"Cailles blanches, grisettes et aigrettes noires"
Née à Cannes, ayant fait ses études artistiques à la villa Arson, Natacha Lesueur a trouvé sa voie dans son miroir. La petite fille qui se déguisait et prenait des poses devant son miroir, une pratique universelle, s’est transformée en art, la photographie lui permettant de fixer son image en Carmen Miranda ou en une multitude impressionnante de femmes.
Avant la photo, elle peignait, dit-elle, "du sous Bacon", un artiste qui joue aussi sur la représentation des corps, mais ceux que nous présentent Natacha, loin d’être déformés, sont plutôt survalorisés, surmultipliés et lui permettent d’infinies variations.
Depuis 1994, elle développe un travail étonnant en quantité et qualité qui lui a ouvert les portes des meilleures institutions et galeries (Villa Médicis, prix, expositions prestigieuses, etc.)
Ses photographies, à l’instar d’images de publicité ou extraites de films, sont travaillées en studio, mises en scène, souvent par séries, avec lumière, maquillage, costume et postures très étudiées.
- Vue de l’exposition © Galerie Eva Vautier
Si l’image naît d’une idée, d’une vision, d’un percept (Deleuze), l’artiste prépare chacune d’elles avec le maximum d’intelligence, de discernement pour aboutir à la densité nécessaire. Ce n’est plus le "pinceau qui pense" du peintre, mais la lumière maîtrisée à travers les différents filtres des appareils, des techniques d’éclairage et de tirage. La lumière varie, résiste, il faut l’amadouer, en faire sa complice. Ses photos sont pensées et composées comme des tableaux.
- Natacha Lesueur, Sans titre, 1996, 100 x 100 cm Epreuve gélatino argentique baryte
Chez Eva Vautier, les "Cailles blanches, grisettes et aigrettes noires" représentent des archétypes explorant les problématiques féminines : "souffrir pour être belle" (empreintes sur les jambes dues à des bas trop serrés, scarifications, marques sur le corps, cheveux brûlés à force de traitement ou portant des traces de balles comme si on avait tiré dessus).
Ce cheveu ("je veux" ?) de la femme qui a toujours été insupportable pour les religions qui ont voulu (et veulent encore) le cacher, Natacha l’exhibe au contraire dans des coiffures démesurées (Carine), très bouclées à la manière des coiffes sculptées dans la pierre (Sans Titre), se prolongeant en bouquets de fleurs émergeant d’un vase en forme de tête.
- Natacha Lesueur, Sans titre, 2014, FaÏence engobe gris 50 x 30 cm
Archétypes, personnages de fiction, masques, simulacres, mystifications, etc., Natacha se joue de tous les modèles, de tous les styles. Cette quête de soi sous des apparences multiples rend compte des profondeurs insondables et infinies de la représentation comme métaphore de l’être.
- Natacha Lesueur, Carine & Barbara,, 2015, 100 x 80 cm Photographie analogique, Épreuve Lambda sur ilfoflex
Parallèlement, à la Galerie de la Marine, Natacha Lesueur se déploie en Carmen Miranda, icône brésilienne des années 40, comédienne et chanteuse, devenue pour Hollywood le symbole de la star latino-américaine.
Le très beau catalogue du Mamco donne une idée de l’impressionnant travail qu’elle développe autour de la métaphore culinaire. Corps et aliments (crus ou cuits) sont mis en relations dans une confrontation fabuleuse.
Très belle idée de Eva, à chaque artiste exposé, une carte blanche est donnée pour inviter un artiste dont le travail l’intéresse. Ainsi Natacha Lesueur a invité Anita Gauran.
- Anita Gauran, Rayogramme, dimensions variables épreuves argentique sur papier baryté, épingles
Artiste invitée -Anita Gauran
Née à Toulouse, passionnée de collecte et de collections, son mémoire d’art et d’archéologie aux Beaux Arts de Rennes la met sur une voie particulière, celle d’une fiction archéologique.
Sur des photos noir et blanc de vitrines de musées, Anita impose en labo photo des objets qui oblitèrent une partie de l’image. Sorte de ready-made photographique, cette imposition d’un objet reconnaissable par sa forme déplace ou renforce le sens de l’image.
Ses installations se présentent comme des assemblages de photographies qui portent chacune des oblitérations d’objets (achetés dans les magasins à 2 euros) qu’elle met en relation avec le sujet, provoquant des détournements humoristiques. Un travail transversal entre l’art, l’objet archéologique et la mise en scène.
- Anita Gauran, Sans Titre, 2015, 61,5 x 40 cm, épreuve argentique sur papier baryté, épingles