"D’abord c’est le mouvement. Et le bruit. Je ne sais pas exactement quel bruit, mais c’est un bruit. Je pose la question aux autres. Je travaille pour obtenir une réponse, une autre voix, pour me connaître car je ne sais pas vraiment qui je suis, et aimerais le savoir un peu. Je cherche l’autre."
Jean-Jacques Laurent
Jean-Jacques Laurent est né à Limoges en 1943. Il vit et travaille à Vallauris où sa famille est venue s’installer alors qu’il était encore enfant. Issu d’un milieu de potiers et d’artistes, il a été familier de tous les mythes de l’art moderne dont le souvenir hante encore le Sud, et a côtoyé des personnalités comme Prévert ou Picasso.
De cette familiarité Jean-Jacques Laurent a tiré plus de violence que de douceur dans ses rapports avec l’art.
Pour cette exposition, priorité a été donnée aux travaux nouveaux, dont de très grands formats réalisés spécialement en fonction des espaces du château. Ils sont mis en relation avec des œuvres plus anciennes, dont la plupart en première présentation, le tout dressant le portrait inédit mais juste d’une création vivante, dont la maturité et la maîtrise n’occultent pas le renouvellement permanent. S’échelonnant de 1992 à 2014, huit séquences principales ont été choisies : Le pouvoir des muses, Variations pourpres, Têtes, Traversée programmée, Un bruit étrange, Échappatoire, Triptyque-Diptyque, Encres.
Rez-de-Place, 2 salles > Livres d’artistes et documents
En exposition : « Mélange » (1995), livre d’artistes de Raphaël Monticelli, Jean-Jacques Laurent, Yvan Koenig.
Autres ouvrages et documents, en vitrines.
1er étage, partie Est, grande salle > LE POUVOIR DES MUSES - 2013
Hauteur de taille humaine, onze mètres de longueur d’un seul tenant et, comme support, de l’intissé, matériau industriel léger, peint ici selon la technique du tampon, à l’encre lithographique. Découpages et collages en partie basse complètent le répertoire. La forme, le fond et la motivation de l’œuvre sont liés par des questions de pouvoir. Mais qui domine l’autre ? La composition en palindrome offre une lecture symétrique, semblable à un mouvement perpétuel.
Palier > VARIATIONS POURPRES - 2005
Commencée en 2005, cette série connaîtra de multiples déclinaisons, dessins, encres, céramiques, peintures, etc. Ce sont les seuls « volumes » de l’exposition. Terre cuite peinte, papiers de soie et même carton en constituent les éléments principaux. Le détonateur de la création est double : de l’extérieur, l’écoute de différentes versions des Variations Goldberg de J.S. Bach par le pianiste canadien Glenn Gould et, en interne, une brutale perte d’audition à l’oreille gauche, l’incitent à se lancer dans ses propres « variations ».
Petite salle > TÊTES - 2012-2013
Suite de formats moyens exécutés au pastel gras et à l’aquarelle, exploitant gestes d’ajouts, retraits et coulées libres. À l’inverse du grand panoramique des Muses, ces Têtes jouent soigneusement la partition de la série, utilisant le cadrage en portrait. De cette unité formelle naît la diversité recherchée. L’enjeu est de distinguer des personnes, sortir des individus de la foule. Dans une identité de vues appliquées à l’art et à la condition humaine, Jean-Jacques Laurent insiste volontiers sur « l’importance des gens sans importance ».
1er étg., partie Ouest, grande salle > TRAVERSÉE PROGRAMMÉE - 2014
Conçue pour l’exposition, l’œuvre se développe sur plusieurs formats et supports, on y retrouve le matériau intissé légèrement translucide voisin de celui utilisé pour Le pouvoir des muses. Le bleu pur est une encre lithographique ressuscitée provenant des stocks d’une imprimerie. Deux étapes jalonnent cette création. Tout d’abord, les premiers tableaux sont motivés par la vision des tragédies à répétition qui se nouent au large de l’île de Lampedusa. Dans un second temps, la traversée se charge d’une programmation plus personnelle, jusqu’à l’ultime pièce, composition de plexiglas traversée par la lumière, plein sud.
Salle Nord (au plafond ornementé) > UN BRUIT ÉTRANGE - 1992-1993
Sur de grands draps l’accueillant en collages, du papier-goudron tissé de fils impose une géométrie décalée. Une fois ce matériau lui-même démantelé, éventré, ses entrailles diluées au white spirit permettent d’utiliser comme peinture le goudron qu’elles contiennent. Les guerres ayant abouti au démantèlement de la Yougoslavie n’ont pas fini de diffuser leurs traumatismes. Pour Jean-Jacques Laurent, les bruits de bottes, échos de bombes et autres malheurs arrivant des Balkans en 1992, ont eu à la fois un caractère dérangeant et fascinant, au point de provoquer la réalisation de ces peintures. L’année suivante avec Échappatoire, il en livrera un versant plus pacifique.
Salle Ouest (avec la cheminée Blacas) > ÉCHAPPATOIRE - 1994
Série ancienne mais inédite, jamais encore montrée, réalisée avec de grands sacs postaux de chanvre. La matière brute et vivante, détournée de sa fonction d’origine, donne lieu à un renouveau dans l’expression de Jean-Jacques Laurent, une ouverture arrivant après Un bruit étrange et son cortège de douleurs. Floraison de la couleur, et surtout redistribution des rôles : les chariots de l’exode se font outils de jeu, carrioles d’une enfance retrouvée ; l’oiseau autrefois inquiétant devient compagnon d’un bref échange, messager d’un ailleurs bienveillant.
Salle Sud-Ouest (escalier rouge) > DIPTYQUE-TRIPTYQUE - 1998
Des sacs d’emballage de terre chamottée sont découpés et collés sur un drap peint au blanc d’apprêt. Différents pastels se chargent des quelques lignes de couleurs. Une idée d’architecture est mise en avant, colonnes, galeries, plans avancés ou dissimulés. Présentées pour la première fois, ces pièces mettent en scène des personnages qui restent extérieurs au tableau ; des silhouettes traversent les limites, se cachent ou réapparaissent au détour d’une frontière graphique. La main coupée par un trait de couleur vient signifier l’échec du « rapport à l’autre », préoccupation récurrente.
2ème étage, partie Ouest > ENCRES - 2007
Comme un rappel improvisé, cette série qui conclut la visite est exécutée d’un seul jet, ou presque. Un bout de bambou et des encres de Chine en sont les protagonistes. Le support est, comme souvent, inattendu : des sacs en papier. Leur forme ajourée, leurs plis et leurs dimensions conditionneront les dessins à naître et favoriseront leur unité. Le travail est réalisé au sol, de sorte que le sujet individuel peut s’inscrire dans un ensemble, peut-être pour mieux s’en détacher. Ces Encres de 2007 sont montrées ici pour la première fois pratiquement au complet.