Avec la série des Great American Nudes des années 1960, Tom Wesselmann a transformé l’odalisque matissienne en icône pop.
Par la suite, l’oeuvre de Matisse reste pour lui une référence centrale dans sa recherche d’efficacité visuelle et de saturation de l’image.
À travers une sélection de quarante et une oeuvres, l’exposition Tom Wesselmann. After Matisse retrace cette admiration pour l’artiste qui s’exprime de multiples manières, de ses premiers collages en 1959, jusqu’à ses oeuvres ultimes, avec les Sunset Nudes des années 2000. Elles témoignent de différents modes d’appropriation de l’oeuvre de Matisse : travail d’après, citation directe ou plus structurellement, conception matissienne de la couleur et de la surface.
Dans sa présentation l’exposition s’attache à montrer Wesselmann à l’atelier, à comprendre sa technique élaborée du collage ou du dessin en volume qui attache toujours une grande importance à la question de l’échelle, des plus petits formats à de vastes réalisations. Elle réunit quatre grands ensembles significatifs qui témoignent de ce dialogue entre ce grand artiste pop américain et Henri Matisse : les collages, les Great American Nudes, les Steel Drawings et les Sunset Nudes.
L’exposition a été conçue en collaboration avec l’Estate of Tom Wesselmann et avec le soutien de la Galerie Almine Rech.
Commissariat : Claudine Grammont,Musée directrice du Musée Matisse Nice
PARCOURS DE L’EXPOSITION
Premiers collages
Lorsque Tom Wesselmann s’installe à New York en 1956, admis à la Cooper Union, Henri Matisse, mort en 1954, est toujours très présent sur la scène artistique américaine et son actualité vivace. S’il est difficile de préciser les premiers contacts que Wesselmann a pu avoir avec l’oeuvre de l’artiste français, ils ont pu être nombreux tant au MoMA que dans les galeries. Comme d’autres artistes européens, l’oeuvre de Matisse est alors largement diffusée à travers cartes postales et affiches en couleur. C’est cette vulgarisation qui intéresse Wesselmann, plus que les oeuvres originales auxquelles il peut avoir accès. À ce moment clé de sa carrière, l’exemple de Matisse intervient comme une sorte de dérivatif à l’expressionnisme abstrait, dont il cherche à s’éloigner. « J’ai beaucoup appris de Matisse explique-t-il. Je me rappelle avoir passé des heures à étudier des reproductions de ses tableaux. Je voulais l’amener, dans des conversations imaginaires, à me dire pourquoi il avait exécuté chaque élément de la manière dont il l’avait fait. » (cité par John Rublowski, Pop art, New York, Basic Books, 1965, p. 131-2).
Great American Nudes
Dans la célèbre série des Great American Nudes initiée en 1961, Wesselmann va plus loin dans ce processus d’assimilation de Matisse qui s’avère par ailleurs de plus en plus sophistiqué. Il s’intéresse à l’artiste français à travers le thème du nu, ou plus précisément celui de la figure nue dans un intérieur domestique, à caractère hautement érotique. Ce qui prime est la recherche d’une forme d’excitation visuelle, de titillation rétinienne, qu’elle soit indifféremment issue d’une confrontation de couleurs de plus en plus lisses et criardes, de toute une imagerie populaire et triviale, celle de la pin-up, directement issue des mass media, affiches, magazines, etc. La série des Great American Nudes s’affiche ainsi comme une américanisation de la tradition du nu occidental dont le stéréotype matissien se trouve transposé dans le contexte culturel des années soixante.
« Wesselmann, écrit-il dans son autobiographie, voulait des oeuvres qui explosent sur le mur. Matisse fut une influence importante à cet égard. Pour Wesselmann, la manière dont Matisse utilise à leur maximum les composants de la peinture – couleur, forme, ligne, texture, etc. – offrait le meilleur gage d’atteindre la pleine intensité visuelle de ces éléments tout en gardant une idée de la réalité décrite. » (Slim Stealingworth, Tom Wesselmann, New York, Abbeville, 1980, p. 17)
Monica et les Steel Drawings
Par la suite, la référence à l’art de Matisse disparait complètement du travail de Wesselmann pour ne réapparaitre que plus de vingt années plus tard. Dans les années 1980, Matisse redevient omniprésent par le biais de la citation directe ou par des procédures qui rappellent les siennes. Dans la série réalisée avec Monica, des oeuvres de Matisse apparaissent en arrière-plan du modèle, plus ou moins reconnaissables, car le plus souvent très schématiquement, voir partiellement, reproduites. Désormais familier de l’atelier, Matisse s’introduit par ailleurs plus subrepticement dans les oeuvres de Wesselmann par le biais de sa sculpture Nu couché II qui apparaît tour à tour dans diverses compositions.
Pour la série des Monica, Wesselmann utilise le procédé des steel drawings, dessins en aluminium ou en acier découpés. L’artiste exploite ici toute la liberté et la fluidité du tracé au marqueur ou à l’encre agrandi ensuite par projection avant d’être réalisé en acier découpé au laser sur lequel il revient avec un fusain, ou de la peinture, si l’oeuvre est en couleur. Cette spontanéité refabriquée par divers procédés mécaniques, voir informatiques, est une façon élaborée de poursuivre son exploration du reproductible dans son potentiel formel, jusqu’à le penser en volume. D’une manière plus élaborée, cela donnera également lieu à Blue Dance (1996-2000).
Sunset Nudes
Au terme de sa vie, Wesselmann réalise une série de peintures qui sont son dernier hommage à Matisse, les Sunset Nudes. Ces compositions de grands formats réalisées entre 2003 et 2004, sont aussi une forme de mouvement rétrospectif vis-à-vis de son propre travail puisqu’il semble ici revenir aux assemblages éclectiques des années soixante avec Matisse en toile de fond, image désormais si familière de son oeuvre. Dans Man Ray at the Dance, il associe ici La Danse de Matisse avec un nu féminin dont la pose s’inspire d’une photographie d’André Kertész, Danseuse satyrique (1926). Collage visuel qui n’est pas sans rappeler la manière dont Matisse lui-même pratique la mise en abyme de ses propres oeuvres. Dans Sunset Nude with Matisse Odalisque de 2003, Wesselmann transpose à grande échelle une des très célèbres odalisques, dont il reproduit la posture avec une de ses propres figures associées à une nature morte et un coucher de soleil en toile de fond.
Revoir les odalisques
Une dernière section de l’exposition en guise de conclusion reviendra sur l’odalisque matissienne. Ou comment l’assimilation pop de Tom Wesselmann nous permet aujourd’hui de porter un autre regard sur l’odalisque dans le contexte de la culture visuelle populaire des années 1920.