Et s’occuper d’Arden Quin, c’est subir la frustration de ne pouvoir être exhaustivement avec MADI International contemporain, qui ne cesse de se manifester, comme il le fit récemment en avril au dernier Salon des Réalités Nouvelles, avec Dominique Binet, Jean Charasse, Joël Froment, Sakae Hasegawa, Yumiko Kimura, Mitsuko Mori, Torsten Ridell, Saint-Cricq, Satoru Sato, János Szász Saxon, Philippe Vacher, Helen Vergouwen, Piergiorgio Zangara (tous ceux-ci faisant partie de l’exposition du Centre International d’Art Contemporain, Château de Carros, intitulée « Conscience polygonale, De carMelo ArDen quIn à MADI contemporain »), ou, du 20 avril au 25 mai, au Palais de Glace, Maison de la Culture de Buenos Aires, dans « Madi International Argentine/Uruguay/Brésil » (avec, de ceux qui exposent au CIAC de Carros : Arden Quin, Blaszko, Bolivar, Martin et Pepe Cacerès, Facio, Castro, Galvaõ, Marinho, Monferran, Prestach, Ramaglia, San Martin, Stafforini, Tommaseo), et encore dans celle déjà citée, intitulée « Noir et Blanc Madi » à la galerie Kanalidarte, Brescia, terminée le 30 avril, ou encore (decq1 : Arden Quin/Bolivar à la Galleria MAReLIA) par le duo « Arden Quin/Bolivar » à la Galleria MAReLIA de Bergame, du 14 mai au 16 juillet 2011.
L’invitation de cette dernière exposition montre « Forme Galbée » d’Arden Quin, « Monade » de Bolivar, et ne manque pas de rappeler la présence du « pionnier » dans l’exposition du MoMA de New-York en 1993 : « Latin American Artists of the twentieth Century », et dans celle du Museo Nacional Reina Sofia di Madrid en 1997 ; dans celle du MACLA, Museo de Arte Contemporeano de La Plata, Buenos Aires en 2000 ; dans celle du Musée MALBA, Museo de Arte LatinoAmericano, Buenos Aires en 2005 ; enfin dans celle du CIAC, Centre International d’Art contemporain, Château de Carros, qui se terminera le 30 mai prochain. La légende de MADI est vraiment sur le gril en ce moment, mais quel travail accompli de puis tant d’années. Un petit échantillon d’expositions peut être extrait d’un catalogue de Franco Cortese :
– 2006 : MADI Internazionale – « 40 artisti in mostra » Spazio Lattuada – Milano
– MONOCHROME MADI Centre d’Art Géométrique Madi Galerie Orion Parigi (F)
– 2007 : Geometria & Cosmo Chiesa San Giacomo degli Italiani Napoli
– MADI MONOCHROM Mobil MADI Museum MTA MADI Gallery Gyôr (Ungheria)
– Expo Arte Images Art & Life – Bari
– MADI ITALIA Associazione Culturale « Verifica 8+1" Venezia Mestre
– « Noir et Blanc » MADI MAUBEUGE Centre Culturel de l’Arsenal Maubeuge (F)
– « Noir et Blanc » Galerie Orion Parigi (F)
– « Prologo di un sessantenario » Villa Savonarola Portici (Na)
– « Le triangle MADI » Galerie Orion Parigi (F)
– 2008 : Exposition MADI International Maison de l’Amérique latine Parigi (F)
– La collezione Zavattini Museo MAGI 900 Pieve di Cento (BO)
– Exposition International Mobil MADI Mùzeum Budapesti, Fegyhàz és Börtön (Ungheria)
– Esposizione Internazionale MADI Galleria Pisanello Verona
– Triangle Hàromszög MTA MADI Galéria Gyôr (Ungheria)
– Teoria del MADI Galleria Scoglio di Quarto Milano
– Œuvre MADI J M Gout Werner et Galerie François Féderlé Barbizon (F)
– Arte MADI Italia Galleria Spazio Arte Napoli
– MADI Italia Galleria ONART Mondragone (Caserta)
