Émouvante étrangeté des "Portraits d’intérieurs" à la Villa Sauber
Tout lieu habité peut être considéré comme un portrait de son occupant. Même s’il n’en a pas vraiment conscience, l’agencement, la décoration des murs, les objets ou les images choisies, ne sont jamais là par hasard. Les meubles aussi ont une histoire, quelquefois ancienne (héritage, récupérations familiales, etc.).
Le décor dans lequel on a choisi de vivre n’est jamais anodin, il évoque notre passé, dit notre besoin ou non de confort, de clarté ou à contrario de désordre, d’accumulation, etc..
Chaque élément qui compose un "intérieur" a du sens, raconte quelque chose, renvoie à un souvenir ou possède une narration propre pour l’occupant ou pour qui sait la lire.
L’exposition "Portraits d’intérieur" (intérieurs de portraits ?) de la Villa Sauber fait preuve d’une grande originalité en exposant l’intime (exposer l’intime, un paradoxe), mais un intime fictionnel, pensé, fabriqué, par cinq artistes aux univers très différents qui nous font pénétrer dans des lieux privés, secrets, singuliers.
Dans la pièce très sombre de Laure Prouvost, "Wantee", on a l’impression d’arriver chez des gens à leur insu (ou après leur mort), dans des lieux chargés d’histoire(s).
Le film projeté redouble cette sensation en nous montrant de plus près les objets, le décor dans lequel on évolue. Les meubles portent encore la trace de leurs occupants après qu’ils aient disparus. Il y a quelque chose de presque gênant, de l’ordre de l’intrusion, du voyeurisme.
La caméra se promène sur les sculptures, dessins, peintures, céramiques et éléments de mobilier de cette maison étrange surchargée de signes et d’œuvres d’art d’un grand père imaginaire, Grandad, qui aurait été un artiste conceptuel, minimal, presque brut, proche de Schwitters.
L’installation est à la taille d’un appartement.
On y découvre la cuisine avec son brûleur, ses étagères, une chaise au pied coupé maintenu en équilibre grâce à une petite pile de livres, des objets étonnants : théière à trompe, tasses à bouches pulpeuses. Les fenêtres sont couvertes de signes graphiques, etc. Un univers étrange et sensible raconté par une voix off qui se dit gênée de montrer le désordre régnant.
Autre chambre, nettement plus claire, celle d’un personnage de lumière, Jean Cocteau, dont Marc-Camille Chaimovicz a tenté la reconstitution de la chambre imaginaire des "Enfants Terribles", une installation où chaque élément du décor renvoie à des œuvre du poète-plasticien-cinéaste. Aux murs, des tableaux d’artistes amis : Marie Laurencin, Warhol, Alvi, Tilmans
En relation avec cette installation, est présenté un choix d’œuvres de la collection du NMNM comprenant des dessins de Bérard, décorateur et ami de Cocteau (rideau de la fenêtre de l’escalier, papiers peints et dessins, esquisses de décors d’appartements ou de théâtre...)
Au premier niveau, passée la très belle antichambre en velours jaune cousu d’éléments de coton colorés (reconstitution d’un décor de Christian Bérard pour l’Institut Guerlain des Champs Elysées), une grande pièce aux vitres teintées présente les dessins de Nick Mauss, artiste new yorkais, en dialogue avec des projets de mises en scène et de décors issus des collections du NMNM (photos de Brancusi, des dessins de Cocteau, etc.).
Autre type d’ambiance insolite avec "Body double", où Brice Dellsperger rejoue les personnages de certaines scènes de films culte (comme Pulsion) devant des décors incrustés sur l’image (grâce aux fonds verts). Une présence-absence de décors fantômes aisément multipliables.
Avec "Isola Bella", très beau papier peint de 1842 représentant une végétation luxuriante, Danica Dakic a couvert le mur d’un foyer de personnes handicapées, transformant une petite salle en scène de théâtre sur laquelle les pensionnaires au visage couvert d’un masque interprètent des scènettes improvisées.
Le décalage entre la l’exubérance de la végétation, les chaises et les acteurs interprétant leur propre vie, est saisissant.
L’ensemble de ces portraits d’intérieurs est un voyage dont on revient troublé et déconcerté.