Théo Tobiasse est né en 1927, en Israël, dans une famille originaire de Lituanie qui s’installe à Paris alors qu’il a 5 ans.
Plus tard, étudier aux Arts Déco lui sera refusé en raison des lois discriminatoires anti-juives. C’est dans la pénombre d’un appartement où il reste caché jusqu’à la fin de la guerre qu’il commence à dessiner et qu’il mûrit son style de dessin et de peinture, faisant preuve d’un talent précoce confirmé par ses premières oeuvres. Il a sublimé dans ses peintures les années obscures qu’il avait vécu, gardant cette blessure jusqu’à la fin de sa vie. A la Libération, il travaille un temps à Paris comme graphiste dans la publicité, ayant à transmettre un message imposé souvent sans intérêt. Pour donner du relief à ses dessins, il construit un contexte attrayant.
Chez lui, la lumière agit à la fois sur le tableau et sur les personnages qui le composent.
Au Musée Magnelli, un accrochage non chronologique, mais déroulé sur le fil rouge de la biographie, prend en compte l’unité de l’oeuvre.
Dès le début, Tobiasse a trouvé son style et ses thèmes favoris : la femme - mère ou amante -, la Bible, l’exil, les villes où il s’est posé : Paris, New York, Venise, Jérusalem et surtout Saint-Paul-de-Vence, où il s’installe en 1976.
Un formidable parcours apprend beaucoup au visiteur sur Tobiasse et sur la chronique visuelle de la souffrance transcendée, avant de s’immerger dans un paysage où dominent le bleu du ciel et les rouges du soleil couchant. C’est ébloui qu’il découvre la lumière de la Côte d’Azur avec une joie de vivre qu’il ne cessera de décrire dans sa peinture par la profusion des couleurs. Il s’installe d’abord à Nice en 1971, quai Rauba Capeu pour admirer le scintillement du soleil sur la mer qui est une renaissance pour lui après l’enfermement durant l’occupation. Puis l’acquisition de sa maison de Saint-Paul-de-Vence représente la réalisation de son rêve, un lieu où il peut écarter - mais non oublier – les années noires de sa vie. Grâce à sa fille Catherine Faust-Tobiasse, son atelier est y conservé, encore à ce jour, comme de son vivant, restant une part de l’identité de Tobiasse avec l’accumulation d’une multitude d’objets hétéroclites, des « trésors », qui pourraient un jour servir dans sa création artistique (vieux boulons, bouts de ferraille...) tout ce qui pouvait ajouter du relief à ses oeuvres.
C’est dans cette maison aimée, adorée, qu’il va réaliser le plus clair de son travail, gigantesque panorama de vibrations éclatées, d’horizons basculés, d’impressions à fleur de peau. L’oeuvre entière de l’artiste se joue dans cette recherche d’équilibre, entre le bonheur d’exister ici et maintenant et l’invasion de souvenirs douloureux, entre l’imaginaire et la réalité, entre le sensuel et le cérébral. Il essaie de faire coïncider sa soif de vivre avec son intuition de peintre. Tobiasse aima peindre les femmes. Les femmes, sous toutes leurs formes, réelles ou imaginaires. Il aima surtout les dessiner nues en s’attachant aux courbes, à la ligne d’une hanche ou d’un sein, avec des formes plantureuses, dans des positions lascives, exhibant leurs charmes. Ce sont les formes exagérées de la femme qui donnent toute son ampleur à la composition.
Le dessin de Tobiasse ne se départira jamais de l’expérience de la ligne, celle qui donne mouvement et volume, lorsqu’il disloque le corps pour propulser le geste à l’image - ce qui se voit dans de nombreuses oeuvres. La femme, souvent caricaturée, donne des pistes sur cet artiste complexe et généreux, profondément habité par les souffrances de son enfance, mais si heureux de vivre de bien vivre. Il aimait organiser des fêtes dans sa maison de Saint-Paul dans laquelle on croisait tous les artistes de l’Ecole de Nice, Arman, César, Nivese, Altman... Sa gentillesse était légendaire.
On est dans un tableau de Tobiasse, l’écorché vif, dans une comédie ou une tragédie.
Etre le chantre du plaisir de vivre ne l’empêche pas de peindre la mort, il représente des trains qui partent pour les camps d’extermination. Le respect des morts se confronte à l’obstination de la vie. Vivre malgré tout. Vivre à tout prix. Il aime profondément la vie. Garder « la joie de vivre ».
Il a mûri son style dans les années difficiles. Sincère et passionné, ce sont ses blessures intérieures qui donnent cette peinture bouleversante de générosité, qu’on reçoit en plein coeur.
Tout autant que les femmes, Tobiasse aimait dessiner le monde surtout des villes qu’il affectionnait
Paris et ses monuments, New York et ses gratte-ciels, Venise et son mystère, Jérusalem et ses signes religieux, et surtout Saint-Paul-de-Vence où il s’était enraciné dans la maison de ses rêves. Les couleurs sont sauvages, folles, si une partie du ciel est plongée dans la nuit, l’autre peut briller d’une lumière trop claire. Cela reste mystérieux. Cette volonté d’incorporer l’imaginaire dans la réalité, pour répondre à ses propres sensations, lui permet de construire une oeuvre personnelle et chaleureuse. Il va vers l’autre sans aucune certitude de pouvoir l’atteindre, mais le fait pénétrer dans son jardin secret. Peindre c’est avoir pleinement conscience d’une liberté sans limites. L’art n’a pas de frontières. Quand on entre dans le cadre, lumière, attitude, composition, c’est l’insolite qui frappe et nous sommes loin d’une reproduction de la réalité, mais plutôt dans un univers poétique et onirique avec une palette qui oscille entre des rouges flamboyants et la couleur terre.
L’exposition de Vallauris présente un accrochage serré qui porte l’attention sur la diversité des thèmes de prédilection de Tobiasse, mais il invite aussi le visiteur à prendre le temps de contempler les différentes techniques qui apparaissent au fil des expos comme les étapes d’une recherche plastique très poussée.
Il aimait pratiquer ensemble l’image et les mots. Des mots poétiques qu’il introduit dans ses tableaux et dessins les mettant en images pour les réconcilier avec le monde.
Hyperactif, l’artiste passe de la pratique de la peinture à la sculpture et à la céramique ou encore, grâce à une presse spéciale, il réalisait des gravures au carborudum, une technique qui donne épaisseur et matière à ses aquarelles. Au fil du temps, il remet sans cesse son art en question et explore divers modes d’expression, gagnant en liberté et en force expressive, tandis que sa pâte s’épaissit et que les couleurs insistent sur la vivacité. Toutes ces pratiques artistiques, dans lesquelles il se plonge en forgeant son propre style, prouvent son plaisir palpable qui exalte joie de vivre et de créer.
Caroline Boudet-Lefort