– 2009 : MADI Movimento Intemazionale « Oltre la geometria » Galleria Blu di Prussia Napoli
– MADI Mobil Madi Mùzeum Kévés Studio Galéria Budapest (Ungheria)
– « Né carne né pesce » Rassegna d’Arte Contemporanea Ospedaletto dei Crociati Molfetta
– Madi Arte come invenzione Galleria Marelia Bergamo
– Sculpture and object XIV (International Exhibition Gallery Z – Bratislava Slovacchia)
– « Madi » Movimento Internazionale d’Arte Castello Aragonese Reggio Calabria
– « Bichrome MADI » Conservatoire des Arts Montigny le Bretonneux (F)
– « Geomix Trends and points of view B55 Contemporary Art Gallery – Budapest, Ungheria)
– « Segni XIibri Rettangoli d’amore Palazzo del Comune Civitanova Marche (MC)
– 2010 : « Convergenze Geometriche » Reggia di Caserta Caserta
– MADI petit format Galerie Olivier Nouvellet Parigi (F)
– Madi Bianco e Nero Galleria Marelia Bergamo
– « Bichrome MADI » Conservatoire des Artes Montigny le Bretonneux (F)
– Galaxie des Artistes Madi Galerie Akié Arihi Parigi (F)
– MADI International Centro Cultural Borges Buenos Aires (Argentine)
– Complementarità Madi Castel dell’Ovo Napoli
– 2011 : Noir et Blanc MADI Kanalidarte Galleria d’Arte. Contemporanea Brescia
– « Conscience Polygonale, De carMelo ArDen quIn à Madi contemporain » Centre
– International d’Art Contemporain, Château de Carros (F)
FRANCO CORTESE
Franco Cortese né en 1949 à Giovinazzo (Italie), qui vit et travaille à Terlizzi. Diplômé des Beaux-Arts de Bari, peintre, sculpteur, scénographe, designer, il commença à exposer en 1972, devint membre de Madi International en 2004. En dehors des multiples expositions MADI citées dans son catalogue, ses œuvres ont été montrées dans de nombreuses galeries et musées italiens, et en Malaisie, en Argentina, aux U.S.A, en Lybie, en Hongrie, en France, particulièrement en 2008, dans l’exposition « Mouvement MADI international Buenos Aires 1946 – Paris 2008 » à la Maison de l’Amérique latine, Paris. En 2007, Giorgio Segato met l’accent sur l’aspect ludique des surfaces de Franco Cortese, chargées d’énergie. C’est vrai que ces espaces d’ondulations, de pliures, de rigoureuses complexités telles des méditations sur la « strate », explorent intelligemment le « chiffre » de la Forme. L’interrogation de la complémentarité n’est pas oubliée, ni celle du contraste entre les couleurs.
REALE FRANCO FRANGI
Reale Franco Frangi, lui, est l’un des artistes MADI qui en ont traversé plusieurs époques. Né en 1933 à Milan, il vit et travaille à Milan. Sa formation s’est faite à l’Académie de Brera, où il prit des cours d’art et d’architecture, l’année 1969 vit ses premières œuvres construites et l’invention d’une « cellule habitable ». Dès 1979 il fonde et dirige des revues. En 1991 il est con-fondateur du Mouvement international MADI italien. En 2008, il participera à l’exposition « Mouvement MADI international Buenos Aires 1946 – Paris 2008 » à la Maison de l’Amérique latine, Paris. « Frangi, artiste madi particulièrement actif qui s’est fait connaître en 1963 en prenant la tête de la revue Artestudio, expérience qui préluda à sa recherche sur les matières plastiques pour espaces-environnements… » écrira Giorgio di Genova in « Arte Madi Italien » en 2002.
