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Fin de cet événement Juin 2015 - Date du 21 mars 2015 au 21 juin 2015

Bernard Pagès - Papiers

Pour la première fois, les dessins de Bernard Pagès sont montrés dans leur ensemble au Musée Picasso d’Antibes. Un événement à ne pas rater pour (re)découvrir cet artiste rare.

Pagès a commencé par peindre dans le Quercy, où il est né en 1940. Il renoncera cependant assez vite à la peinture pour le terrain plus périlleux pour lui de la sculpture. Et c’est en sculpteur que la pratique du papier va continuer de s’imposer à lui. En sculpteur qu’il va aimer et malmener le papier. Papier qu’il n’a de cesse d’expérimenter, se fiant au répertoire du sculpteur qu’il s’est inventé, aux infinies possibilités des matériaux, toujours inconnus, ou encore au hasard et aux cueillettes d’objets dans le monde auquel il est attentif.

Bernard Pagès, 2014 Photo © JLA © Bernard Pagès

L’EMPREINTE D’UN DESSEIN

Extrait du catalogue de l’exposition - © Jean-Louis Andral

[…] Sculpteur, c’est le choix opéré assez vite par l’artiste, qui préférera renoncer à la trop grande facilité pour lui de la peinture, pour s’aventurer, en bon sportif, sur les terrains vierges et fascinants de la troisième dimension.
Et, logiquement, comme pour tous les sculpteurs, la pratique du papier va peu à peu s’imposer à lui et naître en réalité non pas d’un retour inopiné des outils du peintre lorsqu’il dessine – graphite, plume ou pinceau –, mais bien du répertoire du sculpteur qu’il a choisi de devenir, un sculpteur détournant des outils de leur fonction première et utilisant des matériaux trouvés de-ci de-là, au cours de « cueillettes » dans son
environnement immédiat. C’est donc naturellement, lorsqu’on lui propose en 1968 de participer à un projet d’édition, autrement dit à une publication sur papier, qu’il
prend le matériel utilisé alors dans ses sculptures, du grillage de clôture, dont il réalise une empreinte avec de la terre et de l’huile de lin, comme une mémoire de l’huile de la peinture délaissée. Ce papier est le premier d’une longue série
ininterrompue, que l’exposition d’Antibes va révéler dans sa diversité et son ampleur pour la première fois

Empreinte d’assemblage par jumelage, 1972 Organe de maintien : cheville Encres de couleur 21,5 x 30 cm Collection privée

Et il est caractéristique de ce que Pagès va mettre en place : réaliser des oeuvres sur papier avec le vocabulaire de sa sculpture, détachées pour ainsi dire de la main de l’artiste, sans que son habileté graphique intervienne directement dans le processus de création, sans non plus sacraliser le support, mais, au contraire, en intégrant dans son dessein une sorte de maltraitance de ce dernier, avec la prise de
risque inhérente à sa solidité. De nombreuses feuilles n’ont d’ailleurs pas résisté à certaines tentatives de l’artiste de les contraindre par des dispositifs physiques ou chimiques. Il est intéressant aussi de noter que c’est par un motif de clôture,
celui du grillage – qui est déjà un dessin – que se manifeste le retour au support papier pratiqué pendant les années de formation de Pagès, et que ce motif va, en réalité, permettre une production très prolifique. Comme si les limites de ces maillages l’autorisaient à cerner non seulement des gestes ou des images, mais aussi un nouveau terrain d’expérimentation, et que la contrainte induite par la répétition de ce treillis, loin d’enfermer, devenait une directive et ouvrait finalement à la
plus grande liberté. Il n’est question ici que de perméabilité, de passage. Et Pagès, qui ne voulait pas du hasard, ou qui du moins craignait l’inspiration, cadrait par le fil de fer son dessin qui ainsi, comme il le dit, restait « ouvert ». […]

