Libre et insolite, cette création jaillit de leurs esprits et de leurs doigts avec des oeuvres pétillantes et décalées qui rayonnent dans le paysage artistique contemporain depuis plusieurs décennies.
Comme tout artiste, ils transmettent dans leurs oeuvres ce sentiment de vie intense qu’ils éprouvent face au monde.
Marcel Duchamp prévenait « le seul grand ennemi de l’art, c’est le bon goût ». Que ce précepte soit vrai ou faux, Pierre et Gilles l’ont suivi à la lettre en l’associant au cinéma, une passion commune qui date de leur enfance, surtout pour Gilles. Aussi ont-ils choisi comme modèles de leurs oeuvres de célèbres artistes du 7ème art, en y ajoutant parfois ceux de la chanson populaire. Tous irradient grâce au décalage de leur apparence que les deux artistes inventent avec l’association de leurs imaginations débridées. Chaque toile a son histoire qui vient titiller les souvenirs du visiteur de l’exposition. Reconnaît-il la « vedette » du tableau ? Quel film lui évoque-t-elle ?
La photo est une étape pour les oeuvres de Pierre et Gilles, un point de départ qui donne le déclic pour densifier l’esthétique en la poétisant avec des couleurs souvent acidulées. S’ajoute la construction préalable d’un décor enrichi d’objets insolites qu’ils ont sélectionnés grâce à leur fabuleux imaginaire. Tels des magiciens, ils semblent avoir recours à des tours de passe-passe pour ajouter sans cesse leurs touches personnelles. Ainsi, comme une surimpression de cinéma, la Tour Eiffel, symbole de Paris, se superpose à la photo d’un paysage de la ville où un réfugié trimballe un baluchon encombré de « souvenirs » de Paris.
Pierre et Gilles créent et se font leur place dans l’art en se jouant avec plaisir du mythe de l’icône populaire.
Le mot « icône », venu de la religion, est un terme que s’est approprié la « pop culture » en le transgressant avec un aspect intemporel et/ou mortuaire qui peut susciter une émotion.
Ces deux créateurs dont l’univers, sous des dehors pop, est à la fois kitch et profond, mystique et léger, ont besoin d’aimer les artistes qu’ils photographient. Pour eux, l’originalité importe davantage que la beauté. Ils défient toutes les audaces en mêlant sexe et religion. Ainsi peuvent-ils idéaliser leurs modèles en quasi-divinités.
Dans leurs oeuvres singulières et poétiques, on peut admirer Jean Marais comme un dieu dominant la tempête, toutes les tempêtes qui éclaboussent la terre aujourd’hui. Hafsia Herzi devient « La Vierge à l’enfant ». Enfouie sous un amas de bijoux, on reconnaît Claudia Cardinale en « Madone du désert » et Dominique Blanc semble une Sainte de Lisieux....
Rossy de Palma évoque « Les larmes noires ». Après l’avoir interprété sur scène, Béatrice Dalle est une parfaite « Lucrèce Borgia. Isabelle Huppert devient « Ophélie », mais également un « Souvenir » entouré d’un monceau de boules et de fleurs. Avec un regard en biais, Marina Foïs s’encanaille dans « Les escaliers de la butte », et Charlotte Rampling montre ses yeux mélancoliques pour « Le départ ». Arielle Dombasle dévoile sa plastique dans « Le fruit défendu ». Natacha Régnier et Jérémie Renier sont deux fois modèles pour « Les Amants criminels » et pour « Alice et Luc » où ils semblent éclaboussés de sang... Sur l’affiche, placardée un peu partout dans Cannes, c’est Marie-France, une amie souvent modèle, alors que chacun croyait y reconnaître Brigitte Bardot.
Une place importante est accordée au rêve dans cet éclectique album de photos insolites où l’imaginaire prend ses aises pour s’en donner à coeur joie avec ces visages connus, garnis d’aplats de couleurs vives et de fonds géométriques, parfois oniriques.
L’art de Pierre et Gilles vagabonde au gré de leur ample imagination. Sans hermétisme, mais sans s’imposer des limites, il est accessible à tous.
Regarder leurs oeuvres, c’est ouvrir une fenêtre sur un monde onirique délirant et donner l’occasion à notre propre imagination d’errer dans un univers aux couleurs flamboyantes et pétillantes.
Caroline Boudet-Lefort