Sous le commissariat du critique d’art Henri-François Debailleux, cette exposition met en lumière une oeuvre construite autour de mélanges très subtils hérités d’un art abstrait occidental comme de l’arte povera, avec les codes et les pratiques artistiques traditionnels de la culture coréenne. Ainsi chez Lee Bae, l’idée de nature est présente à la fois grâce au feu, au charbon de bois mais également grâce à la symbolique et à l’immatériel du noir. L’artiste aime rappeler que les bois brûlés, le charbon dont il se sert, naissent de la main de l’homme et de sa capacité à transformer cette matière naturelle.
« Mon travail est d’abord une attitude et c’est cette attitude qui va générer des formes. »
Les formes noires, les matériaux, les fonds blancs, la lumière et l’ombre, la densité et la transparence sont un vocabulaire que l’artiste utilise depuis le début de sa carrière pour révéler un environnement et un paysage intérieur où les formes, l’espace et les éléments sont l’expression philosophique, poétique d’une relation au monde. Entre formes et matériaux, temporalité et surgissement du geste, d’une attitude entre corps et nature, tout dans l’oeuvre de Lee Bae est l’expression de la vitalité, de la force et de l’énergie.
L’univers pictural et abstrait de Lee Bae se concentre sur le seul pouvoir évocateur qu’est le matériau. Il créé dans une alchimie parfaite un équilibre essentiel entre le noir profond du charbon de bois pour ses formes abstraites, et la couleur laiteuse obtenue grâce à la résine et des couches successives de médium acrylique, extrêmement lisses, qui forment la vraie peau de ses tableaux. Ces lignes gracieuses sont comme des ombres en apesanteur ; sans références, elles sont des images mentales que l’artiste répète sur la toile de façon méthodique pour leur donner vie et révéler ce contraste saisissant entre force et légèreté. Cette forme abstraite se suffit à elle-même sans aspect anecdotique ou narratif. Elle montre sa vraie nature, son essence, offrant à sa peinture une zone d’énergie, de pureté et de spiritualité.
« Ma façon de peindre relève plutôt d’une sorte de performance. En effet, lorsque je travaille avec le pinceau et avec le temps. Le geste, c’est le temps. »
ENTRETIEN AVEC LEE BAE Propos recueillis par Henri-François Debailleux, commissaire de l’exposition.
Comment avez-vous conçu cette exposition à la Fondation Maeght ?
Il ne s’agit pas d’une rétrospective même si les oeuvres sont datées de 1990 à aujourd’hui. Au travers des sculptures, des installations, des peintures et des dessins présentés, j’ai simplement voulu montrer mon cheminement, l’évolution de mon travail. J’ai joué aussi bien avec les salles à l’intérieur de la Fondation qu’avec l’espace extérieur. J’ai ainsi installé dans la cour huit grandes pièces de charbon de bois, attachées avec des élastiques, que j’ai disposées comme s’il s’agissait d’un alignement de menhirs à Carnac. J’ai fait venir mes fagots de Chung-Do, où je suis né, près de Daegu en Corée du sud. Leur carbonisation a été réalisée en montagne dans un ancien four en forme d’igloo, construit en argile. Ils ont été brûlés pendant quinze jours à une température d’environ mille degrés, comme une cuisson de céramique, puis refroidis pendant quinze jours également. Soit un mois au total. Je les ai faits en Corée, je les apporte ici comme une rencontre entre les pins de Saint-Paul et les pins coréens. J’aime cette idée du déplacement, du voyage qui correspond à ma façon de penser et à mon mode de vie depuis maintenant presque trente ans avec mes allers et retours réguliers entre la France et mon pays d’origine.
Vous évoquez le charbon de bois qui occupe une place prépondérante dans votre travail. Qu’est-ce qui, au départ, vous a conduit à choisir ce matériau ?
Lorsque je suis arrivé à Paris en février 1990, j’ai trouvé un atelier à Pantin dans une ancienne usine de la Seita. Pour peindre, je suis allé acheter du matériel dans des magasins spécialisés et là, j’ai été très surpris par les prix. J’avais peu de moyens financiers et pour moi c’était horriblement cher, notamment les couleurs. J’ai beaucoup hésité et près de mon atelier, il y avait un entrepôt de bricolage et de matériaux de construction où j’ai trouvé des sacs de charbon de bois pour les barbecues… Je ne sais pas pourquoi, j’ai acheté un de ces sacs. Et je me suis alors souvenu que lorsque j’étais étudiant aux Beaux-Arts à Séoul, j’avais commencé avec des fusains et que c’était la même matière. Je me suis aussi tout de suite rendu compte qu’avec un sac, je pouvais travailler une semaine, ce qui était économique. J’en étais très content parce que cela me permettait de ne pas me limiter, de ne pas me freiner à cause du coût des matériaux. Dans un premier temps, j’ai utilisé ce charbon de bois comme du fusain. Et puis, petit à petit, en avançant dans mon travail, j’ai acheté un médium acrylique semi-transparent pour la fixation, ce même medium que j’utilise d’ailleurs aujourd’hui dans mes tableaux. Je trempais le charbon dedans et quand je dessinais, ça se collait tout seul. Je frottais beaucoup et la poudre de charbon chargeait la toile, ce qui donnait des reliefs de matière intéressants.