"Deux grandes expositions de gravures mettent à l’honneur deux grands collectionneurs.
Le premier, Castor Seibel, accompagne depuis de nombreuses années la programmation du Centre d’art par des prêts, notamment autour des expositions :
– André Masson / Les Grands Illustrés, ou Le Monde merveilleux de l’oeuvre
gravé en couleurs
– Georges Braque / La Magie de l’estampe
– Jean Fautrier / La Figuration libérée
et aujourd’hui pour l’exposition :
– Marc Chagall / Les Couleurs de la vie
Le second collectionneur, niçois, est Jean Ferrero. C’est un des protagonistes
du nouveau réalisme aux côtés de Pierre Restany, fondateur du mouvement.
Jean Ferrero, depuis l’ouverture du Centre d’art, en 2001, nous a accompagnés
par des prêts circonstanciels et grâce à son enthousiasme, parfois par le prêt
de la totalité des oeuvres exposées :
– Arman / Les Inédits
– César / Expériences graphiques
et aujourd’hui pour l’exposition :
Salvador Dalí / Aux frontières du réel
Cette dernière exposition présentée dans le cadre des « Rencontres
littéraires » est une préfiguration de l’exposition de l’été 2016 au Centre
d’art, consacrée à Salvador Dalí et qui aura pour originalité de montrer
une partie de l’oeuvre gravé, prêté par Jean Ferrero, mais aussi l’intérêt de
confronter cette oeuvre aux dessins, à la peinture et à la sculpture, provenant
d’un ensemble constitué autour de diverses collections particulières
européennes…"
Frédéric Ballester
Directeur du Centre d’Art la Malmaison
Commissaire des expositions
L’exposition "Marc Chagall - Les Couleurs de la Vie" est actuellement présentée au Centre d’Art La Malmaison de Cannes.
On retrouve à travers les oeuvres exposées les thèmes qui sont chers à Chagall : la mythologie autour de la Bible, son amour partagé pour sa première femme Bella ou encore les paysages russes de son village natal.
Oeuvres Graphiques "Les Couleurs de la Vie"
"Ma collection de lithographies, eaux-fortes, aquatintes et bois de Marc Chagall s’est faite au cours de 50 années. Tout mon intérêt fut d’acquérir non seulement les planches signées et numérotées, mais surtout, dans la mesure du possible, des états et des épreuves d’essai qui n’entraient jamais dans le commerce, mais se perdaient plutôt dans quelques coins des ateliers.
Toutes les oeuvres lithographiques de Marc Chagall se réalisaient dans les ateliers du maître imprimeur Fernand Mourlot qui en établit le catalogue raisonné. Mais s’il avait voulu faire reproduire tous les états en couleurs de toutes les planches qui menaient finalement à l’épreuve définitive numérotée et signée, le catalogue eût compris 20 volumes au lieu de 6 parus, et l’éditeur André Sauret se fût ruiné et poussé, il se peut, vers le suicide, et aucun exemplaire d’un tel « opus magnum » ne se serait vendu.
Je suis heureux que le ‘Centre d’art’ « la Malmaison » à Cannes montre ma collection de l’oeuvre gravé de Marc Chagall. On peut donc voir outre les épreuves définitives moult états exposés ici pour la première fois. On peut suivre le travail fascinant dû au maître lui-même et aux capacités fabuleuses des chromistes, se rendre compte de l’étroite collaboration avec l’artiste, donc suivre les variations et modifications en cours qui constituent la grande aventure des réalisations graphiques.
S’avèrent surprenantes les grandes voies et les petits sentiers du parcours, ça veut dire : l’alchimie des entreprises s’effectuant chez Mourlot et Lacourière durant de longues décennies. Sont à nommer également les chromistes, en premier lieu Charles Sorlier chez Mourlot et Jacques Frélaut et Robert Dutrou pour les ateliers Lacourière.
Jean Cocteau qui exécutait ses lithographies chez Mourlot dans les années 50 et 60 vantait l’atmosphère de travail, l’ambiance amicale dans ces lieux. Dans les 8 volumes de son journal « le passé défi ni » il mentionne à plusieurs reprises le talent de l’équipe autour de Fernand Mourlot. Cocteau considérait chacun des collaborateurs non comme simple artisan mais comme artiste à part entière. Chagall qui travaillait surtout avec le chromiste Charles Sorlier se sentait parfaitement à l’aise dans ces lieux. Le travail l’enthousiasmait là ! Il écrivit « Devant une toile blanche je me sens si frêle, si seul, mais ici je respire plus librement. »
Les états, la genèse d’une lithographie en couleurs, c’est, chaque fois, une aventure. D’un état à l’autre, l’oeuvre – « in progress » - se modifie jusqu’à arriver à l’état définitif qui donne pleine satisfaction à l’artiste.
Les épreuves successives – donc en cours – n’existent plus, hélas, le poêle de l’atelier de la rue Chabrol les ayant englouties – surtout en hiver pour en chauffer l’atelier.
À l’époque on n’avait point l’esprit ni l’ambition d’archivistes.
Le climat fut celui de la création, non de la conservation.
Plus rares encore sont les soi-disant « surprises du hasard », terme et technique inventés par Max Ernst. Il s’agit de surimpressions de plusieurs motifs sur une seule et même feuille de papier exécutées à un seul ou deux exemplaires. On en verra
à l’exposition de Cannes : lubies et caprices d’atelier.
Toutes les techniques graphiques demandent une approche, une vision de très près de la feuille pour que l’oeil de l’amateur saisisse les rapports intimes entre formes et couleurs, les jeux entre les couleurs mêmes, se superposant, se chevauchant les
unes les autres, valeurs d’une subtilité exquise."
Castor Seibel
Juillet 2015
Marc Chagall
"Verlaine a dit : "de la musique avant tout".
Nous pourrions dire : de la couleur avant tout.
Mais cette couleur n’est pas obligatoirement criarde ou décorative, sortie comme déchaînée du tube. Sa noblesse peut se sentir aussi à travers même des dizaines de couches de vernis comme chez Rembrandt, Goya, Daumier, dans la retenue ascétique de Paolo Ucello ou, de notre temps, dans la liberté de couleurs d’un Claude Monet.
Mon rêve sur la couleur ou sur un certain coloris général reste en moi. Ce rêve est indépendant de la figuration ou de l’abstraction de la toile ; indépendant de tel ou tel isme, dans telle ou telle époque de l’histoire : ces ismes sont, peut-être, d’une certaine manière, caractéristiques pour leur époque, mais ne sont-ils pas passagers ?
Ce n’est pas ma faute si mes yeux sont « empoisonnés chimiquement » et si je vois avant tout, dès le seuil, une couleur, un coloris, qui m’attirent ou me repoussent. Plus je suis âgé, plus je sens cela.
Ainsi j’ai été attiré par les couleurs de Cimabue, de Giotto, de Mazaccia, de Goya, de Chardin, de Watteau, de Le Nain, de Monet…"
Marc Chagall