Trop brèves notices biographiques pour des artistes si actifs dans leur réflexion et leurs passages à l’acte esthétiques. Comme Arden Quin le fit à toutes les époques, ils se sont complètement impliqués dans l’histoire de l’art du monde dans lequel ils vivaient, relançant sans cesse leur création, sur le mode dynamique de MADI. Alors il est inévitable de reprendre en flash back le fil de l’histoire d’Arden Quin, pour constater à quel point, dès que le succès s’installait, celui-ci filait « essaimer » ailleurs…
MADI ANNÉES FROIDEVAUX
Malgré le grand succès remporté à Paris par le groupe MADI reconstitué au Centre d’Etudes et de Recherches MADI de la rue Froidevaux, début septembre 1953 Carmelo prend le bateau pour le Brésil, arrive à Sao Paulo juste à temps pour donner des œuvres de lui à la Biennale, sise au Musée d’Art moderne, où il donne une conférence, assortie de diapositives sur les travaux des Madistes français. Il arrive à Buenos Aires par ferry le 5 janvier 1954 et Salomon Reznik l’aide à trouver un atelier dans le Barrio Almagro. A nouveau la vie animée de Buenos Aires, les tertulias, le Café Chambery… Pellegrini, Paz et Reznik lui suggèrent de former un nouveau mouvement incluant comme d’habitude toutes les disciplines, c’est ainsi que naît l’Association « Arte Nuevo ». Cette fois encore Salomon Reznik invite pour cette fondation les psychanalystes de Buenos Aires. Tous les samedis on expose des photos, on projette les films réalisés avec la caméra d’Eduardo Jonquières. Courant 1954, à Buenos Aires, exposition de collages et découpes d’Arden Quin organisée par les Docteurs E. Pichon Rivière et S. Resnik chez l’un de leurs collègues psychanalystes, le Dr. E. Rolla .
ARTE NUEVO, LE NOUVEAU DADA D’ARDEN QUIN
Arte Nuevo devient tout de suite assez excitant pour rallier le poète Oliverio Girondo, le romancier uruguayen Juan-Carlos Onetti, et d’autres collaborateurs de l’ancienne période, dont Edgar bayley, Elias Piterbard, Ignacio Pirovano, Enrique-Pichon-Rivière.
Un « Primero Salón Asociación Arte Nuevo, No figurativo » est organisé à la Galerie Van Riel du 21 novembre au 3 décembre 1955, soixante participants, peinture, sculpture, photographie, architecture. « Arte Nuevo » veut réunir les artistes abstraits que le péronisme vilipendie, et ouvrir l’Argentine sur le monde. Arden Quin compose la couverture du catalogue, montre une sculpture transformable en bois, métal chromé et cordes, et aussi « Points et lignes » de sa période parisienne « Plastique blanche ». Le journal Karina de Buenos Aires parle de la « libre abstraction » du travail d’Arden Quin, et déclare cette exposition extraordinairement intéressante « en ce qu’elle démontre le niveau atteint par les mouvements les plus avancés de notre pays… »
PENDANT CE TEMPS-LÁ… Á PARIS
Grâce à Roger Neyrat, ami de l’écrivain et galeriste Joséphine Aynard, des œuvres d’Arden Quin, Roitman et Neyrat sont montrées tout au long de l’année 1956 à la galerie Anti-Poète, et ailleurs, Arden Quin rentre à Paris au terme d’un brillant entracte argentin qui l’a vu fonder une quatrième « théorisation » (après Arte Concreto Invención, Sinesis, Arturo), écrire de nombreux textes critiques, publier son poème « Hessegor », faire des expositions marquantes… et perdre ses œuvres dans des inondations… A Paris il va se lancer dans la confection de centaines de collages dont un sera montré en 1964 dans l’exposition du Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Etienne : « Cinquante ans de Collages, Papiers collés (Assemblages, Collages, du cubisme à nos jours) », avec Picasso, Arp, Diego Rivera, Man Ray, Max Ernst, Miró, Marcelle Cahn, Pettoruti, Dubuffet, Seuphor, Dali, Vieira da Silva, Vasarely, Aurélie Nemours, Niki de Saint-Phalle, etc. Son collage sera le seul à être volé, c’est ce que va lui apprendre le Conservateur Maurice Allemand, qui lui a trouvé un nom : « L’Indien ». Le 4 mai 1957, une séance de « plastique d’animation » a lieu au Centre de Recherches et d’Etudes MADI, avec compositions sur verre de Neyrat, Tomasello, Nuñez, Arden Quin. Ce genre de soirée aura lieu tout au long de la période Froidevaux, ce qui n’empêchera pas Arden Quin de participer, du 9 au 30 Juin 1958, à un « Panorama de la Sculpture Non-figurative Argentine » à « l’Asociación Estimulo de Bellas Artes », Buenos Aires, avec Blaszko, Kosice, Vardánega, etc. En juin 1958 Volf Roitman et Rita Parr partent pour New-York, peu après a lieu le mariage d’Arden Quin et Marcelle Saint-Omer, avec pour témoin Tomasello. Depuis son retour, Carmelo Arden Quin s’occupe de la « menuiserie » Saint-Omer, qui restaure les marqueteries des châteaux français. Arden Quin est très occupé à cette lourde charge, c’est la raison pour laquelle il va, durant toute une période, s’intituler « peintre du dimanche », et se consacrer exclusivement à des collages.
