Commissaire Florence Forterre, assistée d’Aymeric Jeudy pour DEL’ART
Nicolas Floc’h développe depuis de nombreuses années un travail sensible, s’interrogeant sur la relation du monde vivant à celui de l’art.
Les modes de consommation, de production et d’appréhension du réel sont au centre de ses préoccupations, avec une thématique récurrente, due sans doute à ses origines bretonnes : le milieu marin. Observer, cartographier, filmer, performer, l’artiste a réalisé plusieurs œuvres traitant tout autant des ressources de la mer que des rapports que l’homme entretient avec elle, des métiers, des usages ou encore des outils - du filet à la canne à pêche. Il travaille aujourd’hui à un inventaire des récifs artificiels.
Ses premières recherches l’ont mené dans de nombreux pays pour étudier, photographier et filmer ces récifs. Près de Nice, il en existe que l’artiste souhaitait explorer.
Plusieurs voyages sur la Côte d’Azur ont été nécessaires à Nicolas Floc’h pour réaliser ces plongées.
Le processus de travail a donné lieu à la réalisation de sculptures, de photographies et de vidéos.
Au cours de ces plongées, un nouveau projet s’est dessiné à Nice, il est question de prolonger les récifs artificiels existants par des structures molles, des cordages amarés à ces points d’ancrage en béton, dessinant une nouvelle architecture sous-marine que Nicolas Floc’h se propose de concevoir.
En hommage à Le Corbusier, c’est l’architecture de la Cité Radieuse, exemple-même de l’unité d’habitation « idéale », que Nicolas Floc’h se propose de dessiner en filaire.
Sensibilisation au monde marin, à sa préservation, l’artiste offre tant une recherche scientifique qu’un projet artistique, où la production sculpturale est un inventaire des formes de ces architectures marines.
Nicolas Floc’h par Dominique Abensour
Pour Nicolas Foc’h, l’art est le moyen d’investir la réalité de notre monde pour en proposer de nouvelles approches. Utilisant la photographie, la vidéo, la sculpture, l’installation ou la performance, il développe une œuvre prospective, marquée par un intérêt pour les systèmes liés à l’économie, ses circuits de production, de distribution et de consommation de ressources ou de biens matériels. Dans une dynamique de projet, il agit dans des domaines hétérogènes tels que la danse, le design, l’industrie, l’agriculture ou la pêche sans oublier l’art et son histoire.
Structures productives
En 2010, il retourne en mer, un milieu qui lui est familier, pour entreprendre un projet à long terme : celui d’étudier et d’inventorier les récifs artificiels qui prolifèrent aujourd’hui à grande échelle dans les fonds marins. Souvent construits en béton à partir de formes géométriques modulaires, ce sont des structures dites « productives ». Immergées en mer, elles développent les ressources aquatiques vivantes. En peu de temps, la faune et la flore colonisent ces constructions, amas chaotiques complexes ou architectures ambitieuses qui peuvent devenir de véritables villes soumises à des plans d’aménagement.
Des œuvres documentaires
A la Galerie des Ponchettes, un ensemble d’œuvres témoigne des recherches qui ont mené l’artiste au Japon, au Portugal, en France à Marseille et tout récemment à Nice. Là, il a exploré en plongée les sites de Golfe Juan et de Roquebrune - Cap Saint-Martin. Ces œuvres ont toutes une fonction documentaire. Les photographies et les vidéos donnent une visibilité à des pans de la réalité invisibles ou très difficiles à voir – les sites n’étant accessibles qu’aux scientifiques. En outre, ces images révèlent la qualité d’œuvre de ces récifs aux formes rigoureusement minimalistes. Retravaillés par les plantes et habités par les poissons, elles subissent une étrange métamorphose en devenant les sculptures et les architectures vivantes d’un monde baroque puissamment onirique. Quant aux maquettes des récifs, construites au 1/10ème, elles assument une double fonction Dans l’espace d’exposition, ce sont avant tout des sculptures mais aussi des documents en trois dimensions qui permettent d’appréhender la totalité des structures telles que les ingénieurs les ont conçues avant les phases d’immersion et de colonisation.
Un projet pour le site de Roquebrune
A l’occasion de son séjour à Nice, Nicolas Floc’h a conçu un projet pour le site de Roquebrune où se trouvent la tombe de Le Corbusier et l’une de ses constructions, modeste et ingénieuse, le Cabanon. En hommage au célèbre pionnier de l’architecture moderne, l’artiste envisage d’implanter en mer une structure productive inédite dont la forme serait celle du plan en élévation de la Cité radieuse. A une base en béton ou en acier seraient arrimés des cordages qui, lestés de flotteurs, s’étendraient pour matérialiser les arrêtes des principaux volumes de ce bâtiment : un parallélépipède sur pilotis. C’est à la fois une œuvre qui relève de l’architecture filaire dont l’artiste a déjà fait l’expérience* et une structure productive qui propose aux poissons une véritable « unité d’habitation » d’une trentaine de mètres de long. Des visites en plongée du site seraient organisées pour découvrir l’œuvre et en suivre l’évolution.
Une maquette de ce projet (150 x 250 x 300 cm) est présente dans l’exposition.
Peintures recyclées (2014)
A l’évidence ces œuvres affichent une certaine mobilité. Elles peuvent avoir une fonctionnalité, en totale contradiction avec la définition courante de l’art, être soumises à des reconversions, à des changements d’état ou de statut.
Les Peintures recyclées n’échappent à ces principes. Nicolas Floc’h relance à Nice cette série de travaux entreprise en 2000 en récupérant, auprès d’artistes niçois, des toiles qu’ils ne souhaitent pas montrer. Puis il en dissout la couche picturale pour en faire une pâte. La peinture ensuite remise en tube au nom de l’artiste est ainsi recyclée et de nouveau utilisable.
Force est de le constater, la plupart des œuvres de Nicolas Floc’h obéissent à des scénarios qui remettent en jeu les processus d’une économie de l’art. Elles fonctionnent comme des systèmes inventés pour ouvrir de nouvelles perspectives dans le monde vivant comme dans celui de l’art.
* En 2008, il s’empare de la Tour Eiffel pour en faire un filet de pêche réalisé à l’échelle 1. Transformée en engin de pêche, une forme molle qui étendra toute son envergure dans l’Atlantique pour pêcher, la Tour Eiffel perd toute sa prestance et sa position dominante. Après la pêche, le poisson sera vendu et consommé et le filet sera ramassé en un cube imposant accompagné d’un diaporama documentaire. Intitulée la Tour pélagique, cette œuvre est dans les collections du Frac Bretagne.