[…] Il faut maintenant s’arrêter un instant sur la persistance de la couleur dans l’oeuvre de Pagès, depuis ses débuts dans la sculpture. Des premières barres de bois teintes avec des jus dilués de vert, de jaune, d’outremer ou de bleu de Prusse, où
elle avançait en quelque sorte masquée, aux pièces de métal décapées puis enduites d’un apprêt phosphatant, avant d’y poser une couche de fond, puis deux couches de peinture, la couleur naît de manipulations physico-chimiques dans lesquelles interviennent soleil, humidité, chaleur, recettes d’autodidacte alliées aux savoir-faire d’artisans rencontrés ici ou là.
Sur ce même support papier, l’artiste peut donc réaliser des oeuvres qui s’apparentent de manière immédiate au dessin, par la forte présence du trait, et d’autres qui peuvent évoquer la peinture, avec ses effets de matières, de dégradés, d’effets de surface, pour ne pas dire de touches. Ainsi, pour les dessins, des empreintes de ligatures dont les tracés puissants à la peinture de ferronnerie sont ceux, originels, des fils de fer récupérés à la ferraille et dont les formats de papiers sont limités aux dimensions de la presse qui donne aussi toute sa vigueur au dessin.

Avec les empreintes récentes – réalisées pour l’exposition – de plaques d’acier oxydées, la contrainte du format n’existe plus, et, à l’aspect filiforme du fil de fer, vient s’opposer l’épaisseur des plaques qui ont 10 ou 15 cm de large. La fabrication en est assez simple, mais le processus de l’oxydation, lui, ne l’est pas, et l’histoire qu’il va raconter dans les plis du papier, en fonction de l’adhérence relative de ce dernier avec la plaque d’acier, est une histoire très colorée.
Il s’agit là d’une couleur repoussante en quelque sorte, une couleur rejetée, une couleur en péril, celle du métal en train de pourrir. Et cette peau en décomposition, que la feuille va maintenant conserver telle une véronique d’aujourd’hui, appelle la caresse, comme souvent la sculpture, mais comme jamais le dessin, car, aux confins du rien, elle en propose, sur le papier, un autre filigrane.

GARDER L’ENFANCE

Extrait du catalogue de l’exposition - © Catherine Millet

[…] À la fin des années 1960, quand Bernard Pagès réalisa ses premières oeuvres, il se rapprocha de quelques artistes qui devaient constituer le groupe Support-Surface ou s’inscrire dans sa mouvance. Son travail présentait des analogies avec le leur : utilisation de matériaux et d’instruments non conventionnels, souvent pauvres (toile non préparée, grillage, tampons et pochoirs plutôt que pinceaux, etc.), recours à
des techniques ou à des gestes élémentaires (imprégnation, trempage, tressage, nouage…). C’était le retour à l’enfance de l’art. [...]

[…] Il conviendra un jour de réécrire l’histoire de Support- Surface et de son voisinage, mouvement qui se déploya de la fin des années 1960 jusqu’au milieu des années 1970, cela en diversifiant les seules références indéfiniment répétées : la couleur par le dessin de Matisse et la gestuelle des abstraits américains. Il faudra dégager d’autres relations, d’autres affinités. Certes, les très beaux papiers sur lesquels Pagès a appliqué une tôle ondulée et laissé s’écouler l’encre, ou l’huile
de vidange, dans les rigoles ainsi formées ne sont pas sans évoquer les Unfurleds de Morris Louis. Dans l’entretien déjà cité avec Pierre Gaudibert, il poursuivait : dessiner, c’était manier « des tôles [qui étaient] un dessin rigide et froid ».
Mais, à la lumière d’une continuité qui a déjà été soulignée entre les pratiques des Nouveaux Réalistes et celles de la génération qui suivit, des papiers et des cartons de petits formats, datés de 1971, empreintes de pluie et d’herbe, sont des échos évidents aux Cosmogonies d’Yves Klein. En raison de l’utilisation de matériaux naturels, plus ou moins bien dégrossis, ou d’objets de récupération, plus ou moins usés, on peut aussi établir une comparaison avec le mouvement italien contemporain de l’Arte Povera, que Germano Celant a défendu en tant que réaction à l’aspect neuf et clinquant du pop art de la deuxième génération, celle d’Andy Warhol ou
de Roy Lichtenstein. […]