ARDEN QUIN LE NOMADE
Au début des années 60 Arden Quin crée avec Godo Iommi le groupe poétique « La Phalène », qui se manifeste surtout à Paris et Buenos Aires, et en 1961 le Musée d’Art moderne de Buenos Aires présente l’exposition « Les 15 premières années d’Arte Madi ». Quant à la Revue « Ailleurs » (éditée de 1962 à 1966) elle réunit les noms d’artistes latino-américains et français d’une incroyable invention, Josée Lapeyrère, médecin, psychanalyste, poétesse, en fait partie, avec Julien Blaine. Et Arden qui a loué, avec sa compagne Edith Aromando, également psychanalyste, un appartement à Nice, va tomber sur la galerie Alexandre de la Salle, à Vence, et lui envoyer une lettre de félicitations pour la qualité de ce qui y est montré. Et Alexandre de la Salle va tomber amoureux de l’œuvre d’Arden Quin, l’exposer, puis, selon le terme de Shelley Goodman, procéder à une « renaissance et une expansion » de son œuvre, par exemple à la FIAC en 1978 et 1979, et par toute une série d’expositions, qui vont se transformer en expositions MADI : « MADI maintenant/MADI adesso ».
En octobre 1968, Carmelo Arden Quin avait co-signé, avec Marcel Alocco, Amanda, Philippe Chartron, Noël Dolla, Henri Giordan, Raphaël Monticelli, Patrick Saytour, Claude Viallat, un texte paru dans « Le journal Asiatique » d’octobre 1989, et qui disait : « Au moment où une excessive centrali¬sation de fait conduit, dans notre pays, à une situation culturelle catas-trophique, représentée presque entièrement par des structures distributrices organisées qui se donnent une apparence de décentra¬lisation, nous tenons à affirmer :
– 1. qu’une culture n’est dynamique que nourrie par une activité créatrice et critique issue du milieu qui la vit
– 2. que la vie intellectuelle ne saurait être saine, efficace et déprovincialisée sans une information complète sur les activités créatrices contemporaines, et cela à l’échelle planétaire. Il est par conséquent intolérable que les fonctionnaires de la cul¬ture écartent a priori de leur distribution l’art actuel qui plus qu’aucun autre appar¬tient à chacun parce que né de son milieu quotidien.
– 3. qu’il est donc évident que nous n’accordons qu’un crédit fort limité à tous les culturistes en Maisons ou Associations, distributeurs automatiques qui forment écran entre créateurs et public
– 4. que la culture n’est pas la satisfaction d’un besoin immédiat, mais la création per¬manente d’une nécessité intellectuelle nou¬velle, qu’elle n’est pas un objet mais une démarche permettant d’entretenir un mou¬vement ascensionnel constant du niveau de conscience,
– 5. que le créateur, dont la tâche est de changer le fonctionne¬ment du mental, n’est pas tenu de résoudre des problèmes pratiques, mais de construire les instruments qui permet¬tront à chacun de pro¬gresser vers leurs solu¬tions
– 6. que ceux qui - fût-¬ce sous le couvert d’une générosité scientifique ne comprennent pas l’imaginaire comme catégorie du réel, se condamnent à l’immo¬bilisme dogmatique
– . que le geste créateur engage totalement dans une éthique celui qui le produit comme l’acte de manger, parler, rêver, faire l’amour, dormir, travailler, procréer, lire, etc..
Et nous nous engageons à agir en fonction des principes énoncés ».
Nice, Octobre 1968.
