la prise de vue.
On sait que l’architecture, art du temps, est étymologiquement celui de clore et couvrir des lieux. Cette suite d’issues condamnées en harmonie ou en rupture avec l’existant, souvent pour empêcher les humains et la lumière d’entrer, met paradoxalement en perspective (1) comment les époques et les hommes transforment
l’habitat, et leurs rapports, parfois harmonieux, parfois houleux.
Que cet habitat soit en voie d’amélioration, de réhabilitation, de paupérisation ou à l’abandon, les aveuglements volontaires ici exposés, c’est-à-dire accrochés au mur, jouent sur plusieurs tableaux : caché/ montré, dedans/dehors, public/privé. Et se mêlent d’histoire et de géographie, de sociologie et d’histoire de l’art, évoquant en creux les hauts et les bas de l’urbanisme (2).
En complément, une carte recompose l’espace-temps lié à ces prises de vue qui, associant horaires et lieux sur fond de planisphère ancien et morcelé, propose un itinéraire imaginaire.
De même, plusieurs photos au format horizontal de fenêtres et de portes aveugles sont associés à des définitions lapidaires (3) de ce qu’est une issue condamnée, et sont traitées à la manière d’affiches.
je suis une légende
Je suis une légende se présente comme une suite d’images, du poétique au politique,
qui sont autant d’aphorismes visuels : pages isolées où figurent une ou plusieurs
photographies et sous chacune d’elles un texte.
Les photos sont prises au jour le jour depuis 2004, dans la rue ou dans le domaine
public, par la fenêtre ou sur l’écran, urbi et orbi, de jour comme de nuit, sans aucun
souci d’unité technique, thématique ou stylistique.
Les textes, quasiment tous de la plume de Marcel Bataillard, n’explicitent ni ne décrivent jamais : ils accompagnent. En contrepoint des photographies ils s’autorisent tous les registres : parodique, comique, burlesque, poétique, polémique... et ne disent jamais clairement s’ils sont titre ou légende. Ils peuvent avoir été rédigés antérieurement à la prise de vue ou longtemps après et visent à transformer la perception de ce qui est représenté, pouvant explicitement ou implicitement faire référence à des oeuvres ou événements extérieurs à ce qui est montré.
À chacun de ces palimpsestes (4) correspond une référence du type Scholie 1234. Ce qui est l’occasion de rappeler ce qu’est une scolie (5)- et qui définit assez fidèlement l’intention de Marcel Bataillard pour la série Je suis une légende - : « occupation studieuse, commentaire particulièrement utile à la compréhension des allusions historiques, géographiques ou mythologiques, et pouvant faire oeuvre nouvelle, en marge de la démarche démonstrative. »