[...] Dans les premières lignes de commentaires que Bernard Pagès a consacrés à sa pratique de dessinateur, le terme d’écriture revient à deux reprises. Bien qu’il soit utilisé de façon précise pour d’une part désigner les dessins figuratifs des années 1960-1965, d’autre part le fait que ces dessins se rapportaient à des objets « construits, structurés » (des arbres dénudés, des façades et des détails d’architecture), je m’interroge sur ce que l’artiste entend par ce mot très conséquent. De façon inattendue, je commence à le comprendre lorsque, délaissant un moment les oeuvres sur papier, je m’intéresse aux dessins pariétaux que l’artiste a réalisés en grand nombre, et dont j’ai vu un exemple chez lui, dans un passage entre deux corps de bâtiments. Le mur, dont le plan est préalablement badigeonné de couleur, parfois divisé en plusieurs larges zones géométriques de couleurs contrastantes, est strié de lignes parallèles qui lui ont été arrachées, mettant au jour le matériau que la couleur masque en partie. Quelquefois, plutôt que des lignes grossières, c’est une constellation d’éclats de plâtre mis à nu qui parcourt les champs de couleur. On pourrait parler de dessins au burin.
Je rapprocherais d’ailleurs ces interventions d’un ensemble d’oeuvres sur papier particulièrement puissantes : ce sont des monotypes réalisés à l’aide de pierres gravées et de couleur glycérophtalique rouge ou noire. Les signes qui apparaissent
en réserve dans la couleur présentent un caractère primitif, ou sommaire, telle une sorte de plan jeté à la va-vite sans souci de parfaire les angles, ou une flèche maladroite.
Ces dessins par entailles, dans ce qui constitue normalement le support neutre des oeuvres d’art, tout à coup font resurgir du fond des âges ces marquages – plus frustes que les peintures d’animaux si déliées – et qui sont des empreintes de mains
ou de simples semis de points, empreintes de poings en fait, lorsqu’on suppose que l’homme s’est servi de son poing, préalablement enduit de pigments, comme d’un tampon.
Écriture très primitive pour, avant même d’évoquer les animaux et la chasse, dire sa présence au monde. L’homme a tracé des signes avant de construire et de labourer. Mais il y a dans le geste de Pagès une charge de violence, même si elle est maîtrisée, que n’ont pas les peintures rupestres. J’aime l’idée qu’un artiste qui, avec quelques condisciples, décida de montrer d’abord son travail en pleine nature, hors des espaces institutionnels, n’hésita pas, le jour où il fallut bien exposer dans une galerie ou un musée, à s’attaquer, et pas seulement symboliquement, au mur qui se refermait sur son travail. L’homme civilisé est moins soumis à la nature que
son très lointain ancêtre, mais il n’est pas plus libre. Tant qu’à faire d’être au monde, et de devoir en accepter les limites, autant s’y colleter.

Et autant inscrire sa présence dans tout l’espace disponible. Dans le même paragraphe où il parlait d’écriture, Pagès notait l’analogie entre ses premiers dessins d’arbres et « les éléments les plus aériens et les plus gesticulants des sculptures » qu’il réalise aujourd’hui. Cela saute aux yeux lorsqu’on rapproche ces dessins anciens des dessins préparatoires pour les sculptures des deux dernières décennies. Progressivement, ses colonnes aux allures de totems se sont prolongées en
d’impressionnants porte-à-faux, et les arborescences ont fini par ne plus tenir qu’à un pied, pas toujours massif. Comme beaucoup de ces réalisations ont trouvé leur place dans l’espace public, que leurs terminaisons sont souvent très graphiques ou contournées (grilles, IPN trouvés déjà tout tordus), il semble que leur auteur ait voulu écrire à même le ciel. […]

Empreinte de grillage triple torsion, grande maille, 1974 Peinture vinylique épaisse appliquée au petit pinceau (10 mm) 65 x 100 cm Collection privée Photo © François Fernandez © Bernard Pagès
Empreinte de grillage simple torsion, maille moyenne, 1974-1975 Peinture vinylique épaisse appliquée au pinceau moyen (50 mm) 65 x 100 cm Collection privée Photo © François Fernandez © Bernard Pagès

AU COMMENCEMENT ÉTAIT LA PEINTURE

Bernard Pagès - Propos recueillis par Jean-Louis Andral
Contes, 21 octobre 2014

C’est dans le Quercy où j’ai grandi que, très tôt, par la peinture, j’ai entamé une activité artistique. J’ai aimé l’enseignement du professeur de dessin du lycée avec qui j’avais des rapports privilégiés et à qui je montrais ce que je faisais. Il avait fait l’école des beaux-arts de Toulouse et passé son diplôme de professeur de dessin. Sa peinture était sage mais elle avait de la chair et cela me plaisait. Les portraits de famille – des personnes que je connaissais – m’avaient beaucoup sur pris,
et la lumière, appuyée, me semblait donner de la vie à ses paysages.
Comme j’étais très mauvais élève à l’école, dessiner ou peindre était, avec le sport, une manière d’exister. Le sport a été très important pour moi, et il est vrai qu’on peut trouver une relation entre le sport et la sculpture que j’ai pratiquée plus tard et qui demande, elle aussi, un réel engagement physique. […]