CARMELO ARDEN QUIN ET RAPHAËL MONTICELLI
Il dira plus tard dans une interview : « Fin des années 60, j’ai vécu à Nice. Nous avons lancé un manifeste avec Viallat et d’autres : « Invention Intervention ». Mais ils sont res¬tés très timorés, et c’est dommage, ils n’ont pas été assez loin. C’est dérangeant ces œuvres là, au milieu des autres ! ». Il parlait des œuvres MADI. Mais ça ne pouvait pas coller entre eux. L’esprit « Support Surface », l’esprit « Ecole de Nice », l’esprit du « Groupe 70 » qui gisait déjà dans l’esprit de Raphaël Monticelli, étaient loin de l’esprit de MADI. Deux Mouvements géniaux s’étaient croisés, pour une « brève rencontre », dirait Levy-Leblond, chacun repartant cultiver sa spécificité. Alexandre de la Salle montrerait les deux Mouvements dans sa galerie, séparément, bien sûr. Arden Quin nouerait des relations avec des artistes géométriques de la Galerie, et les rallieraient à MADI, pour des adhésions variées, ainsi François Decq, Yves-Marie Le Cousin, Belleudy, Chubac, Alberte Garibbo. Rencontres de tous types.
Concernant la FIAC de 1978, André Parinaud avait écrit des phrases comme : « Arden Quin est un artiste au sens plein du terme. Philo¬sophe, esthéticien, engagé dans le Siècle et créateur dans tout ce qu’il touche… Son œuvre est affirmation, métamorphose et rupture…Qu’Arden Quin soit un des inventeurs de l’art contemporain, c’est une certitude, qu’il soit resté l’homme secret que l’actua¬lité fait semblant d’ignorer, est un des non sens écla¬tants d’aujourd’hui, que le moment soit venu de reconnaître sa qualité est un fait de justice. La double exposition que la galerie de la Salle à St Paul-de-Vence et à la FIAC vient de lui consacrer est une première étape notable qui nous réjouit. Arden Quin est un des grands noms de l’art contemporain ».
Et, en 1978, sur les « Coplanals », Raphaël Monticelli (extrait) :
« Dans cette recherche sur les rapports des surfaces entre elles, et de l’œuvre au lieu, les Coplanals, dont les premières réalisations remontent à 1945, constituent sans doute le moment le plus aigu, le plus contradictoire : dans ces « objets composés de plusieurs surfaces peintes et découpées ( ... ) vissées sur une structure en baguettes de bois », Arden Quin met en œuvre une réflexion sur l’espace plastique résultant des transformations du rapport entre des surfaces peintes , l’œuvre et la réflexion sont tendues par un ensemble de contradictions qui donne aux Coplanals leur caractère dynamique, et qui prend, visuel¬lement, la forme de l’opposition entre les figures peintes (des cercles ! des carrés ! des rectangles ! des triangles... rectangles ! ) et la baguette de bois. La baguette aux allures fragiles qui relie les surfaces est à la fois élément de construction dont la nécessité est étrangère aux rapports de surfaces (après tout pourquoi ne pas laisser les surfaces détachées les unes des autres si l’important est d’en faire varier la dispo-sition) et élément nécessaire à la composition, plastiquement traité, et rappelant les traits et cernes qui, dans la plupart des œuvres d’Arden Quin marquent et équilibrent le tableau, régissent et intègrent la découpe (l’orthogonalité de chaque figure du coplanal se trouve alors justifiée). »
Et parmi les artistes que la rencontre avec Arden Quin va inscrire dans MADI alors qu’ils s’en étaient approchés par instinct, de leur côté, citons aujourd’hui François Decq et Yves-Marie Le Cousin, dont des œuvres figurent aujourd’hui dans l’exposition du CIAC.
FRANÇOIS DECQ
En 1986, Alexandre de la Salle écrit : « François Decq part, il y a quelques années, de cette abstraction qu’on dit lyrique : le geste, croit-on, enfante la liberté. En fait, il éprouve un sentiment de plus en plus fort d’esclavage, comme s’il s’était laissé piéger par le monde tout fait de la Nature. Il va passer brusquement à l’abstraction géométrique. Le paradoxe n’est qu’apparent : c’est en se donnant un arsenal de règles impérieuses, en leur obéissant, qu’il va accéder à la liberté. En délimitant un territoire personnel, en l’explorant, en le maîtrisant, en mettant à jour ses structures profondes. Cercle, carré, triangle, courbes et droites, ces figures fondamentales qu’appréciait le Socrate du Philèbe, surgissent ici. Non pour ce qu’elles sont en soi uniquement, mais plus encore pour leurs rencontres, et les échos que, sans fin, elles suscitent. Leur agencement sévère et allègre permet à François Decq, par-delà cette cohérence justement, d’exprimer son appartenance à un monde qu’il fait basculer vers la Culture, vers cette forme de liberté qui nous permet d’organiser notre dépendance première et de la dépasser. Participant au mouvement MADI, il sort à son tour du rectangle, pour, de la surface peinte, ne retenir parfois que la forme qui s’y déployait et qui, libérée, s’amarrera directement sur le mur ».
