"COMMENT SE FAIRE RACONTER LES GUERRES PAR UN GRAND-PÈRE MORT" de Jean-Yves Jouannais
« Les deux cycles de conférences intitulés l’Encyclopédie des guerres, au Centre Pompidou depuis 2008 et au théâtre La Comédie de Reims depuis 2010, font le pari de raconter, sous forme d’abécédaire, l’intégralité des conflits et de chacun de leurs aspects, depuis l’Iliade jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Dans ce cadre de rendez-vous au long terme, la mise en circulation orale est envisagée comme mode de production littéraire. L’Encyclopédie des guerres est un roman qui s’invente à force de citations et de collages, de rapiéçages, mais qui ne deviendra jamais un livre et que je ne signerai jamais. Certaines légendes sont nées au fil de ce récit improvisé.
J’ai par exemple progressivement inventé un rôle à mon grand-père paternel, Jean Jouannais, mort en 1945. J’ai fantasmé une histoire familiale où ce grand-père m’aurait raconté ses faits d’armes. D’où l’intuition que ce que je faisais s’apparentait à de la ventriloquie. Je me mettais dans la peau d’un grand-père qui me racontait l’histoire des guerres. Je prenais en charge, en le créant, ce que quelqu’un d’autre aurait dû me transmettre. Disons en somme que je suis une sorte de chercheur qui inventerait la matière de ses enquêtes. Comme si un géographe inventait une contrée afin de pouvoir l’explorer ; ou un biologiste rêvait d’une espèce animale et consacrait le reste de sa vie à en faire l’étude.
L’exposition Comment se faire raconter les guerres par un grand-père mort est l’extension, ou la transposition, dans un lieu d’exposition, de cette entreprise à la fois de fiction et de savoir, où, plus précisément, la fiction s’essaye à produire de la connaissance. »
Jean-Yves Jouannais
Depuis leur origine le 25 septembre 2008, toutes les séances de l’Encyclopédie des guerres se sont déroulées dans la petite salle du Centre Pompidou. Ces séances comme leurs captations sont produites par le Centre Pompidou que la Villa Arson remercie chaleureusement pour son accord de prêt et de diffusion.
L’exposition est co-produite avec le soutien de la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois (Paris).
Avec le partenariat de France Culture.
Remerciements : Olivia Creed, Roger Rotmann, Alain Bublex, Ludovic Lagarde, Olivier Cadiot,
Alexandre Giraudeau et ses étudiants de la Fonderie de l’image à Bagnolet (promotion 20122013).
DES RÉCITS ORDINAIRES de Grégory Castéra (commissaire d’exposition), Yaël Kreplak (chercheuse) et Franck Leibovici (poète et artiste).
Vous êtes attablé-e avec des amis, dans un bar. Vous discutez d’une, ou de plusieurs œuvres. Vous êtes-vous déjà demandé si cette conversation participait de la vie publique de l’œuvre en question ? Si on limitait la durée de vie d’une œuvre aux horaires d’ouverture de ses expositions, combien elle serait réduite ! Mais prenez en compte tous les moments où elle est racontée, discutée, mise en relation avec d’autres...
Les conversations, informelles, ordinaires, sont le véhicule qui permet à une œuvre de traverser les âges. Elles sont un des lieux où les œuvres se transmettent, se refont, existent. Les œuvres ont des modes d’existence multiples, et selon les modes, des propriétés, des comportements différents. S’est-on jamais demandé quelles propriétés les œuvres avaient dans une conversation ? Certainement pas les mêmes que dans les livres ou dans le face-àface physique. Et si, dans une conversation, ce n’était plus nous qui parlions au sujet d’une œuvre, mais l’œuvre elle-même qui se mettait en action ? des récits ordinaires voudrait explorer cette hypothèse : partir à la recherche de ces propriétés. des récits ordinaires est une exposition-training qui invite à se fabriquer une nouvelle oreille. Pour que, dès le lendemain, dans un bar, attablé-e avec quelques amis, et discutant d’une œuvre, ou de plusieurs, vous puissiez détecter une présence : « dans cette conversation, une œuvre est en train de s’activer »...
Grégory Castéra, Yaël Kreplak, Franck Leibovici
"FRÖBEL FRÖBELED" de Aurélien Froment
Aurélien Froment présente, pour la première fois dans une exposition, la séquence complète des jouets éducatifs de Friedrich Fröbel (1782-1852). Fröbel, pédagogue allemand, est le fondateur en 1837 du premier Kindergarten (jardin d’enfants). Inspiré par les idées de Rousseau et par les expériences du pédagogue suisse Johan Pestalozzi, Fröbel défend une forme de pédagogie où le jeu est au centre. Fröbel inclut au sein de l’école des activités telles que le chant, la danse, le jardinage, la création de cartes géographiques et développe à partir de 1837 une série de jouets pédagogiques, les “dons à jouer” (Spielgaben). Il utilise des jouets qui existent déjà (cubes de bois, balles de laine, bâtons) et les débarrasse des ornements qui les réduisaient à une seule fonction, tout en les liant entre eux par une grille géométrique. Tout est dans tout nous dit Fröbel. Fröbel conçoit un système global et original qui contient potentiellement l’univers tout entier.
L’intérêt que Froment porte à Fröbel s’est développé au fur et à mesure de recherches et de rencontres qui se sont multipliées depuis une dizaine d’années, stimulées par les interprétations nombreuses et parfois contradictoires de ses idées pédagogiques. Le peu d’instructions laissées par Fröbel quant à l’usage de ses jouets a autorisé depuis le milieu du XIXe siècle, de nombreux éducateurs et fabricants à s’approprier le matériel éducatif du Kindergarten, faisant de Fröbel une figure en creux de la modernité.
Continuité et opposition caractérisent systématiquement le monde des dons de Fröbel : une balle en laine est transformée en sphère de bois ; une sphère est transformée en cube par l’intermédiaire d’un cylindre ; un cube est divisé en parties égales et ainsi de suite, jusqu’à ce que les volumes deviennent des surfaces, les surfaces des lignes, et les lignes une infinité de points. Norman Brosterman écrit dans Inventing Kindergarten : " à l’inverse des jeux de cubes, de mosaïques ou des activités manuelles qui les avaient précédés, les dons n’étaient jamais proposés pour jouer de manière complètement libre. Leur utilisation était toujours reliée à ces trois champs : formes de la nature (ou de la vie), formes de connaissance (géométrie, mathématiques et sciences) et formes esthétiques (art) ". Une chaise, une maison ouvrière, un train, une ruine ou une fleur pouvaient surgir à partir de ces formes géométriques simples tout autant que se trouvaient introduites des notions telle que unité et interconnexion. Le potentiel de chaque jouet ainsi que les applications qui lui étaient associées étaient donc multipliés par sa capacité à représenter, à démontrer ou à être arrangé d’une façon agréable à l’œil.