[…] Faire l’artiste, c’est-à-dire le peintre, avait été une entreprise qui, en réalité, m’avait coupé de mon histoire, de mon milieu d’origine, de tout ce qui était ma culture
propre. Et la sculpture maintenant me permettait de me réconcilier avec une part fondamentale de moi-même qui avait été jusqu’alors occultée. Une part liée à mon enfance et notamment à mes grands-parents paysans. Ils cultivaient selon des procédés d’avant-guerre avec peu d’outillage, et des machines encore tirées par des animaux. Je suis parti de la ferme à l’âge de sept ans, mais j’y avais passé toute
l’Occupation et connu une existence particulière faite de beaucoup d’entraide, de débrouillardise : il fallait être très ingénieux pour faire face aux nécessités, on vivait en
autarcie, on n’achetait rien ou presque... À la maison, on faisait tout. Et bien des années après, renonçant à la peinture, je me retrouvais au fond dans le même dénuement, et je pouvais renouer avec certains éléments de cette existence... Ce qui
est étonnant, c’est que ce sont l’abondance et l’accumulation des matériaux des Nouveaux Réalistes qui m’ont guidé, à rebours, vers une pratique élémentaire.
Je fais alors des sculptures dont les matériaux ne sont pas transformés : c’est la confrontation de deux matériaux sur lesquels je n’interviens pas et que je qualifie d’« arrangements ».

Deux volumes identiques de briques et de bûches, par exemple, sont disposés comme le veut l’usage pour chacun de ces matériaux, je n’interviens pas dans la manière de les installer, je ne les transforme pas, je n’utilise pas d’outils.
Sur les papiers, j’applique un peu le même principe de non intervention, loin du tracé du dessin. Lorsque Jacques Lepage m’invite en 1968 à participer, avec une quarantaine d’artistes, au projet de publication, Dossier 68, j’ai utilisé du grillage dont
je me servais dans les sculptures et que j’ai appliqué sur le papier avec de l’argile et un peu d’huile de lin comme fixatif.
Au début des années 1970, j’ai réalisé des empreintes de fer à béton oxydé sur papier Japon. Et arrivé à Contes où j’habite depuis 1971, j’ai expérimenté beaucoup d’empreintes qui ont souvent disparu ; avec des feuilles, des branchages, avec de
la terre, avec du sable, avec la pluie, le soleil, quêtant des matériaux dans mon environnement immédiat. Il y avait aussi l’idée de mettre ces papiers en péril, de les mener aux limites de leur résistance, et d’étudier une sorte de territoire
inexploré. Mon projet était de travailler sur du papier mais sans dessiner de la main comme j’avais appris à le faire. Dans la sculpture j’avais eu la même démarche, parce que, même s’il y avait des manipulations, je n’intervenais pas sur les
matériaux : la tôle ondulée restait intégrale, les barres de bois pouvaient peut-être parfois être teintes mais elles n’étaient pas ouvragées, il n’y avait pas de travail de taille, de ponçage, pas de transformation des matériaux... […]

[…] Le papier n’a jamais été une activité autonome, plutôt une pratique latérale, sans souci de production. J’ai besoin de prétextes pour me servir du papier, comme l’exposition à Antibes qui m’a fait expérimenter des formats beaucoup plus grands que ceux que j’utilisais jusque-là pour des empreintes
de métaux oxydés
. […]

Empreintes de pierre taillée, 1989 Laque glycérophtalique : cinq empreintes à la peinture noire et trois empreintes à la peinture rouge 65 x 50 cm Collection privée Photo © François Fernandez © Bernard Pagès

Artiste(s)

Bernard Pagès, le mariage des contraires

Bernard Pagès, 68 ans Sculpteur Transfigure la laideur en beauté Des avant-bras noueux de travailleur de force mais le regard concentré du penseur, une moustache gauloise d’origine paysanne mais le cheveux mi-long du marginal des seventies … tel apparait Bernard Pagès à qui tente de percer (…)

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