...Le pouvoirs des rêves. Par Françoise Livache
Ces oeuvres correspondent a un fragment d’une période féconde de recherche formelle, de réflexion sur les différentes échelles de la sculpture : -de l’objet à la sculpture monumentale- ; -sur la question centrale du rapport socle/sculpture-, et mettent en valeur la maîtrise de l’artiste dans l’exploitation de différents matériaux tels que la terre, la céramique, le fer, et surtout le bronze.
A ceci s’ajoute sa passion constante pour le graphisme, le dessin libre et la couleur, pratiques discursives parfois parallèles, ici pleinement assumées dans leur autonomie plastique dans les toiles "Coloriages Inachevés". Les tous premiers bronzes de George : Daphné, St Elme, Salomé, Eva, Manutea, Moerani, Réminiscence, toutes femmes/Symboles, interrogent et exaltent les formes spécifiques de la féminité dans la sculpture. Ces figures se jouent d’un idéal esthétique ou la plastique tout en courbes du corps de la femme, sujet privilégié des sculpteurs classiques est magnifiée mais aussi stylisée dans le symbolique.
Toutes ces oeuvres exposées dans le beau site de la Citadelle de Villefranche/mer ont également en commun d’avoir nécessité pour leur réalisation des étapes d’élaboration passant par l’utilisation de matériaux différents et de techniques exigeantes très diversifiées, déployant ainsi la riche palette expressive et technique de l’artiste.
On comprendra par techniques à la fois les compétences professionnelles spécifiques du sculpteur mais également le savoir-faire ancestral et vernaculaire que les "ouvrages de dames" d’autrefois exprimaient dans la couture, la dentelle, le
tricot, la broderie - à observer de près ici sur les sculptures des femmes végétales et les Doodles.
Toutes ces techniques exigeant précision, patience et l’optimisme de la femme, de l’artiste. ...Si les oeuvres présentées constituent un parcours temporel et sensoriel dans le travail de George chacune de ces oeuvres étant en elle-même un parcours dans l’histoire personnelle et référentielle de l’artiste, elles sont également hommage au courage, à la volonté et la ténacité des femmes sculptrices.
Les Doodles procèdent de la fusion magique du métal en une coulée sublime
couleur "sang de lumière". Le bronze qui fige la poupée pour l’éternité dans une attitude à la fois martiale mais aussi d’étonnement à elle-même.
Une collection “Doodle” BRONZE - PIÉCE UNIQUE
"Ready-Made Myself" : Les Doodles de George sont une collection en bronze de Pièces Uniques, nées en 2013 année du centenaire du premier Ready-Made de l’histoire de l’art, inventé par Marcel Duchamp. "Ready-Made Myself" semble évoquer une série de clins d’oeil autour de la notion artistique du Ready-Made et aussi de l’expression "Made myself" exprimant la totalité de la fabrication des Doodles par l’artiste elle-même.
George réhabilite le travail de l’artiste engagé dans une production qui s’impose et vaut par l’ensemble des savoirs faire très pointus indispensables à la réalisation. Rien n’est "prêt" d’emblée dans les Doodles, tout est à faire : affaire de patience, d’extrême minutie voire de préciosité, d’humeur aussi, d’ironie.
Par son enfance au contact de différentes sociétés aux formes religieuses, aux productions cultuelles et culturelles proches des sociétés traditionnelles George a rencontré l’évidence du mélange des genres : féminin/masculin ; païen/religieux ;
mystique/laïc ; naturel/culturel. Avec les Doodles, elle se joue de ces liens qu’elle retisse à sa façon.
Leur nom évoque l’enfance, l’objet transitionnel, chargé de mémoires et d’imaginaires.
Ils renvoient à l’univers infantile (l’infant c’est l’être encore sans paroles) mais aussi à l’Histoire de l’humanité.
En effet la poupée comme artefact est présente dans presque toutes les cultures déclinées dans des matériaux très divers : terre cuite, os, bois, ivoire, jade, cire.
L’émotion intense et troublante dégagée par les Doodles provient à la fois de la reconnaissance des poupées de chiffons originelles dont ils procèdent, mais aussi de la puissance et de la pérennité connotées par le matériau utilisé : le bronze qui les fige pour l’éternité dans une attitude à la fois martiale mais aussi d’étonnement à elles-mêmes.
Les Doodles sont l’expression d’un processus mémoriel sensible qui remonte le temps des souvenirs, des vécus émotionnels et des expériences affectives de l’enfance...
Tavana Rahi, Appartient par sa filiation à la collection des très riches et surprenants "Doodles", poupées de bronze dont la grandeur résidait déjà dans la complexité des matériaux et techniques mis en oeuvre à l’origine de leur création, ainsi que dans leur extrême richesse symbolique issue d’un réservoir d’imaginaires personnel et collectif de l’artiste.
