Une cinquantaine d’oeuvres issues de la collection du musée – dessins, lithographies, photographies, céramiques – illustre les thèmes chers à Jean Cocteau développés dans la dernière partie de sa vie, à partir de 1950. Le prêt de trois céramiques de Jean Cocteau d’une galerie cannoise vient compléter le parcours.
Cette exposition est aussi un hommage à quelques-uns des amis du poète à travers des créations comm unes à la fin de sa vie : Lucien Clergue, Raymond Moretti et Jean-Marie Magnan.
Lucien Clergue (1934-2014) rencontre Jean Cocteau en 1956 par l’intermédiaire de Picasso. Leur relation durera jusqu’à la mort du poète par des échanges épistolaires et artistiques. Jean Cocteau l’invite sur le plateau du film Le Testament d’Orphée en 1959, lui laissant toute liberté de prises de vues.
Le poète et le photographe ont été tous deux élus académiciens à l’Institut de France.
Le photographe arlésien a fait don de près de 300 clichés au musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman en 2011.
Raymond Moretti (1931-2005), peintre et sculpteur français, a collaboré à une oeuvre commune avec Jean Cocteau sur le thème du taureau, Corrida (1963), ouvrage illustré de lithographies. À cette époque, Moretti rencontre Picasso dont il deviendra l’ami. Un autre coffret à quatre mains signé Cocteau/Moretti, L’Âge du Verseau, paraîtra en 1973.
Jean-Marie Magnan (1929-2015), originaire d’Arles, comme Lucien Clergue, se passionne très tôt pour la peinture et la tauromachie. Il fait la connaissance de Jean Cocteau en 1956. Ils se fréquentent souvent lors des corridas nîmoises et arlésiennes en compagnie de Picasso.
Le poète lui doit le déchiffrage du manuscrit de La Corrida du 1er Mai. Il collabore aussi aux principales revues taurines françaises et espagnoles ainsi qu’à des hebdomadaires et journaux littéraires, Les Cahiers du Sud et Sud. Lors de ses nombreux voyages en Espagne, il côtoie de nombreux toreros.
Il est co-auteur avec Jean Cocteau du coffret Taureaux en 1963. Il publie en 1971 le coffret lithographique Gitans et corridas d’après les dessins de Jean Cocteau.
L’Espagne et les trois thèmes Toro, Gitan et flamenco seront au coeur de cette exposition
TORO
« Il serait tout à fait ridicule de considérer l’Espagne comme un lieu poétique et pittoresque. Elle n’est ni l’une ni l’autre. Elle est davantage. Elle est un poète. Et citerai-je la phrase de Max Jacob qui n’est point simple boutade : « Le voyageur tomba mort, frappé par le pittoresque » ? Livrons les touristes aux coups du pittoresque et vénérons cette Espagne qui, de période en période, met le feu à ce qu’elle adore, ce Phénix qui se brûle lui-même pour vivre. »
Jean Cocteau, introduction à La Corrida du 1er Mai, 1957
Introduit par Picasso aux arènes d’Arles et de Nîmes, Cocteau est très vite fasciné par les toreros et les Gitans et il suit régulièrement les corridas, moins contestées à cette époque que de nos jours. Picasso est alors grand admirateur de ces spectacles et en organise parfois.
Un voyage en Espagne permettra à Jean Cocteau de découvrir Barcelone, Grenade et Séville et lui inspirera les textes La Corrida du 1er Mai (1957) puis le Cérémonial espagnol du Phénix (1961). Jean Cocteau, pour qui la Méditerranée est une seule et même entité, relie tout naturellement le spectacle de la corrida à la mythologie grecque. Faisant référence à l’affrontement de Thésée et du Minotaure, le poète remonte aux sources antiques de la tragédie.
Le thème du taureau est aussi un clin d’oeil à Lucien Clergue, arlésien, qui s’est imprégné depuis sa jeunesse de l’ambiance des ferias. Il est l’un des tout premiers à photographier l’agonie du taureau au ras du sol, sous la barrière de protection, montrant la noblesse de l’animal même dans sa mort. Il a fait paraître un ouvrage de photographies, Toros muertos (1966), et a été l’auteur d’un premier film, Le Drame du taureau (1965, prix Louis Lumière 1966).
Une des dernières illustrations de Jean Cocteau en 1963 est celle qu’il réalise pour l’ouvrage Taureaux pour Pedres, Curro Romero, El Cordobés en collaboration avec Jean-Marie Magnan. Il dessine une suite d’oeuvres tauromachiques inspirées des photographies que lui envoie Lucien Clergue. Alité et ne pouvant donc assister aux corridas, il honore, par trente-deux lithographies, le jeune matador El Cordobés.
GITAN
Dans les années 1950, une communauté de Gitans était installée à Arles pour le pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Pablo Picasso, Lucien Clergue et Jean Cocteau les côtoient et sont séduits par leur univers et leur sens de la fête.
De ce milieu sortiront des personnalités qui deviendront célèbres, parmi lesquelles Manitas de Plata.
Les photographies de Gitans par Lucien Clergue sont bien représentées dans l’exposition. Prises dès 1955, Jean Cocteau les a décalquées et revisitées dans deux oeuvres monumentales qu’il laisse dans le Sud : la chapelle Saint-Pierre à Villefranche-sur-Mer et la salle des mariages à Menton.
Une des fresques de la chapelle a pour thème le Reniement de saint Pierre. Ce mur s’inspire directement du cliché du photographe représentant une rixe mimée entre Gitans. La fresque Hommage aux Saintes-Maries-de-la-Mer s’inspire du cliché où Manitas de Plata joue pour faire danser une de ses filles.
De même, dans la salle des mariages de Menton, Cocteau a repris, au-dessus du linteau d’une porte, une photographie de Clergue représentant une Gitane et au pied d’Orphée, sur la fresque du mur de gauche, gît un flamant rose photographié en 1956.
Quant à l’affiche du Festival de musique, Jean Cocteau s’inspire de la photographie de Clergue figurant une Gitane à la guitare.
DE LA CORRIDA AU FLAMENCO
À l’image de la collaboration de Cocteau et Moretti dans la série lithographique des Corridas (1963), le rythme est à l’honneur dans cette séquence. Des scènes de flamenco dont les danseurs en habit de lumière miment le combat du taureau, aux « improvisations chromatiques », le thème de la danse et de la vitalité prolonge la découverte autour du taureau.
Les techniques alternent du dessin à la lithographie, puis du livre illustré à la céramique. Dans ce parcours s’impose une fois de plus une cadence propre à des évocations à la fois contemporaines et issues d’autres temps.
Dans l’imaginaire de Jean Cocteau, le torero et la bête forment un couple particulier. On ne sait plus qui est le mâle et qui est la femelle. Le thème de la corrida est un hommage aux grands matadors des années 1950 : Manolete (1917-1947), Luis Miguel Dominguin (1926-1996), Pedrés (1932), El Cordobés (1936)…
Au rythme de la corrida succède donc celui du flamenco. Nous savons son importance pour l’auteur de La Corrida du 1er Mai qui en parle en ces termes : « Le rythme flamenco (sous toutes ses formes) est
impair […] » C’est cette imparité qui permet à cette danse de triompher de la mort. Car chez Jean Cocteau, le rythme pair provoque toujours la mort : « Les Gitans poussent ce culte instinctif de l’impair, les femmes jusqu’à ne porter qu’une seule manche, les hommes jusqu’à retrousser une seule jambe de leur pantalon. Cette science infuse du rythme boiteux est un des secrets de leur incroyable vitalité. »