Né à Bologne en 1935, peintre, dessinateur, graveur, Valerio Adami, après une première exposition personnelle à Milan (1957) où il apparaît encore influencé par le Surréalisme de Roberto Matta, prend rapidement la voie de la Nouvelle Figuration et celle de la Figuration Narrative.
Entre ligne et couleur, dessin et peinture, le travail de Valerio Adami peut se concevoir comme une écriture à part entière, un voyage à travers la mythologie, la poésie, l’intimité d’un artiste. Le musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman propose une promenade au sein de la collection de l’artiste sur un demi-siècle de création.
« La peinture est comme l’écriture. Elle permet de lire le caractère du peintre et, quoi qu’elle représente, elle le représente lui-même, de telle sorte qu’on prononce toujours le nom d’un peintre au lieu de prononcer celui de son modèle qui n’est qu’un prétexte caché de l’autoportrait. » Jean Cocteau
LA LIGNE DE VIE DE VALERIO ADAMI
Le style de Valerio Adami, développé à partir du milieu des années 1960, est reconnaissable entre mille. Il s’appuie sur un trait puissant, toujours tracé au pinceau en noir, délimitant le contour de chaque élément comme un cerne définitif. Ensuite vient la couleur sous forme d’aplats à l’acrylique, une couleur très intense et saturée s’appuyant sur une palette volontairement restreinte, jouant sur les effets de contraste ou au contraire de camaïeu. Les ombres sont notoirement absentes, définissant un style que l’on peut rapprocher de la « ligne claire », d’un effet cloisonniste, voire de l’apparence d’un vitrail. Tout au plus quelques lignes secondaires viennent-elles parfois suggérer les volumes des corps et des objets.
Chez Adami, le dessin est un élément fondamental : chaque toile découle d’une série de dessins préparatoires exécutés avec précision. « Le dessin est connaissance. Donc, il ne s’explique pas, mais signifie. Il connaît les effets, mais non les causes. Il est donc dans tout cela la fin. Il est l’idée et son approfondissement. » Nourri d’influences académiques acquises lors de ses études artistiques, le trait d’Adami fait cependant preuve d’une expression très moderne par la fragmentation, la déstructuration, voire la dislocation des formes, proposant une nouvelle lecture analytique des images. La composition confère aux scènes représentées une atmosphère étrange, évoquant parfois les constructions de l’inconscient, héritage des influences surréalistes du début de sa carrière.
Depuis les années 1970, les toiles de Valerio Adami intègrent des mots calligraphiés, parfois des phrases, comme éléments graphiques à part entière, en écho à l’intérêt tout particulier que l’artiste porte à la chose écrite : pour lui, la ligne graphique s’écrit au même titre que la ligne manuscrite. En cela il rejoint la vision de Jean Cocteau qui considérait ses dessins comme « de l’écriture dénouée et renouée autrement ».
LE PARCOURS DE L’EXPOSITION
L’art de Valerio Adami est vaste et aborde des sujets d’une grande variété. Il se nourrit en particulier de grands thèmes qui traversent son oeuvre de manière récurrente : les mythologies, l’intimité sous toutes ses formes, les voyages et les grandes figures de l’histoire mondiale, en particulier artistique. Ces thèmes sont la base des quatre séquences qui forment la trame du parcours muséographique de l’exposition proposée par le musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman à partir du 2 juin 2018.
Cet accrochage exceptionnel présente une soixantaine de toiles de l’artiste, pour certaines accompagnées de leurs dessins préparatoires, réparties sur tous les espaces d’exposition du rez-de-chaussée, soit une surface de 835 m².
SÉQUENCE 1 : MYTHES ET MÉTAMORPHOSES
Ayant suivi une formation artistique classique à l’Accademia di Belle Arti di Brera de Milan, Valerio Adami a étudié la peinture et le dessin à partir des chefs-d’oeuvre de l’Antiquité. L’une de ses influences majeures a été sa rencontre avec le peintre Oskar Kokoshka, qui lui a révélé l’importance de la mythologie à travers son Prométhée, présenté à la Biennale de Venise.
En 1978 et 1979, il entreprend de peindre une série de toiles inspirées de la mythologie grecque alors que, paradoxalement, il se trouve à New York, loin de l’Ancien Monde. Peu de temps après, il s’installe en Grèce et visite l’Acropole : « je dessine le pied de Poséidon et c’est comme si l’âme s’animait dans le triomphe de ce corps. » Dieux et déesses, héros, faunes et centaures deviendront des sujets récurrents de sa peinture.
Comme d’autres avant lui, et notamment Jean Cocteau, Adami revisite les grands mythes de l’humanité au-delà de la seule mythologie gréco-romaine : « L’histoire religieuse m’attire comme cela s’est produit avec le mythe, ainsi je perds le goût du subjectif. » Il explore les épisodes bibliques avec son Retour du Fils prodigue, la légende arthurienne avec Lohengrin, le panthéon hindou avec Sarasvati, et même les superstitions modernes (à travers l’interprétation wagnérienne) avec les décors du Hollandais volant.
