Né en 1930, fils d’un libraire juif assassiné lors d’un pogrom dans leur Roumanie natale, il est recueilli par son oncle, professeur d’université à Zurich. Attiré très jeune par la poésie concrète et la danse, il s’inscrit en 1949 à l’école de danse et de théâtre de Zurich.
La même année, il rencontre Tinguely à Bâle dans la librairie d’Heinrich Koechlin, haut lieu de réunion d’artistes, mais aussi de réfugiés politiques et d’anarchistes avec lesquels il se lie d’amitié, partageant les mêmes goûts pour les moyens d’expression anti-conventionnels.
En 1952, une bourse d’études lui permet de partir à Paris où il devient danseur professionnel tout en se passionnant pour la poésie concrète et le théâtre de Ionesco. Il crée Material en 1957, un journal de poésie concrète où participent Aragon, Dieter Roth, Joseph Albers, Duchamp, Man Ray, Biri, Soto.
Artiste hyperactif, avant ses trente ans il a déjà été danseur, fait de la mise en scène, écrit de la poésie concrète, créé des revues, été commissaire d’exposition, fréquenté les artistes de Fluxus, du Pop Art, du Mail Art, rencontré et dialogué avec Joseph Beuys, Robert Filliou, Jean Tinguely, Roland Topor, etc.
Ses qualités d’écrivain et de conteur le font apprécier de tous ses pairs
Il parcourt l’Europe, les États Unis, se consacre au théâtre et réalise des mises en scène dont celle de « La Cantatrice chauve » de Ionesco. Il rejoint en 1960 le groupe des Nouveaux Réalistes et crée son premier théâtre d’objets à partir d’assiettes, de bouteilles, de verres, de cendriers, etc., qu’il met en scène en les collant simplement sur des tables, créant ainsi des « natures mortes » appelées « tableaux pièges ».
Ce geste qu’il veut le moins intentionnel possible va le faire reconnaître au niveau international. En 1961, il publie un livre : « La Topographie anecdotée du Hasard » où il décrit minutieusement tous les objets qui se trouvent par hasard sur sa table le 16 octobre 1961 à 15h47.
Les salles du Musée ont été complètement reconstruites afin d’offrir un parcours labyrinthique et jubilatoire à travers des espaces plus resserrés destinés à mettre en valeur chacune des actions de l’artiste, de ses premiers tableaux pièges à ses musées insolites en passant par son incursion étonnante dans le Eat Art.
Près de trois cent œuvres organisées en trois étapes : « Pièges, farces et attrapes », « Restaurants, banquets et tripes » et « Musées, merveilles et mystifications », chacune ne se résumant pas à un seul concept, aussi c’est à une luxuriante déambulation que nous convie cette exposition qui nous fait pénétrer dans son univers plastique et mental.
Les objets du théâtre : Spoerri est fasciné par l’objet, particulièrement par ceux qui ont été usés et dévalorisés, déchets d’une société de consommation qui ne cesse de raccourcir leur durée de vie, une probable réaction à l’obsolescence programmée qui s’annonçait déjà.
Faire de l’art sans les instruments habituels de l’art, sans toile ni pinceau ni ciseaux de sculpteur mais avec les objets les plus simples lui a semblé nécessaire
« Les objets me trouvent plus que je ne les cherche »
Loins d’être anodins, poupées, parcs de bébé, oursons, jouets, gants de toIlette sont chargés d’émotions enfantines. Renversés, ils créent d’étonnantes impressions d’étrangeté. Leur côté désuet et poussiéreux provoque parfois sentiment de malaise, une nostalgie triste.
Manger l’art : Nettement plus jubilatoire est l’incursion de Spoerri dans le Eat Art : La nourriture se colore et les galeries d’art se transforment en restaurants. « La cuisine, je trouve que c’est de la peinture : il faut touiller, mélanger ».
Le pain, notamment, y tient une place importante : « donne-nous notre pain quotidien était une idée importante à la maison : on ne jetait rien et encore moins le pain. Plus tard, quand je suis arrivé à Paris, j’ai vraiment survécu grâce au pain ».
En réaction à ces années de pauvreté, il organise des banquets où sont conviés artistes, critiques et collectionneurs dont certains ont été pétrifiés et enterrés, ce qui a donné lieu à des expérimentations archéologiques..
Muséification
Muséification : Au cœur de l’exposition, la reconstitution de la Chambre n° 13 de l’Hôtel Carcassonne est présentée pour la première fois en France. Occupée pendant son premier séjour à Paris entre 1959 et 1965, elle a servi de détonateur et contient en puissance toutes ses œuvres à venir.
Son intérêt pour l’archéologie et la collection, présent dans toutes ses œuvres, est affirmé dans les « musées » qu’il crée : Musées sentimentaux, médicaux, cabinets de curiosité…, et l’émouvante « Pharmacie bretonne » présentant cent-dix-sept fioles identiques contenant les eaux de sources et fontaines de Bretagne réputées pour leurs vertus magiques ou curatives. Elles sont toutes étiquetées et une carte de Bretagne indique l’emplacement de chaque source.
Cette exposition nécessiterait plusieurs heures (ou visites) pour découvrir toutes les richesses et subtilités de cet artiste hors normes, un Ben puissance dix, un créateur de mondes en cascades, poète de mots et d’objets.
Le catalogue original et emphatique, loin des papiers glacés et des mises en page rigoureuses (glacées aussi), est le complément parfait de cette exposition impressionnante qui a pu être réalisée grâce à des prêts exceptionnels d’institutions, de galeries, de collectionneurs.