Avec cette sculpture, l ?artiste a osé et réussi son pari : celle de la monumentalité renouant ainsi avec l’échelle de ses premières sculptures et se situant dans cette succession pleinement revendiquée avec les "Papesses de l’art".
George aime les défis et s’accomplit dans la relation avec la matière qu ?elle soumet à ses audaces créatices comme dans cette oeuvre qui dégage une force physique impressionnante, une puissance évocatrice fascinante mais aussi une tension
émotionnelle.
En effet, il trouble par son "inquiétante étrangeté "anthropomorphique, par sa dualité de jouet à taille humaine, par son énigmatique rigidité mais aussi par ses origines mythologiques lointaines et par sa reconnaissance si proche des temps de l’enfance.
Paradoxalement TAVANA RAHI est émouvant aussi ; il nous touche par ses délicats attributs infantiles (tissus, dentelle, os, jouets, boutons), le mutisme de cette bouche a jamais fermée, l’étonnement de son "regard", par la poésie de ce baiser improbable entre la girafe et le dinosaure qui le coiffent, par l’évocation ludique de Nepal et Baby les deux éléphantes rescapées de l’euthanasie (Monaco). Il porte par ailleurs fièrement à la ceinture, les "tiki" mais aussi la décoration récente décernée à George (Académie des Arts Sciences Lettres de Paris).
TAVANA RAHI appartient bien à son clan ; il est porteur d’histoires : histoire des temps primitifs, des temps présents, et aussi histoire de la sculpture.
Mi-humain, Mi- jouet, Monumental...
C’est un vrai TOTEM !
LES COLORIAGES INACHEVÉS
Cette série de grandes toiles très richement colorées mais cependant pas totalement recouvertes par la couleur évoque à la fois le mouvement Dada et le Surréalisme dont George revendique l’esprit ludique, trublion.
Le mouvement Dada assumait entre autres positions, l’usage de l’ironie, l’irrespect des traditions et des conventions esthétiques. Le Surréalisme quant à lui a introduit dans la processus créatif de l’écriture et du dessin, l’utilisation du hasard et la spontanéité du geste dont la finalité devait se trouver dans le plaisir de la fabrication.
Les "cadavres exquis" surréalistes sont des dessins élaborés par une succession d’interventions de personnes différentes sans aucune cohérence pré-définie. Le résultat final étant donc une organisation fragmentée sans composition préalable dont le lecteur construira la cohérence par sa lecture personnelle spécifique et mettra en
évidence l’ironie, la drôlerie de la juxtaposition d’éléments disparates.
Les "coloriages inachevés" sont à voir comme des récits segmentés, des parcours traversant les références de l’histoire de l’art mais nourris de l’ensemble du travail de George et rythmés par les histoires et les temps de ses rencontres.
Ainsi la fraîcheur des couleurs intenses évoque l’ambiance exotique très lumineuse des Îles du Pacifique de son l’enfance qui a imprégné ses rêveries et son imaginaire mais fait penser également à la très riche palette de la mexicaine Frida Kahlo.
Toutefois, il s’agit aussi de "coloriages" ludiques empruntant au monde spontané de l’enfance et des apprentissages dont les Doodles poupées de bronze se revendiquaient déjà.
Dans ces dessins on reconnaîtra la plupart des personnages ou objets (portraits de femmes, petits animaux et objets appartenant à l’univers des jouets, de l’enfance, les Doodles) faisant partie de l’univers onirique et référentiel de l’artiste apparaissant au gré d’un désordre graphique joyeux et richement orné.
Ces coloriages évoquent également dans leur chaos maîtrisé la liberté de George de contrarier les codes convenus du dessin, de la couleur, de la forme en les dissociant dans la temporalité de leur fabrication et les explosant dans des confrontations malicieuses mais assumées. Ces toiles font également penser dans leur composition
aux magnifiques et surprenants vitraux des maitres verriers du 15e siècle qui par une déjà Moderne "dé-construction" dissociaient dans leur composition la forme des sujets représentés des couleurs apportées par les morceaux de verre et l’autonomie graphique des plombs de cerclage et des fers raidisseurs nécessaires à la stabilité
fonctionnelle du vitrail.
Dans ces "coloriages inachevés "l’artiste sollicite ainsi la participation de chacun à la finalisation mentale de l’oeuvre en une polyphonie ouverte en rhizome. Oeuvre finie donc mais également "ouverte" au sens où les rêveries et les références de chacun font écho et entrent en résonance avec celles de l’artiste.