Et dans un numéro de « Art-Thèmes » de 1988 : « La marionnette qu’il avait abandonnée inerte, le soir, dans son atelier, au petit matin le vieux Gepetto la retrouve vivante et animée. Le même jeu farceur s’est introduit dans le travail de François Decq. Par glissements imperceptibles, par dérobades successives, trop à l’étroit sur l’espace clos de la toile, les formes-chrysalides ont pris leur envol, et, comme d’immenses coléoptères ou de mystérieux cerfs-volants, elles sont venues se poser sur le mur pour y laisser trace d’un signe solaire.
A conjuguer tour à tour forme et spatialité de la surface peinte, et formes et pure spatialité, le travail de François Decq s’inscrit dans la grande tradition de l’art abstrait construit, celle où les novateurs ne font pas forcément les pieds au mur, mais, comme les jardiniers millénaires, mariant les espèces, parviennent à faire éclore d’étonnantes proliférations. Ici d’une maîtrise technique absolue. »
YVES-MARIE LE COUSIN
Et sur Yves-Marie Le Cousin : « Tard venu à MADI, entre sa vie brève et sa mort discrètement mais inexorablement annoncée, il fut comme une énigme, tant sa compréhension et son appropriation de l’esprit MADI furent totales, mais hélas éphémères. Il avait poussé très loin la science des espaces découpés, syncopés, et d’emblée il réalisa de véritables prouesses d’équilibre, de jeu, et, on peut l’affirmer, de perfection. Sa mort a laissé un grand vide ».
Qui, lui-même s’était expliqué en septembre 1990 : « L’expression artistique véritable est avant tout un moyen de communication entre deux mondes : matière et esprit. Il en est ainsi de la peinture. Le plus important, c’est ce qui se dégage de l’œuvre et exerce une action réelle (positive ou négative) par l’emploi des formes et des couleurs, et par leur interaction. COULEUR = VIBRATION. Dans mon travail, j’évite au maximum l’intervention mentale sauf pour la réalisation définitive, et je tâche de préserver ce quelque chose de vivant que possède l’original (la maquette). D’après moi, le mouvement MADI se caractérise par l’abandon de certaines règles d’art traditionnel, et exprime un besoin très actuel de se libérer d’autres contraintes (guides, limites, cadres etc.) qui, à un certain stade d’évolution, ne sont plus nécessaires... Cependant, derrière l’apparente liberté, doivent exister une structure, une volonté, un certain ordre ou rigueur, qui ne sont pas incompatibles avec la spontanéité, la joie, le mouvement, la vie même. Mes compositions sont très géométriques, souvent avec un centre, et j’emploie beaucoup les couleurs vives (peinture acrylique) sur bois ou carton, ainsi que le plastique transparent de couleur. Les thèmes principaux font référence au soleil en tant qu’Etre. J’aspire à une façon de vivre la plus vraie et la plus naturelle possible, ce qui conditionne grandement, et d’une façon positive, mon travail créatif, lui permettant de réveiller ainsi ces virtualités de joie et de lumière qui existent en nous ».
En août 1992 j’avais moi-même écrit : « Yves-Marie le Cousin s’est brûlé à ce Soleil qui était sa vie. Peu d’hommes autant que lui ont essayé de tout mettre en accord, conduites et œuvres, avec un extrémisme qui parfois l’effrayait lui-même. Ce désir illimité d’épuration, il l’a payé très cher, comme font les inspirés... mais l’aimantation vers la lumière était trop forte - l’héliotropisme - un risque fut couru de se laisser traverser par des décharges définitives... Primitif, Yves-Marie voulait l’être, à cause de ce qu’il demandait directement aux Forces, au Contact : il aimait la couleur pour ses vibrations, les formes pour leur énergie, il était prêt à tous les passages, sans instinct de préservation. Ce qui l’intéressait se trouvait ailleurs, très au-delà. Pour nous, la source s’est donc tarie de ces formes tournoyant autour de centres en fusion, d’une fantaisie de jungle, d’une dévotion à la musique des mondes. Tristesse et deuil... »