SÉQUENCE 2 : INTIMITÉS
Dès les années 1960, Valerio Adami s’intéresse au thème de l’intimité, qu’il aborde par le biais d’une série de toiles représentant des intérieurs, des scènes et des objets du quotidien. Il s’inspire parfois pour ses compositions de photographies prises au hasard de ses pérégrinations ou découpées dans des magazines, ayant en commun leur aspect apparemment banal et anonyme ; c’est la précision du dessin, la déstructuration du graphisme et l’intensité de la couleur qui contribuent à transformer l’objet initial en sujet artistique. Le but recherché est alors de représenter l’être humain au sein de son milieu de vie, sous un angle presque documentaire.
Le corps humain occupe très souvent une place centrale dans les toiles de l’artiste, dans une mise en scène qui rappelle parfois le pré-surréalisme de Giorgio de Chirico, et revêt ainsi une dimension métaphysique : « Tout est lié au corps humain : la tragédie de la vie, tous les états d’âme sont reliés à la forme du corps. »
Au fil du temps et des toiles, Adami développe une réflexion sur la condition humaine, par laquelle il explore les grands thèmes de l’existence : l’amour, le couple, le désir, la mélancolie, la mémoire, la mort. « Posé par des caresses, nous transportons le corps de l’autre avec nous, et avec lui toute autre chose palpable que le talent pour le dessin peut révéler avant de la libérer sur la toile du peintre. Pour montrer le nous et l’autre ensemble, il est parfois utile de penser les yeux fermés. »
SÉQUENCE 3 : VOYAGES
Le voyage a toujours fait partie intégrante de la vie de Valerio Adami et profondément nourri et influencé ses inspirations artistiques. Adolescent, il découvre les chefs-d’oeuvre artistiques de l’Antiquité et de la Renaissance lors d’un déplacement à Rome, et c’est à Venise, où ses parents l’emmènent en vacances chaque été, qu’il découvre la Biennale où il fera la rencontre de Kokoschka, et qu’il prend ses premières leçons de peinture auprès de Felice Carena. C’est lors de ses premiers voyages en tant que jeune peintre dans les capitales européennes qu’il fait la connaissance de grands artistes (Wilfredo Lam, Roberto Matta, Francis Bacon) qui auront à leur tour une profonde influence sur sa vision de l’art.
Infatigable voyageur, Valerio Adami parcourt le monde : Mexique, Argentine, Cuba, Brésil, Japon, Suisse, Israël… Invité à exposer dans de nombreux pays, ces déplacements forment souvent le point de départ de séjours approfondis et parfois répétés : ainsi la Grèce, où l’artiste part à la rencontre des mythes qui ont nourri l’histoire de l’humanité ; les États-Unis, où il installe un temps son atelier ; la Scandinavie, qu’il découvre à travers deux longs périples ; l’Inde enfin, qui devient dès son premier séjour en 1976 la destination d’un véritable « pèlerinage » sur les traces de Gandhi, « une expérience physique et métaphysique sans bagage ».
Le voyage induit également une pratique fondamentale de l’art de Valerio Adami, la « délocalisation » de son activité de peintre dans des chambres d’hôtel impersonnelles, terrains neutres où la création peut s’affranchir des influences accumulées dans l’atelier : « L’anonymat de la chambre d’hôtel est le lieu idéal dans lequel la mémoire devient une mémoire immédiate plutôt qu’ancienne. Les hôtels sont un lieu extrêmement créatif. »
SÉQUENCE 4 : PORTRAITS ET AUTOPORTRAITS
Si la figure humaine occupe une place centrale dans la majeure partie des toiles de Valerio Adami, il s’agit cependant de corps invariablement anonymes, envisagés comme éléments constitutifs de la composition. En 1966, l’artiste réalise son premier « portrait littéraire » représentant Friedrich Nietzsche. La démarche est alors très différente : il s’agit de peindre une personnalité historique comme sujet principal de l’oeuvre, dans un mode de représentation qui illustre la physionomie du sujet tout autant qu’il propose une tentative de figuration symbolique de sa pensée et du rôle qu’il tient dans l’Histoire.
À partir de 1970, Adami multiplie ces portraits de grandes figures de l’histoire mondiale (Gandhi, Staline), de la littérature (James Joyce, Giacomo Leopardi, Gottfried Keller), de la philosophie (Walter Benjamin, Jacques Derrida), de la psychanalyse (Sigmund Freud), de la musique (Pierre Boulez, Giuseppe Verdi, Richard Wagner) et parfois du sport (le boxeur Bombardier Billy Wells). Ces oeuvres s’inscrivent dans une démarche de recherches sur la mémoire : la mémoire en tant que faculté cognitive, illustrée par des portraits issus de ses rencontres et amitiés tels que ceux d’Ezra Pound et Jacques Derrida, mais également la mémoire collective de l’humanité évoquée à travers ces personnalités qui sont, chacune à sa manière, celles de pionniers. « Nous portons sur nos épaules la langue de nos pères. C’est avec cette langue que j’ai peint les portraits de Nietzsche, de Benjamin, de Gide, de Keller, de Mahler, comme si je voulais parler avec eux de ma manière de les penser et de les vivre aujourd’hui. »
Une partie des oeuvres présentées dans cette séquence sont issues de travaux récents ; certaines ont été peintes au cours des trois dernières années.